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L’attaque américaine contre Assad, une entreprise risquée sans résultat garanti

Le recours à la force militaire contre Assad pourrait déclencher un conflit avec la Russie et des troubles en Europe aux frontières de l’OTAN, et faire de la Syrie une « Libye sous stéroïdes », préviennent des analystes

Une action militaire américaine contre le gouvernement syrien pourrait aboutir au scénario catastrophe d’un conflit entre la Russie et les États-Unis, de troubles instigués par les Russes aux frontières de l’OTAN en Europe et de la création d’une « Libye sous stéroïdes » après la chute du président syrien Bachar al- Assad, selon des analystes.

Le président Donald Trump a déclaré mercredi qu’Assad avait franchi « une limite » avec une attaque chimique sur la ville de Khan Sheikhun, province d’Idleb, mardi. Le vice-président de Trump, Mike Pence, a alors déclaré que « toutes les options » étaient sur la table pour une réponse américaine.

« Ce qu’a fait Assad est terrible. Ce qui s’est passé en Syrie est vraiment un crime odieux », a déclaré Trump pendant son voyage vers la Floride à bord de l’Air Force One.

Ce vendredi matin, l’administration Trump a joint l’acte à la parole en menant une série de frappes en Syrie.

Un responsable de la Maison Blanche a déclaré que 59 missiles Tomahawk ont frappé la base aérienne de Shayrat, d'où les États-Unis ont déclaré que l'attaque mortelle au gaz sarin sur Khan Sheikhun avait été lancée. Les responsables américains ont déclaré que la Russie, l'allié de la Syrie, avait été avertie avant la frappe, mais que son approbation n'avait pas été demandée.

Les missiles de croisière Tomahawk ont été lancés à partir de deux destroyers américains, l’USS Porter et l’USS Ross, qui appartiennent à la sixième flotte de la marine américaine et sont situés en Méditerranée orientale. Un responsable américain a déclaré que les missiles visaient des avions et des pistes de la base.

« Ce site a été associé au programme d'armes chimiques du régime syrien et est directement lié à l'attaque horrible commise à l’aide d’armes chimiques du 4 avril », a déclaré le responsable de la Maison Blanche.

L'Observatoire syrien pour les droits de l'homme a déclaré que quatre soldats syriens avaient été tués, y compris un officier supérieur.

« Le danger de frappes aériennes non soutenues par les forces terrestres est de semer des destructions massives qui laissent le genre de vide qui s’est produit en Irak. Cela pourrait ouvrir la voie à l’État islamique ou à un régime pire qu’Assad »

Ce jeudi, des analystes et spécialistes des questions militaires ont déclaré à Middle East Eye que toute action militaire en Syrie pourrait transformer le pays en un État en déliquescence et susciter des représailles de la Russie au-delà des frontières syriennes.

Nicholas Drummond, un analyste des questions de défense et de sécurité et ancien officier de l’armée britannique, a déclaré que Trump aurait trois options militaires : des attaques aériennes ciblées avec des missiles de croisière, des bombardiers ou des avions de chasse pour neutraliser la capacité militaire de la Syrie ; une unité opérationnelle de Marines sur le terrain pour prendre le contrôle de zones stratégiques et destituer physiquement Assad ; ou une mission des forces spéciales pour tuer ou capturer le président syrien.

Justin Bronk, un chercheur du Royal United Services Institute à Londres, a déclaré que si les États-Unis disposaient d’une « myriade » d’options militaires, toute action pourrait provoquer des conséquences inattendues et considérables.

Bronk, spécialiste de la puissance aérienne, a déclaré : « Les États-Unis ont des plates-formes aériennes, des forces spéciales, des moyens de recueil de renseignements et des cibles dans toute la Syrie, alors, en ce sens, ils ont une très bonne idée de ce qu’il faut cibler s’ils le souhaitent. »

Toutefois, il a ajouté que seules quelques ressources, tels que les bombardiers furtifs F-22 et les bombardiers stratégiques B-2, seraient en mesure de mener des frappes sans se faire repérer et de faire face aux forces russes qui protègent Assad.

Un bombardier furtif américain B-2 en maintenance dans son hangar (AFP)

Oui, nous pouvons le faire, mais devrions-nous ?

« Les Russes disposent de bons missiles sol-air (S-300 et S-400) sur leur base aérienne de Latakieh et leur base navale de Tartous, ainsi que des ressources mobiles. Ils ont une portée de 250 km, potentiellement davantage en fonction du type de missiles chargés. Ils sont très difficiles à parer et constituent des menaces extrêmement importantes. »

« Par ailleurs, il y a des avions russes de supériorité aérienne à Latakieh, notamment les avions de chasse Sukhoi 30 et Sukhoi 35. »

Les objectifs probables des États-Unis seraient les dépôts d’armes et les ressources de l’aviation syrienne sur les aérodromes syriens, « mais là encore, des spécialistes russes seraient potentiellement sur ces sites et il existe d’énormes problèmes potentiels liés à la poursuite de ces objectifs ».

« En d’autres termes, les ressources furtives américaines de pointe pourraient probablement effectuer des frappes limitées avec un risque assez faible d’engagement de la Russie.

« Mais il y a très peu de ressources dans la coalition occidentale pour mener des frappes sur les cibles du gouvernement syrien sans l’accord de la Russie. Ils opéreraient dans un espace aérien très encombré, empruntant de petits couloirs de vol, ainsi il serait risqué d’utiliser de rares ressources de pointe pour un impact militaire incertain. »

« La Russie a derrière elle une longue histoire d’escalades horizontales plutôt que verticales lors de confrontations ; on s’attendrait donc à voir de nombreux problèmes éclater ailleurs »

Bronk a ajouté que l’option d’imposer une zone d’exclusion aérienne pour retenir l’armée de l’air syrienne au sol et prévenir d’autres attaques chimiques contenait de nombreux problèmes.

« Encore une fois, sans la coopération totale de la Russie à ce sujet, qui est à mes yeux presque complètement impossible sans une sorte de marché sur un certain nombre d’autres choses, alors on essaierait d’imposer une zone d’exclusion aérienne à portée des ressources russes contre une armée de l’air syrienne qui exploite les mêmes avions que les Russes dans le même théâtre. »

« Il y aurait un énorme risque dans la mise en application, par exemple si des ressources russes sont abattues ; ainsi, sans un engagement total des Russes, ce serait plutôt inapplicable. »

Bronk a estimé qu’il était très probable que la Russie exerce des représailles.

« Si les États-Unis devaient se diriger vers une sorte d’action militaire malgré les objections russes – pour ainsi dire –, je ne pense pas que les Russes tireraient vraiment sur les avions américains à moins qu’ils ne soient directement attaqués. Je suis sûr qu’ils s’efforceraient de ne pas le faire. »

« Mais dans le même temps, la Russie a derrière elle une longue histoire d’escalades horizontales plutôt que verticales lors de confrontations ; on s’attendrait donc à voir de nombreux problèmes éclater ailleurs, que ce soit en Géorgie, en Ukraine ou encore des provocations autour de la Baltique. En d’autres termes, il y aurait une réponse. »

Combattants pro-russes en Ukraine (Reuters)

« Une Libye sous stéroïdes »

Un autre problème évoqué par Bronk et Drummond est celui des conséquences à long terme pour la Syrie. Quoi que Trump fasse, il aura besoin d’un plan pour reconstruire le pays.

« Le problème se présente avec n’importe quel État final souhaité : vers quoi les États-Unis se dirigent-ils ? Une tentative de décapitation en règle visant à évincer Assad donnerait lieu presque immédiatement à une Libye sous stéroïdes – à la création d’un chaos et à des pressions pour y réagir », a déclaré Bronk.

« Lorsque l’on regarde les issues potentielles, aucune d’entre elles ne semble convenable. Si l’OTAN ou une coalition avait frappé le régime d’Assad en 2013, on aurait une nouvelle Libye et on aurait reproché aux responsables le chaos total dans lequel la Syrie se trouverait encore. C’est la raison fondamentale pour laquelle les frappes n’ont jamais eu lieu sous Obama. »

Selon lui, une troisième option consistant à renforcer le soutien apporté aux groupes rebelles opposés à Assad pourrait également aider des groupes tels que l’État islamique.

« Si l’on essayait d’intensifier très rapidement la pression sur Assad, la Russie adopterait absolument à coup sûr le discours suivant : "Maintenant, vous créez plus d’espace non gouverné dans lequel Daech peut se développer – ce qui sert essentiellement les terroristes". »

« Le danger de frappes aériennes non soutenues par les forces terrestres est de semer des destructions massives qui laissent le genre de vide qui s’est produit en Irak, a expliqué Drummond. Cela pourrait ouvrir la voie à l’État islamique ou à un régime pire qu’Assad. »

Funérailles d’un milicien d’Aube de Libye à Tripoli, en Libye (AFP)

L’inconnue Trump pour la Russie

Les responsables américains ont déclaré avoir informé les Russes en amont des frappes et s’être efforcés d'éviter de toucher les troupes et équipements russes présents sur la base, assurant qu’aucune attaque n’avait été menée sur les portions abritant les forces russes. Ils ont toutefois déclaré que l'administration ne cherchait pas l'approbation de Moscou.

Le Kremlin a condamné l'attaque américaine, la qualifiant d’« agression contre un État souverain». Le président russe, Vladimir Poutine, a déclaré que les frappes avaient gravement nui aux relations entre les États-Unis et la Russie. Son porte-parole, Dmitry Peskov, a ajouté que le dirigeant russe considérait l'action américaine comme une tentative cynique de distraire le monde suite à la mort de civils en Irak.

Justin Bronk a expliqué à MEE l’enjeu que représentait une frappe américaine contre Assad pour la Russie, et ses possibles conséquences : « La Russie a misé une énorme partie de sa réputation internationale sur son rôle de défenseur d'Assad, envoyant un message aux éventuels futurs États partenaires qu’elle peut les maintenir au pouvoir, même si tout l’Occident est après eux.

« La Russie opère à partir d'une position de force géopolitique. Si elle devait négocier une sorte de deal en échange de l'abandon d'Assad, elle exigerait probablement d'énormes concessions en dehors de la Syrie […] sur des choses comme l'Ukraine, la reconnaissance de la Crimée et la démilitarisation des forces de l'OTAN dans les pays baltes.

« Donc, si vous regardez les gains potentiels par rapport aux coûts, aucun président rationnel qui comprend ce que signifie l'équilibre du pouvoir entre l'OTAN et la Russie accepterait ce genre de deal. Cela n’est pas nécessairement exclu, mais je pense que c’est très peu probable.

« Sans aucune sorte de marché avec la Russie, je ne pense pas qu'il y ait une bonne option sur le plan militaire. Je ne pense pas qu'il y ait un résultat auquel quiconque voudrait être associé à long terme. »

Selon Drummond, il est probable que Trump tente de coopérer directement avec Poutine pour donner à la Russie une chance d'améliorer sa position parmi les alliés de l'OTAN.

« En effet, Trump ou ses conseillers en politique étrangère doivent élaborer un plan visant à éviter les pertes russes. Si les États-Unis en venaient à faire des blessés parmi les forces russes, cela ne ferait qu’accroître les tensions en Europe. Trump pourrait rendre encore pire une situation déjà mauvaise », a-t-il déclaré.

« Si les États-Unis en venaient à faire des blessés parmi les forces russes, cela ne ferait qu’accroître les tensions en Europe. Trump pourrait rendre encore pire une situation déjà mauvaise »

« La situation idéale serait que les États-Unis déploient une force suffisante pour faire partir Assad, neutraliser l’État islamique et stabiliser la région. Cela pourrait ouvrir la voie à une force de maintien de la paix multinationale approuvée par l'ONU afin de maintenir des zones sécurisées pendant la reconstruction de la Syrie. Cela nécessiterait un engagement massif en main-d'œuvre et en équipement.

« Il y a beaucoup de variables en Syrie qui rendent difficile la prédiction d’un parcours d'action militaire probable. La principale d'entre elles est Trump lui-même. Il est très difficile à lire. Mais réussir un succès remarquable en matière de politique étrangère l'aiderait de manière incomparable. »

Pour Bronk, la Russie examinera attentivement l'impact de toutes représailles à la manœuvre de Trump. « Aucune des deux parties ne veut une troisième guerre mondiale [mais] la Russie ne laissera aucun défi public lancé contre ses désirs sans réponse », a-t-il affirmé.

Toutefois, les Russes ne savent toujours pas à quoi ils ont affaire avec Trump, a-t-il ajouté. « À moins que vous n’adhériez à la vaste théorie du ‘’candidat mandchou’’, selon laquelle Trump est fondamentalement un atout, ce qui est assez extrême, alors les Russes ne savent pas vraiment à quoi ils ont affaire.

« Il y aura une mise en garde du côté russe. Fondamentalement, les Russes ne peuvent pas se permettre de provoquer une guerre à grande échelle. Il s’agirait davantage d’une guerre de ‘’seuil’’ – en essayant d'irriter et d'humilier l'OTAN sans jamais dépasser le seuil.

« Le problème est que, contrairement à l'administration Obama, il y a très peu de moyens de savoir quel est le seuil avec Trump. »
 

Photo : Donald Trump s’entretient avec du personnel militaire américain (AFP).

Traduit de l’anglais (original).

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