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« Une nouvelle Syrie, pas un nouveau Kurdistan »

Selon le co-leader du principal parti kurde, la nouvelle Fédération de Syrie du Nord n’est pas une patrie autonome, mais un modèle pour l’avenir du pays

SOULEIMANIYE, Irak – Ils ont été exclus des pourparlers de paix syriens, et par extension d’un futur gouvernement syrien, bien qu’ils contrôlent la majeure partie du nord de la Syrie, qu’ils soient la seule force capable de s’opposer à l’État islamique et qu’ils aient les faveurs des États-Unis mais aussi de la Russie.

Jeudi dernier, les Kurdes de Syrie ont convenu de leur réponse à ce statut de laissés-pour-compte : la formation d’une nouvelle Fédération de Syrie du Nord qui comprendrait les régions à majorité kurde de la Djézireh, de Kobane et d’Afrin, connues sous le nom de Rojava, en plus des villes arabes actuellement sous contrôle kurde.

Le gouvernement syrien, l’opposition et les puissances régionales ont rejeté ce nouveau système, soutenant que les Kurdes n’ont pas le droit de morceler la Syrie à leurs propres fins.

Toutefois, Salih Muslim Mohammed, co-leader du Parti de l’union démocratique (PYD), principal parti kurde en Syrie, a affirmé que la fédération ne devait pas être considérée comme une région autonome du Kurdistan, mais plutôt comme un modèle pour un futur pays décentralisé et démocratique où tout le monde serait représenté au sein du gouvernement.

« Il n’y a pas de région autonome kurde, donc il n’est pas question de la reconnaître ou non, a-t-il expliqué. Elle fait partie d’une Syrie démocratique, et pourrait s’étendre à toute la Syrie. Nous voulons décentraliser la Syrie, un pays dans lequel tout le monde jouirait de ses droits. »

« Le nom n’a pas d’importance, nous parlons de fédéralisme syrien démocratique », a-t-il expliqué à Middle East Eye.

« Le fédéralisme dont nous parlons n’a pas de critère géographique. Peut-être que demain, il sera étendu à Raqqa [contrôlée par l’État islamique] et à d’autres endroits, a-t-il ajouté. Peut-être même que le peuple de Deraa s’y joindra. »

Jeudi, deux cents délégués et membres de partis, dont des Kurdes, des Arabes, des Turkmènes et des chrétiens issus de régions kurdes de Syrie et de villes syriennes telles que Manbij, Alep et Chahba, ont élu un conseil de 31 membres pour le Système fédéral démocratique du Rojava et de la Syrie du Nord.

Hediya Yousef, un Kurde, représentera le Rojava, tandis que Mansour Selam, un Arabe originaire de Tall Abyad, représentera la Syrie du Nord. Six mois de travail seront nécessaires pour établir le système fédéraliste.

« Ce système est considéré comme le premier système de ce genre dans la région », a déclaré Abdulsalam Mohammed, enseignant et activiste kurde originaire de Kameshli. « Il survient après l’échec des régimes dictatoriaux qui ignorent les droits des autres nations en dehors d’eux-mêmes. »

« Ceci est basé sur le principe de notre système de co-présidence et de diversité des nations, ainsi que sur l’égalité entre les femmes et les hommes, a-t-il ajouté. Nous pouvons donc dire que Hediya représente le Rojava et que Selam représente la Syrie du Nord. »

Les Kurdes de Syrie affirment qu’ils contrôlent déjà le Rojava, mais se sont étendus ces derniers mois à des villes arabes telles qu’al-Chaddadeh, prise en février, et Tall Abyad, passée sous contrôle kurde en juin 2015.

Les Kurdes de Syrie sont ainsi passés d’une auto-administration kurde à une Syrie démocratique fédérale.

Les Kurdes et les Arabes de Syrie annoncent leur projet de fédéralisme (AFP)

L’annonce du fédéralisme a cependant très peu de chances de plaire aux alliés des Kurdes de Syrie en Occident. Les États-Unis ont clairement fait part de leur opposition à une région kurde semi-autonome en Syrie.

« Nous avons également vu des témoignages au sujet de ou provenant de Kurdes de Syrie qui souhaitent proclamer une région fédérale en Syrie. Et pour répondre à cela, je dirais simplement que nous avons été très clairs sur le fait que nous ne reconnaîtrons aucune forme de région autonome ou de région semi-autonome et autogouvernée en Syrie », a déclaré mercredi dernier Mark Toner, porte-parole du département d’État américain.

Il a affirmé qu’une telle décision devait faire l’objet de discussions lors des pourparlers de paix qui se tiennent actuellement à Genève entre le gouvernement syrien et l’opposition, qui sont tous deux opposés au plan kurde. Les Kurdes ne sont pas invités aux pourparlers de Genève.

Amberin Zaman, chercheuse en politique publique au Wilson Centre de Washington DC, a indiqué à MEE que cette proclamation était une décision stratégique des Kurdes de Syrie visant à « acquérir une légitimité et une influence internationales lorsque la nouvelle Syrie sera créée ».

Selon Zaman, les Kurdes de Syrie ont appris de leurs frères irakiens, qui ont travaillé principalement avec les dissidents arabes chiites et sunnites après avoir obtenu l’autonomie en 1991, afin d’acquérir une plus grande reconnaissance constitutionnelle.

« Les Kurdes de Syrie reconnaissent que si l’on utilise le terme Kurdistan, celui-ci est radioactif : il sonne toutes sortes d’alertes et déclenche des réactions qui leur compliquent considérablement la vie, en particulier des Turcs, de toute évidence, mais aussi des Arabes », a expliqué Zaman.

« Ils ont reconnu la nécessité de construire des coalitions avec les Arabes sur le terrain, parce qu’ils s’étendent de plus en plus au-delà de leurs frontières naturelles. Ce n’est qu’en construisant de telles coalitions qu’ils peuvent maintenir leur influence et leur force, acquérir une plus grande légitimité et obtenir l’appui de partenaires occidentaux comme les États-Unis », a-t-elle ajouté.

Selon le Dr Jonathan Spyer, directeur du Rubin Center, basé en Israël, le PYD et ses alliés tentent là un pari.

« Il est clair que les autorités dirigeantes de facto ont mesuré cette problématique et décidé que c’était le bon moment. Depuis décembre 2015, ils discutent de cette question et insistent sur la nature d’exemple du Rojava pour un avenir fédéral de la Syrie », a-t-il indiqué à MEE.

Néanmoins, le régime et l’opposition conviennent toujours que la partition du pays est une ligne rouge.

« Ce qui est ironique, étant donné que c’est la guerre entre le régime et les rebelles qui est en réalité à l’origine de la division de facto de la Syrie », a ajouté Spyer.

Divisés par une cause commune

Les analystes divergent quant au fait qu’une région fédérale à majorité kurde en Syrie puisse donner lieu à un Kurdistan uni recoupant la Syrie et l’Irak, dans la mesure où la région du Kurdistan dirigée par le président Massoud Barzani entretient des relations difficiles avec le PYD et ses administrations.

Ce jeudi, les autorités locales kurdes en Syrie ont refusé l’entrée du dirigeant kurde syrien Ibrahim Biro, chef du Conseil national kurde (CNK), depuis l’Irak, après que les autorités kurdes irakiennes n’ont pas autorisé le gouverneur local de Slemani, Aso Feridun, à se rendre dans le Rojava pour assister à une cérémonie à Kobane.

Le Conseil national kurde (CNK), soutenu par Barzani, connaît également de profonds désaccords avec le PYD, les deux partis n’étant pas parvenus à mettre en œuvre trois accords de partage du pouvoir depuis 2012.

Bien que le CNK et le PYD parlent tous deux de fédéralisme, le CNK affirme ne souhaiter qu’une région fédérale du Kurdistan semblable à la région du Kurdistan en Irak, tandis que le PYD évoque un « fédéralisme syrien » non ethnique s’adressant à toutes les composantes du nord de la Syrie.

La région du Kurdistan irakien est également fondée sur le nationalisme ethnique kurde et ne comprend pas d’Arabes ou de Turkmènes dans son leadership, alors que le PYD est parvenu à inclure des Arabes et des chrétiens dans des rôles de leadership, en nommant par exemple un Arabe, Humaydi Daham al-Assi al-Jarba, au poste de co-gouverneur d’Hassaké en juillet 2014.

Les régions kurdes de Syrie sont également plus mixtes en termes de population arabe et chrétienne, alors que la région kurde irakienne est principalement peuplée exclusivement par des Kurdes ; par conséquent, le PYD est contraint de travailler davantage avec les Arabes et les autres minorités.

« Notre fédéralisme et celui du PYD sont différents », a déclaré Mustafa Sino, responsable du CNK à Erbil. « Nous voulons un fédéralisme kurde, mais eux veulent un fédéralisme nord-syrien. »

« Nous voulons une seule et même région du Kurdistan », a déclaré Ibrahim Biro lors d’une interview avec MEE. « Le problème n’est pas de savoir si nous nous rejoignons sur le fédéralisme ou non : le problème est qu’ils [le PYD] n’acceptent pas de coopérer ; ils veulent gouverner par eux-mêmes », a-t-il soutenu.

Cependant, le PYD estime que le CNK n’a jamais été sérieux dans le partage du pouvoir et voulait diviser le pouvoir sur un modèle 50-50.

Pour Barzani et pour le CNK kurde syrien qu’il soutient, il est difficile d’accepter la région fédérale si elle est créée par le PYD et ses alliés.

En outre, le Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) entretient de bonnes relations économiques avec la Turquie, qui lutte actuellement contre une insurrection menée par le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) depuis la rupture du cessez-le-feu en juillet 2015.

« Le problème est que le GRK de Barzani est aligné avec la Turquie et que faute de littoral, celui-ci est tributaire de la Turquie pour acheminer son pétrole vers la Méditerranée », a précisé Spyer.

« Et la Turquie considère le Rojava comme une extension du PKK ; par conséquent, si Barzani a un besoin existentiel de maintenir de bonnes relations avec la Turquie, il doit se montrer très prudent vis-à-vis du Rojava. Surtout maintenant, alors que le processus de paix Turquie-PKK a été éclipsé. »

Photo : des dirigeants kurdes soutiennent que la nouvelle fédération est attachée aux principes d’égalité et de démocratie (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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