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Gaz offshore : le prochain catalyseur d’une guerre entre Israël et le Hezbollah ?

La décision israélienne de délimiter de nouveaux blocs d’exploration du gaz dans une zone maritime litigieuse revendiquée par le Liban constitue une « déclaration de guerre » pour les autorités libanaises et le Hezbollah

Alors que les tensions ne cessent de croître entre Israël et le Hezbollah au lendemain des multiples raids menés au cours des deux derniers mois par l’armée israélienne contre des cibles appartenant ou apparentées au Hezbollah en Syrie, le risque d’une nouvelle guerre est bien réel en raison d’un autre enjeu aussi stratégique et explosif que le vieux contentieux terrestre des fermes de Chebaa au Liban-Sud ou de l’existence d’une base militaire irano-hezbollahi au niveau du plateau du Golan : le gaz offshore situé dans une zone disputée entre Israël et le Liban. 

Les découvertes révélées par des études sismiques menées dans la zone depuis 2002 et confortées par l’intérêt affiché par plusieurs grandes sociétés étrangères, dont ExxonMobil, Shell et Total, pourraient s’avérer commercialement importantes et permettre au pays du Cèdre de s’assurer une autonomie énergétique. 

« Ces ressources constituent une priorité absolue pour le Hezbollah, plus importante que les multiples enjeux du conflit syrien. Il s’agit d’une question fondamentale liée aux droits souverains et économiques du Liban », explique à Middle East Eye le cheikh Sadek Naboulsi, responsable au sein du parti chiite libanais. 

« [Si] la diplomatie et le droit international maritime faillissent à régler le contentieux, et en cas d’agression de la part d’Israël ou d’empiétement sur les intérêts du Liban, le Hezbollah aura recours à la voie militaire […]. Et cette fois, il frappera en profondeur et ciblera les infrastructures gazières au large du littoral ennemi »

- Cheikh Sadek Naboulsi, responsable du Hezbollah  

Cette bombe à retardement, jusque-là dormante, a été réactivée par l’adoption par Israël en décembre dernier d’une nouvelle carte délimitant les blocs d’exploration de gaz offshore dans la zone litigieuse, dont la superficie s’élève à 864 km2.

Cette carte définit trois blocs (blocs 1, 2 et 3) potentiellement explorables à l’intérieur de cette zone. Or, selon le gouvernement libanais, ceux-ci se situent dans les eaux territoriales libanaises.

Beyrouth se prépare d’ailleurs à lancer un appel d’offres international, prévu fin 2017, pour l’exploration de cinq blocs, dont trois situés à la lisière ou au sein de la zone conflictuelle. 

« Les blocs 8, 9 et 10 ont été choisis par le gouvernement libanais en janvier dernier pour des raisons géologiques mais également souverainistes […] Il s’agit d’une manière de protéger les droits maritimes du Liban », souligne Wissam Zahabi, directeur général de l’Autorité libanaise du pétrole, contacté par MEE.

« Le bloc 10 ne devrait pas, a priori, poser problème, mais les blocs 8 et 9 s’étendent à hauteur de 7 % et plus de 50 %, respectivement, sur la zone litigieuse », précise-t-il.  

Genèse du litige

L’origine du contentieux remonte à juillet 2011, lorsqu’Israël adopte officiellement le tracé de sa Zone économique exclusive (ZEE) en se basant sur un accord frontalier conclu en 2007 entre Chypre et le Liban.

Or, les autorités libanaises n’ont jamais ratifié cet accord, se rétractant in extremis après avoir réalisé les failles qu’il comportait. Nicosie et Beyrouth avaient en effet convenu d’une frontière commune, tout en laissant planer le flou sur les tracés nord et sud et le début des espaces maritimes syrien et israélien.

Israël s’était alors empressé de profiter de cette « brèche » pour pousser plus au nord sa frontière, dans ce que le Liban considère comme étant sa propre ZEE.

« Quant aux autorités chypriotes, elles ont délimité leur ZEE avec Israël selon ce tracé, sans tenir compte d’une condition essentielle incluse dans l’accord signé avec le Liban, qui signifiait clairement qu’aucune décision bilatérale [avec Israël] ne serait prise par Nicosie », explique à MEE le général Abdel Rahman Hchaitli, en charge du dossier des frontières maritimes du Liban jusqu’en 2013.   

Pour Israël, l’objectif était « d’une part, de profiter d’éventuelles découvertes de gaz dans cette zone, ou du moins d’empêcher le Liban d’en faire usage et, d’autre part, de pousser l’État libanais à négocier avec lui une délimitation des frontières maritimes et de reconnaître ainsi Israël », poursuit le général Hchaitli.

À LIRE : Les ambitions énergétiques d’Israël nécessitent une solution finale à Gaza

Depuis cette manœuvre frontalière réussie avec les autorités chypriotes, la carte maritime de l’État israélien et les blocs d’exploration de gaz qu’elle comportait n’avaient pas bougé d’un iota jusqu’à la nouvelle carte de décembre 2016.

Or, l’extrémité nord de ces derniers, notamment les blocs Alon D et F, étaient parfaitement alignés sur la limite sud du tracé frontalier établi par le Liban, « confirmant ainsi indirectement le bien-fondé de la délimitation par Beyrouth de sa ZEE », selon Hchaitli.

Celle-ci avait été établie en avril 2009 sur la base de la méthode de l’équidistance, reconnue par la convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDEM), ainsi que sur la base de l’accord d’armistice de 1949 signé avec Israël. 

Cette dissonance entre la « nouvelle » ZEE d’Israël découlant de l’accord avec Chypre et les blocs d’exploration définis dans sa carte maritime d’avant décembre 2016 donnait un argument supplémentaire à Beyrouth concernant la « libanité » de la zone. « C’est sans doute pour cette raison que les autorités israéliennes ont décidé de définir de nouveaux blocs situés plus au nord, afin de voiler la discordance qui existait jusque-là », ajoute-t-il.

Mort clinique de la médiation américaine 

Face à l’impasse, des efforts ont été fournis à partir de 2011 pour tenter d’arracher un accord « à l’amiable » et de limiter le risque d’escalade. Des négociations indirectes ont ainsi été menées sous l’égide des États-Unis, sans que cela n’aboutisse toutefois à des résultats concrets.

« L’ancien émissaire du département d’État, Frederik Hoff, avait mené des négociations sérieuses et professionnelles et proposé avant son départ à la retraite à l’automne 2012 un partage du triangle disputé en attribuant près de 500 km2 au Liban, soit 60 % de la superficie totale de la zone litigieuse, et 40 % à Israël », précise le général Hchaitli, qui faisait partie de la délégation libanaise lors des négociations.

« Cette proposition avait été soumise au chef d’État libanais et aux ministres concernés pour examen, et il avait été convenu d’accepter le plan Hoff, à condition de poursuivre toutefois les négociations en vue d’un règlement futur de la superficie restante. »

Israël n'a pas émis d'avis officiel sur cette proposition, mais selon le général Hchaitli, Frederik Hoff aurait confié à la délégation libanaise lors d'un meeting juste avant son départ : « J’aurai déjà du mal à leur faire accepter le plan que je propose, alors si en plus il faut imposer des conditions, ça risque d'être très compliqué ».

Amos Hoshtein, le successeur de Hoff, s’est contenté d’effectuer quelques visites et de réitérer la même proposition, avec le slogan « take it or leave it » (à prendre ou à laisser), tout en refusant de négocier sur le tiers restant de la zone contestée et jouant la montre afin d’empêcher le Liban de recourir éventuellement aux Nations unies dans le cadre de l’Article 37 du Chapitre 6 de la Charte de l’ONU.

Celui-ci stipule que « le Conseil de sécurité peut agir sous le chapitre 7 – c’est-à-dire utiliser des moyens coercitifs – en cas d’échec d’une médiation externe et de risque conséquent de guerre en raison d’un contentieux n’ayant pas été réglé de manière pacifique », précise le responsable militaire.   

Le drapeau du Hezbollah flotte près de la frontière avec Israël et des fermes de Chebaa (AFP)

La guerre, une éventualité inéluctable ?

Avec le départ de Hoshtein en novembre 2016 et la désignation d’un diplomate intérimaire aux affaires énergétiques, Mary Burce Warlick, au lendemain de l’élection de Donald Trump à la Maison-Blanche, la médiation américaine semble au point mort.

Cela a poussé les autorités israéliennes et libanaises à solliciter les Nations unies en l’absence de toute possibilité de négociations directes, les deux pays étant officiellement en guerre. 

En février 2017, le gouvernement israélien a ainsi envoyé une lettre au secrétariat général de l’ONU affirmant qu’il « n’autoriserait pas » d’activités d’exploration dans la zone qu’il revendique, ce à quoi le Liban a répliqué par une lettre à l’instance internationale réaffirmant son plein droit à exercer sa souveraineté sur cette zone.

À LIRE : L'énergie, nerf de la guerre au Moyen-Orient

Malgré leur caractère officiel, ces lettres n’ont aucune incidence sur le terrain. Pour résoudre ce type de litiges, les États ont généralement recours à des négociations directes, à une procédure arbitrale internationale ou, dans des situations plus complexes, à une poursuite judiciaire via la Cour internationale de justice (CIJ) ou le Tribunal de la mer de Hambourg, institué par la CNUDEM.

Or, dans le cas libano-israélien, aucune de ces trois voies de règlement conventionnelles n’est applicable.

Les négociations directes ne sont pas envisageables en l’absence d’un accord de paix entre les deux pays, tandis qu’un arbitrage international impliquerait la reconnaissance indirecte par le Liban de la légitimité de l’État d’Israël, ce qu’il refuse.

Enfin, la voie de Hambourg est coupée par la non-ratification de la CNUDEM par Israël, qui ne reconnaît pas non plus la CIJ.

Quant à la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL), stationnée au Sud-Liban pour garantir le maintien du cessez-le-feu et l’application de la résolution 1701 votée en août 2006 pour mettre fin à la guerre de 33 jours entre Israël et le Hezbollah, « elle ne peut intervenir sur la question du triangle disputé, d’abord car la ligne bleue tracée entre les deux pays après le retrait israélien [du Sud-Liban en 2000] ne s’étend pas sur l’espace maritime, et ensuite parce qu’une résolution politique du contentieux ne relève pas du mandat de cette force », explique à MEE André Tenenti, porte-parole de la FINUL. 

Face à cette impasse et à la mort clinique de la médiation américaine, du moins pour l’instant, la confrontation militaire semble quasi inéluctable, même si des efforts sont menés depuis récemment par Chypre pour désamorcer une éventuelle bombe. Lors d’une visite à Beyrouth le 12 juin, le président chypriote Nicos Anastasiádis s'est dit disposé à aider le Liban dans le litige qui l'oppose à Israël, affirmant que « Chypre serait même prête à modifier l'accord conclu avec Israël », lequel est à l’origine, du moins en partie, du montage israélien d’exploration gazière au niveau de la frontière sud de la ZEE revendiquée par le Liban.  

Un Libanais prend des photos d'un cratère de boue et d'eau causé par des frappes aériennes israéliennes sur Dahieh, dans la banlieue de Beyrouth, le 14 juillet 2006 (AFP)

Pour le Hezbollah, la mise en garde reste toutefois de rigueur.  

« Nous continuons de privilégier une solution pacifique à cette nouvelle violation israélienne de notre souveraineté, mais si la diplomatie et le droit international maritime faillissent à régler le contentieux, et en cas d’agression de la part d’Israël ou d’empiétement sur les intérêts du Liban, le Hezbollah aura recours à la voie militaire […]. Et cette fois, il frappera en profondeur et ciblera les infrastructures gazières au large du littoral ennemi », prévient le cheikh Sadek Naboulsi.    

« [Il suffit] qu'une seule roquette touche l'un des réservoirs [de gaz ammoniac du centre industriel israélien de Haïfa] pour créer l'effet d'une arme nucléaire »

- Hassan Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah 

Dans un discours prononcé en février dernier, le secrétaire général du parti, Hassan Nasrallah, avait mis en garde contre des frappes ciblant les stocks de gaz ammoniac du centre industriel israélien de Haïfa, soulignant qu’il suffisait « qu'une seule roquette touche l'un des réservoirs pour créer l'effet d'une arme nucléaire ».

De son côté, le chef du parlement libanais, Nabih Berri, a mis en garde Israël, qualifiant la redéfinition de sa carte maritime de « déclaration de guerre ». Israël n’a jusqu’à présent pas répondu à ces déclarations.

Des enjeux économiques majeurs

C’est ce scénario « catastrophe » que les parties concernées, ainsi que les compagnies internationales et les pays qui les représentent, cherchent à éviter. Car au-delà des considérations politiques et de souveraineté territoriale, l’enjeu est également économique, autant pour le pays du Cèdre que pour Israël. 

Pendant plus d’un demi-siècle, Israël a dépendu presque entièrement des importations pour subvenir à sa demande locale en gaz. Mais avec désormais des réserves de gaz estimées à 950 Gm3 – contre une consommation annuelle de 7 Gm3 –, le pays est en passe de devenir une puissance exportatrice d’énergie.

Les recettes financières escomptées sont estimées à plusieurs dizaines de milliards de dollars, tandis que des contrats d’exportation ont déjà été conclus avec certains pays, dont la Jordanie.

Quant au Liban, où le début des travaux d’exploration a été reporté de près de quatre ans en raison de la paralysie politique interne, il importe 96 % de ses besoins en énergie et croule sous une dette qui culmine à plus de 145 % du PIB, l’un des ratios les plus élevés au monde.

Les récentes découvertes offshore pourraient ainsi inverser la courbe et aider au développement économique du pays. Une autre guerre avec Israël, en revanche, aurait un impact dévastateur. Celle de juillet 2006, par exemple, avait coûté près de 15 milliards de dollars, selon le PNUD, et mis l’économie libanaise à plat durant les deux années qui suivirent.

Photo : un navire au large de la côte israélienne se prépare à acheminer du gaz naturel vers les centrales électriques (AFP).

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