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L’opposition syrienne partage une même vision mais manque d’unité dans la lutte contre Assad

La conférence de l’opposition syrienne qui se tient actuellement en Arabie saoudite est une avancée positive, mais les perspectives plus larges de pourparlers de paix internationaux sont minces

L’opposition syrienne se réunit en Arabie saoudite du 8 au 10 décembre dans le but de créer une structure unifiée qui puisse s’asseoir de façon crédible à la même table que le gouvernement de Bachar al-Assad lors des pourparlers de paix de Vienne organisés à l’échelle internationale, et de prendre un engagement contraignant quant à la voie à suivre pour la Syrie.

Une légère agitation a été causée par l’exclusion de la conférence des Kurdes du Parti de l’union démocratique (PYD), la branche syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qui a décidé d’organiser sa propre conférence sur l’avenir de la Syrie, les 8 et 9 décembre à Rmeilan, dans le nord-est de la Syrie. Si le PYD doit être intégré aux pourparlers sur l’avenir de la Syrie, sa vision politique ne concorde pas avec l’opposition largement arabe et sa participation aux pourparlers de Riyad aurait garanti leur échec.

La conférence de Riyad rassemble notamment vingt figures de la Coalition nationale des forces de l’opposition et de la révolution (CNFOR), dont son président Khaled Khoja. La CNFOR est l’opposition politique reconnue par de nombreux États, notamment en Occident et dans le monde arabe, comme étant la représentante légitime du peuple syrien. D’autres figures de l’opposition ainsi que des laïcs et des Frères musulmans seront également présents à Riyad.

Quinze groupes armés de l’opposition sont aussi représentés à la conférence saoudienne. La plupart de ces groupes font clairement partie du mouvement révolutionnaire qualifié d’Armée syrienne libre (ASL), estampillé modéré par les gouvernements occidentaux, bien que certains de ces groupes se composent d’islamistes plus conservateurs.

L’opposition armée à Riyad

Le Front Sud participe à la conférence. Groupe coordonnant la plupart des groupes d’insurgés suivant le modèle de l’ASL et opérant dans le sud de la Syrie, le Front Sud est étroitement relié au Military Operations Centre (MOC) basé en Jordanie et soutenu par les États-Unis, qui apporte un appui à l’opposition syrienne.

Les participants en provenance du nord comprennent plusieurs petits groupes rebelles estampillés ASL et contrôlés par le centre des opérations basé en Turquie (connu sous son acronyme turc, MOM), dont notamment Forqat al-Awwal al-Sahli (« Première division côtière ») et Liwa Suqour al-Jabal (« Brigade des faucons de la montagne »), devenu un acteur de premier plan pour son utilisation efficace de missiles antichars TOW. Kataib Nooradeen al-Zangi, un groupe plus important suivant le modèle de l’ASL, basé dans l’ouest d’Alep et contrôlé par le MOC, est également présent.

Viennent ensuite plusieurs groupes plus conservateurs qui se sont parfois alliés sur le champ de bataille avec le Front al-Nosra, branche syrienne d’al-Qaïda, mais qui ne partagent pas l’idéologie du Front al-Nosra et qui s’inscrivent nettement dans le courant de l’insurrection syrienne. Un de ces groupes, basé dans le nord de la Syrie, est Faylaq al-Sham (« Légion du Sham »), lancé dans les faits comme la branche armée des Frères musulmans, mais qui a intégré de nouvelles factions et s’est modéré au fil du temps. Les autres groupes de cette catégorie sont Jaish al-Mujahideen, formé à Alep en janvier 2014 pour mener le soulèvement de l’opposition contre l’État islamique, Jabhat al-Asala wa al-Tanmiya (« Front de l’authenticité et du développement »), une organisation salafiste disposant de liens importants avec le Golfe, et al-Ittihad al-Islami li-Ajnad al-Sham (« l’Union Islamique d’Ajnad al-Sham »), un groupe basé à Damas et profondément lié au clergé local.

Enfin, Jaysh al-Islam (JAI), et surtout Ahrar al-Sham, participent également aux pourparlers.

Basé dans la banlieue est de Damas, JAI ferait partie (avec le Front Sud) des groupes bien placés pour prendre la capitale en cas de chute du régime. Soutenu par l’Arabie saoudite, JAI est en lice avec Ahrar al-Sham pour le titre de principal groupe rebelle. Le chef de JAI, Zahran Allouche, ne peut assister à la conférence en raison du siège imposé au régime dans son secteur, mais a envoyé des représentants à la place. JAI combat aux côtés du Front al-Nosra, même si cette tendance s’est nettement estompée récemment ; les déclarations publiques d’Allouche ont inclus un sectarisme virulent au moment de l’essor du radicalisme. Toutefois, comme l’a soutenu Charles Lister, de l’Institut Brookings, « en termes de combattants, [JAI est] une organisation islamiste beaucoup plus modérée ».

Le groupe Ahrar al-Sham est différent de JAI : c’est une organisation beaucoup plus disciplinée de par son idéologie salafiste ultra-conservatrice. Proche allié du Front al-Nosra sur le champ de bataille qui a toujours rejeté l’étiquette de l’ASL et qui comporte plusieurs anciens combattants d’al-Qaïda dans sa structure de direction, Ahrar a été considéré jusqu’ici comme une organisation à éviter par l’Occident et par de nombreuses puissances régionales, en particulier l’Arabie saoudite, au contraire du Qatar et de la Turquie, en dépit d’une modération publique descendante. Auparavant, la rivalité entre l’Arabie saoudite/le Qatar et Turquie a anéanti les initiatives de coordination des rebelles, mais l’intensification de l’intervention russe et iranienne en Syrie a changé la donne en plaçant l’unité au centre de la réflexion et en réduisant l’antagonisme saoudien envers Ahrar al-Sham.

Lors de la rencontre du 15 novembre à Vienne, le communiqué représentant à la fois les États alliés au gouvernement et les États alliés aux rebelles a évoqué l’élaboration d’une « compréhension commune pour une éventuelle reconnaissance de groupes et d’individus comme terroristes ». L’Iran et la Russie exerçaient de très fortes pressions pour qu’Ahrar al-Sham soit placé sur cette liste. L’invitation formulée au groupe par l’Arabie saoudite constitue un rejet ferme de cette proposition et pourrait être le résultat le plus significatif de cette conférence.

Quels résultats possibles ?

Les perspectives de formation d’une « équipe » d’opposition véritablement représentative sous un seul commandement sont minces, et les perspectives de voir ce représentant être capable de faire appliquer un accord qu’il pourrait conclure sont plus minces encore dans la mesure où le régime et ses partisans ne sont pas disposés à accepter un tel accord, et encore moins à le respecter.

La conférence représente « certainement une amélioration par rapport aux conférences précédentes du fait que davantage de forces rebelles qui représentent effectivement les forces en présence sur le terrain y ont été invitées », a indiqué à Middle East Eye Hassan Hassan, chercheur associé à la Chatham House et co-auteur de ISIS: Inside the Army of Terror. Néanmoins, le « pessimisme au sujet de la conférence est le fruit de la triste réalité sur le terrain », où le prolongement du conflit et l’intervention russe ont rendu la situation encore plus insoluble, a ajouté Hassan.

« Malgré ce qu’affirment les responsables occidentaux, les différences entre les deux parties belligérantes se creusent et aucun accord politique n’est en vue. »

Quelle que soit l’issue à Riyad, il est très peu probable que le processus de Vienne mette fin à la guerre en Syrie. Tout règlement politique nécessiterait la démission d’Assad pour que les rebelles puissent être libérés des attaques du régime et opérer ainsi contre l’État islamique en alliance avec un gouvernement intérimaire. Mais les partisans d’Assad ont clairement fait savoir qu’ils ne permettraient pas son éviction et l’impatience à l’idée d’un accord pousse les États-Unis à se rapprocher de plus en plus de cette position.

Le secrétaire d’État américain John Kerry a proposé que les rebelles se coordonnent avec l’armée syrienne avant la sortie d’Assad pour attaquer l’État islamique, ce qu’aucune faction rebelle n’acceptera de faire, tandis que des responsables américains ont fait pression sur l’opposition et ses soutiens pour qu’ils adoptent un « langage créatif » quant au sort d’Assad, c’est-à-dire sans imposer de calendrier trop clair pour son départ.

Que la rébellion parvienne ou non à mettre sur pied un représentant unifié, celle-ci a bel et bien une vision relativement unifiée et rejettera fermement tout processus contribuant, selon elle, à ancrer le gouvernement d’Assad.

Photo : un combattant rebelle du « Premier bataillon » de l’Armée syrienne libre participe à un entraînement militaire (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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