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Un rapport de l'armée américaine recommande de « soutenir militairement » la mainmise d’Israël sur les ressources énergétiques

Les stratèges militaires américains envisagent la menace de guerre pour redessiner l'architecture énergétique du Moyen-Orient autour d’Israël.
Un récent rapport de l'Institut d'études stratégiques de l’école militaire américaine met l’accent sur la nécessité d’un « soutien sécuritaire et militaire de la part des Etats-Unis » à ses principaux alliés de la rive est de la Méditerranée, en particulier Israël, suite à la récente découverte de vastes gisements de pétrole et de gaz dans la région.
 
L'étude de l'armée, publiée en décembre 2014, conclut qu’une implication militaire américaine conséquente « peut s’avérer essentielle pour gérer de possibles conflits à venir », au cas où des « conflits liés aux ressources naturelles de l’est de la Méditerranée éclataient » en raison des gigantesques gisements de gaz découverts ces dernières années.
 
Une intervention américaine visible serait également nécessaire pour écarter la possibilité d’une intrusion dans la région de « puissances émergentes et de nouveaux acteurs souhaitant jouer un rôle dans la résolution des conflits locaux tels que la Russie – qui nourrit déjà un vif intérêt pour les récentes découvertes de gaz en Méditerranée orientale – et la Chine, particulièrement.
 
L’aubaine du combustible fossile du Levant 
 
Depuis les années 2000, les ressources du bassin du Levant – une zone comprenant les territoires maritimes d'Israël, de la Palestine, de Chypre, de la Turquie, de l'Egypte, de la Syrie et du Liban – sont estimées à hauteur de 1,7 milliard de barils de pétrole et jusqu'à 3 455 milliards de mètres cubes de gaz naturel. Etant donné que la plupart des ressources de la région reste encore à découvrir, les géologues estiment que ces chiffres pourraient constituer seulement un tiers de la quantité totale de combustibles fossiles du Levant.
 
Le nouveau rapport de l'armée américaine fait valoir que ces découvertes d'hydrocarbures sont d’« une importance économique et géostratégique capitale » non seulement pour ses alliés, mais pour les Etats-Unis eux-mêmes. Israël, en particulier, peut « considérablement tirer profit de ses nouvelles richesses gazières » en termes d'énergie rentable pour la consommation nationale et de revenus issus de l’exportation du gaz.
 
Mais alors que ces découvertes peuvent offrir la perspective d'une coopération régionale plus étroite, elles soulèvent en même temps « la possibilité de conflits liés à ces précieuses ressources ». Cette possibilité de conflits dont l’enjeu serait les ressources en pétrole et en gaz est directement mêlée aux insolubles conflits frontaliers entre Israël, les Palestiniens, le Liban et la Syrie, ainsi qu’à la question chypriote encore irrésolue entre la Grèce et la Turquie. Les intérêts américains sont donc de minimiser le risque de conflit entre ses alliés principaux, tout en maximisant leur capacité à exploiter ces ressources.
 
 « Israël, Chypre et la Turquie sont des alliés stratégiques essentiels des Etats-Unis » indique le rapport américain. « Les pays voisins, à savoir l’Egypte, la Syrie et le Liban, jouent aussi un rôle important du point de vue européen et américain, à la fois en tant que voisins directs d’Israël et des territoires palestiniens mais aussi en raison de leur emplacement stratégique au carrefour géographique de l'Europe, de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient. »
 
Ce rapport de l'armée américaine a été rédigé par Mohammed al-Katiri et Laura al-Katiri. Mohammed al-Katiri était directeur de recherches au Groupe d’évaluation et de recherche avancée (ARAG) du ministère britannique de la Défense (MoD). Il dirige actuellement deux cabinets privés de conseil en renseignement, MENA Insight et le Centre de recherche dans l’étude des conflits (CSRC), qui ont pour clients les secteurs public et privé, notamment l'industrie pétrolière et gazière.
 
L'Institut d'études stratégiques (SSI), qui a publié ce rapport, se qualifie d’« usine de réflexion » de l’armée à destination des « dirigeants militaires et civils ». SSI fournit des analyses indépendantes afin d’aider au « développement de recommandations politiques » sur les questions de sécurité nationale pour l'armée américaine, et d’« influencer le débat politique » au sein de l’institution militaire. 
 
Développer l'empire énergétique israélien
 
Le rapport SSI sur le risque de conflits liés aux ressources du Moyen-Orient note que bien que les découvertes massives de gaz au large des côtes d'Israël « doivent encore être traduites en réserves prouvées », les 268 milliards de mètres cubes confirmés et les 850 milliards de mètres cubes estimés placent d’ores et déjà Israël « en tête de tous les pays de l’est méditerranéen en termes de réserves de gaz et de ressources potentielles ».
 
Le rapport révèle également que la Syrie dispose aussi d’un potentiel significatif en ressources pétrolières et gazières au large de ses côtes. En 2007, avant le déclenchement des hostilités dans le pays, le président Bachar al-Assad avait lancé un premier appel d'offres pour développer les investissements visant à financer de nouveaux efforts d'exploration de ces réserves. Un autre appel d’offre avait été lancé en 2012 mais a par la suite été annulé en raison de la détérioration des conditions de sécurité.
 
 « Une fois le conflit en Syrie résolu, les perspectives de production syrienne en mer – à condition que les financements soient trouvés – sont élevées », indique le rapport. Les ressources pétrolières et gazières potentielles pourraient être développées « relativement sans difficulté dès que la situation politique permettra de nouveaux efforts d'exploration en mer ».
 
Le rapport mentionne également des découvertes importantes de gaz dans les territoires au large du Liban et de la Palestine, y compris la zone maritime de la bande de Gaza. L’exploitation de ces ressources, estimées à 28 milliards de mètres cube, a été « entravée par Israël en raison de ses inquiétudes concernant l’afflux possible de revenus pour la partie palestinienne ». En plus de la zone maritime de Gaza, « l’espace maritime palestinien au large de la bande côtière est présumé disposer d’un potentiel en hydrocarbures substantiel ». Les quantités totales sont encore inconnues du fait du manque d’exploration. 
 
« Israël et Chypre sont des alliés clés des Etats-Unis et des piliers pour leur politique étrangère dans la région. Israël jouit d’une longue tradition de liens politiques étroits avec les Etats-Unis et s’est historiquement placé au cœur des efforts de paix américains dans la région. Quant à Chypre, il constitue la partie la plus orientale de l'Europe et représente donc un emplacement stratégique de toute importance, tant pour les intérêts militaires américains que britanniques. »
 
Guerre régionale
 
La région fait face à quatre principales sources de conflit éventuel. Tout d'abord, en Israël-Palestine, l'étude de l'armée américaine avertit que « la présence de ressources naturelles de grande valeur dans les territoires contestés peut alimenter plus profondément le conflit ».
 
Deuxièmement, les revendications concurrentes d’Israël et du Liban au sujet de leurs frontières maritimes pourraient « compliquer » l’exploitation des ressources régionales en hydrocarbures et déboucher sur une confrontation militaire.
 
A son tour, ce risque a retardé les efforts de définition des zones économiques exclusives entre Chypre et Israël, et entre Chypre et le Liban, ce qui constitue une troisième source de conflit potentiel.
 
Quatrièmement, en 2013, Israël a accordé des licences d'exploitation pétrolière dans la région du Golan, revendiquée par la Syrie, posant ainsi « la possibilité d’un autre conflit armé entre les deux parties si de substantielles ressources en hydrocarbures venaient à être  découvertes ». Selon un rapport du Conseil de sécurité de l'ONU datant de début décembre 2014, Israël est en contact régulier avec les rebelles syriens, y compris les combattants de l’Etat islamique, ce qui soulève la question du rôle joué par Tel Aviv dans le soutien apporté aux extrémistes anti-Assad dans le but de consolider son contrôle des ressources potentielles en combustibles fossiles du Golan.
 
L'étude de l'armée américaine met en évidence le risque réel que les tensions inhérentes à ces différentes poudrières dégénèrent en un conflit régional plus large :
 
« Dans le cas d'un conflit armé entre Israël et le Liban, la sécurité de toute la région du Levant pourrait être à nouveau menacée, avec une possible escalade du conflit dans la Syrie voisine et les Territoires palestiniens, ainsi qu’en Jordanie et en Egypte en raison de précédents historiques. Si l’on ajoute à cela les problèmes politiques préexistants dans ces différents pays – la Syrie déstabilisée par une de facto guerre civile, l'Egypte en pleine instabilité politique, le manque de fondements politiques stables dans les Territoires palestiniens et au Liban – alors la possibilité d’une nouvelle guerre régionale susceptible de dégénérer est en effet un scénario menaçant. »
 
La guerre pour la paix (pour le gaz)
 
Afin de conjurer cette inquiétante perspective, le rapport américain recommande qu'Israël et d'autres foyers énergétiques comme le Liban et Chypre jouent un rôle clé dans l'exportation du gaz de la Méditerranée orientale vers leurs voisins arabes, tels l'Egypte, la Turquie et la Jordanie, étant donné que la demande de gaz au Moyen-Orient devrait considérablement augmenter dans les prochaines décennies.
 
Qui plus est, le rapport souligne la possibilité pour Israël d’acheminer du gaz vers la Turquie, d’où il pourrait ensuite être exporté vers les marchés européens, faisant ainsi de la Turquie une plateforme régionale de transbordement du gaz. Cela permettrait à la fois à la Turquie et à l'Europe de mettre un terme à leur dépendance au gaz russe, et de rejoindre cette nouvelle architecture énergétique « pacifique » dominée par les Américains et les Israéliens.
 
Comme l’a confirmé Ariel Ezrahi, conseiller énergétique auprès du représentant du Quartet pour le Moyen-Orient, Tony Blair, les ressources de gaz offshore de Gaza sont considérées comme un possible pont permettant de surmonter l'opposition populaire du public arabe à l’encontre des contrats de gaz avec Israël. « Les ressources en hydrocarbures au large des côtes israéliennes et palestiniennes pourraient jouer un rôle significatif en facilitant la confiance mutuelle et la volonté de coopérer », suggère l'étude de l'armée américaine, « y compris entre Israël et quelques-uns de ses autres voisins arabes, comme la Jordanie et l'Egypte. »
 
Cependant, en dernière instance cette architecture ne pourra être installée sans une intervention américaine appuyée. « Le soutien diplomatique et militaire des Etats-Unis a un rôle central à jouer dans le paysage géopolitique complexe de la rive orientale de la Méditerranée, et son importance ne fera que croître au fur et à mesure qu’augmentera la valeur des ressources naturelles en jeu », conclut le rapport.
 
 « Le soutien sécuritaire et militaire des Etats-Unis à ses principaux alliés au cas où un conflit lié aux ressources naturelles dans l’est méditerranéen venait à éclater peut s’avérer essentiel pour la gestion de l’éventuel conflit ».
 
Diplomatiquement, les Etats-Unis pourraient jouer un rôle important en servant de médiateurs entre les différentes parties en vue de faciliter des projets de développement pétrolier et gazier prospères à travers la Méditerranée orientale, pas seulement dans « l’intérêt d'Israël » mais aussi pour consolider ses alliés, par exemple la Jordanie et l'Egypte, grâce « au gaz israélien bon marché ». Cela contribuerait à la stabilité économique, et donc politique, de la région.
 
 « Le soutien américain – diplomatique et, si nécessaire, militaire – peut constituer un élément puissant pour la préservation de ces bénéfices économiques à long terme, et ce, relativement à peu de frais ».
 
Toutefois, si les tensions régionales vont en s’aggravant, le rapport avertit que « les Etats-Unis disposent également d’un positionnement militaire important qui pourrait avoir un impact dans la sécurisation de la Méditerranée orientale », par le biais notamment de « formations militaires et du support en équipement », afin de défendre Chypre et Israël de toute attaque contre « leurs infrastructures énergétiques et exploitations gazières ».
 
Ce document orwellien révèle ainsi que, au nom du maintien de la paix régionale, un nouveau Grand Jeu est en marche. Pour à la fois contrer l'influence russe et chinoise et cimenter l’influence des Etats-Unis sur leurs alliés arabes, les stratèges militaires américains envisagent la menace de guerre dans le but de redessiner l'architecture énergétique du Moyen-Orient autour d'Israël.
 
 
 - Nafeez Ahmed est journaliste d'investigation et auteur de bestsellers. Titulaire d’un doctorat, il s’est spécialisé dans les questions de sécurité internationale, examinant ce qu'il appelle les « crises de civilisation ». Il est le lauréat du Project Censored Award for Outstanding Investigative Journalism pour son reportage d’investigation pour le journal The Guardian sur l'intersection des crises globales de nature écologique, énergétique et économique et des conflits et géopolitiques régionales. Il a également écrit pour The Independant, Sydney Morning Herald, The Age, The Scotsman, Foreign Policy, The Atlantic, Quartz, Prospect, New Statesman, Le Monde diplomatique et New Internationalist. Son travail sur les causes profondes et les opérations secrètes liées au terrorisme international a officiellement contribué à l’établissement de la Commission nationale sur les attaques terroristes contre les Etats-Unis du 11 septembre 2001 et à l'enquête du Coroner sur les attentats du 7 juillet 2005 à Londres.
 
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
 
Ce texte est une traduction de la version originale anglaise.
 
Légende photo : Un Egyptien regarde les flammes s’élevant de l’explosion d’'un gazoduc approvisionnant Israël et la Jordanie à quelque 40 kilomètres à l'ouest de la ville d'Al-Arish, dans le nord de la péninsule du Sinaï, le 10 Novembre 2011 (AFP).
 
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