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Les Palestiniens se mobilisent en soutien aux prisonniers en grève de la faim

Lundi 8 avril, des dizaines de détenus palestiniens ont entamé une grève de la faim pour protester contre leurs conditions d’incarcération dans les prisons israéliennes. Alors que de nouvelles négociations ont été ouvertes, les mobilisations de soutien s’amplifient
Manifestation de soutien aux prisonniers palestiniens dans le centre de Ramallah, en Cisjordanie occupée, le mercredi 10 avril (Laurent Perpigna Iban)
Par Laurent Perpigna Iban à RAMALLAH, Territoires palestiniens occupés (Cisjordanie)

Une quarantaine de Palestiniens détenus dans les prisons israéliennes ont entamé ce lundi une grève de la faim, baptisée « grève de la dignité ». En cause, leurs conditions de détention, et plus particulièrement la récente installation de brouilleurs de signaux dans certains établissements pénitentiaires, destinés à empêcher les communications téléphoniques avec l’extérieur.

« Cela a été le détonateur qui les a poussés à entamer une grève de la faim lundi », explique à MEE Qadura Fares, porte-parole du Club des prisonniers palestiniens.

« Leur situation se dégrade. En plus de ces brouilleurs [de signaux], l’administration israélienne veut aujourd’hui revenir des années en arrière sur différents points »

- Qadura Fares, Club des prisonniers palestiniens

« Grace à leurs combats menés ces dernières années, les prisonniers avaient réussi à garantir certains de leurs droits », poursuit Qadura Fares. « Mais leur situation se dégrade. En plus de ces brouilleurs, l’administration israélienne veut aujourd’hui revenir des années en arrière sur différents points. »

Ces dernières semaines, dans un contexte électoral agité en Israël, les proches des prisonniers rapportent une augmentation significative des mesures répressives, comme la confiscation de centaines d’ouvrages, l’intrusion dans les cellules, ou encore les interdictions de visites formulées à l’encontre de plusieurs centaines de familles.

Cette récente action de protestation propulse une nouvelle fois la question des 5 248 Palestiniens incarcérés en Israël au centre de toutes les attentions.

« La seule arme pour lutter »

Dans les grandes villes de Cisjordanie – mais aussi à Haïfa le 11 avril –, des centaines de Palestiniens sont descendus dans les rues afin de faire entendre leur soutien aux prisonniers. Une cause qui rassemble la société palestinienne.

« La question des prisonniers est prioritaire. Peut-être que nous sommes divisés politiquement, mais en tout cas, sur ce sujet, nous sommes tous unis », déclare à MEE Rula Abu Duhou, militante et elle-même ancienne prisonnière.

Les forces israéliennes montent la garde devant la prison israélienne d’Ofer en décembre 2016 (AFP)
Les forces israéliennes montent la garde devant la prison israélienne d’Ofer en décembre 2016 (AFP)

Selon le Club des prisonniers palestiniens, toutes les principales factions politiques palestiniennes soutiennent cette initiative, y compris le Fatah du président palestinien Mahmoud Abbas.

« La question des prisonniers est prioritaire. Peut-être que nous sommes divisés politiquement, mais en tout cas, sur ce sujet, nous sommes tous unis »

- Rula Abu Duhou, militante et ancienne prisonnière

« Ce sont des membres de nos familles, mais aussi des héros pour tout notre peuple. Ils ont besoin de notre soutien et pour cette grève de la faim, nous allons leur donner tout ce que nous pouvons », ajoute Rula Abu Duhou lors d’une manifestation de soutien le mercredi 10 avril à Ramallah.

Autour d’elle, plusieurs dizaines de personnes brandissent des portraits de leurs proches emprisonnés. Parmi elles, Wafa*, dont le fils est emprisonné depuis quinze ans.

« Je ne l’ai pas vu depuis dix mois. Je ne parviens plus à dormir. Observer une grève de la faim, c’est se laisser mourir à petit feu. S’il lui arrivait quelque chose, je n’aurais plus de raison de continuer à vivre », confie-t-elle, submergée par l’émotion.

« La vie en prison ? Vous n’en avez plus », reprend Rula Abu Duhou. « Tout est éprouvant. La nourriture, l’isolement, l’absence de soin pour les personnes souffrantes, les entraves faites aux familles pour qu’elles ne puissent pas vous écrire ou vous rendre visite… Ils cherchent à vous déconnecter du monde. »

Cette femme de 50 ans, qui a passé neuf années de sa vie derrière les barreaux et a participé à plusieurs grèves de la faim, insiste sur l’extrême souffrance que ce mode de protestation provoque.

« C’est une destruction de votre corps, jour après jour. Et même à l’issue d’une grève de la faim, c’est extrêmement difficile de recommencer à se nourrir. Mais c’est, pour les prisonniers, la seule arme dont ils disposent pour lutter. »

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Les prisonniers palestiniens ont régulièrement recours à la grève de la faim pour braquer les projecteurs sur leurs conditions de détention, mais celle-ci pourrait être la plus importante depuis celle lancée en avril 2017 par Marouane Barghouti, ancien secrétaire général du Fatah et actuel membre du Conseil législatif palestinien, condamné par un tribunal israélien à cinq peines d’emprisonnement à vie.

Suivie par près de 800 prisonniers, cette grève de la faim avait trouvé une issue favorable après 41 jours de combat.

Le rétablissement de deux visites mensuelles pour les proches des détenus, acté lors de négociations entre l’administration pénitentiaire et les prisonniers, avec la médiation du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), avait alors sonné comme une victoire politique pour les Palestiniens.

« Tout s’était débloqué en quelques heures », se souvient Qadura Farès.

Ouverture de nouvelles négociations

Les mobilisations de soutien aux prisonniers sont souvent vectrices de tensions entre Palestiniens et forces israéliennes, particulièrement en Cisjordanie.

« Je ne l’ai pas vu depuis dix mois. Je ne parviens plus à dormir. Observer une grève de la faim, c’est se laisser mourir à petit feu. S’il lui arrivait quelque chose, alors je n’aurais plus de raison de continuer à vivre »

- Wafa, mère de détenu

Ce fut le cas, avant même que les prisonniers ne débutent leur grève de la faim, le mercredi 27 mars, lorsque plusieurs Palestiniens qui manifestaient contre les mesures de détention en Israël ont été blessés lors d’affrontements avec des soldats israéliens à al-Bireh, une ville adjacente à Ramallah.

Pour la porte-parole du Club des prisonniers palestiniens, l’enjeu est également politique en Israël : « Sur la question pénitentiaire, les autorités israéliennes ont légiféré à neuf reprises en deux ans. Le ministre israélien de la Sécurité interne, Guilad Erdan, a d’ailleurs utilisé cet enjeu afin de de se garantir une bonne place au sein du Likoud. »

Alors que les négociations entamées ces derniers jours n’ont pour l’heure pas trouvé d’issue favorable, les détenus entendent bien exercer une pression constante sur l’État d’Israël dans les jours à venir. Jeudi 11 avril, une nouvelle vague de prisonniers rejoignait le mouvement de grève de la faim ; samedi 13 avril, vingt-cinq d’entre eux entameront en outre une grève de la soif.

Si aucune solution n’est trouvée, le Club des prisonniers palestiniens annonce un grand rassemblement à l’occasion de la Journée de solidarité avec les prisonniers palestiniens, le mercredi 17 avril, lors de laquelle plusieurs centaines de prisonniers devraient rejoindre le mouvement de grève.

Une activiste Palestinienne transportée à l’intérieur d’un véhicule de la police israélienne près de Tel Aviv, en juin 2010 (AFP)
Une activiste Palestinienne transportée à l’intérieur d’un véhicule de la police israélienne près de Tel Aviv, en juin 2010 (AFP)

« Il y a en ce moment des négociations à deux niveaux : d’un côté, entre les différentes factions palestiniennes et l’État d’Israël, et de l’autre, des pourparlers directs entre les prisonniers et l’administration pénitentiaire israélienne », explique à MEE Qadura Fares.

« Nous espérons trouver un consensus dans un délai court, certains éléments nous poussent à croire que ces négociations peuvent aboutir rapidement. »

En attendant, tous et toutes le promettent : la mobilisation dans les rues palestiniennes ne fera que s’amplifier dans l’attente d’une solution.

« Tant que la grève de la faim se poursuivra, nous serons de plus en plus nombreux. Nous allons suivre les négociations de près, et nous resterons dans les rues jour et nuit s’il le faut », prévient Rula Abu Duhou.

* Le prénom a été changé à la demande de l’intéressée.

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