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L’effondrement des prix pétroliers bouscule l’agenda du pouvoir algérien

La démarche économique essentiellement dilatoire mise en œuvre depuis plusieurs mois par les autorités algériennes a finalement été rattrapée par l’évolution de la conjoncture économique mondiale
Les objectifs du président, extrêmement ambitieux, visent essentiellement à réduire au total, en moins d’un an, les importations de plus d’un tiers (AFP)

Les prix du baril qui continuent de dévisser sont une bien mauvaise surprise pour le gouvernement algérien. Depuis qu’ils sont entrés en fonction, le président Abdelmadjid Tebboune ainsi que son Premier ministre s’étaient tous deux montrés très confiants à propos des perspectives financières du pays.

Au mois de février, le chef de l’État algérien estimait : « La situation financière du pays n’est pas critique, il y a une certaine amélioration. Les recettes fiscales augmentent et il y aura d’autres mesures. »

Très optimiste, le président affirmait aussi : « Le dinar connaît à présent un frémissement et nous avons même une légère stabilité des réserves de change, nous espérons la voir se consolider à la fin de ce trimestre. »

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Dans la même veine, son Premier ministre, le juriste Abdelaziz Djerad, avait assuré voici quelques semaines, à l’occasion de la présentation du programme de son gouvernement devant les députés : « Il existe énormément de possibilités qui s’offrent à l’Algérie lui permettant de réunir beaucoup d’argent », en précisant : « Nous avons de l’argent qui existe en Algérie qui peut être récupéré à travers les réformes des systèmes bureaucratiques, de la fiscalité et des banques. »

Face aux interrogations des parlementaires sur les moyens de financer un programme qui comporte beaucoup plus de dépenses que de nouvelles recettes, le Premier ministre algérien affirmait de façon peu convaincante que son équipe s’attellerait « à diversifier les ressources financières du pays par l’augmentation de l’efficacité du recouvrement fiscal, la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales ainsi que la révision du système des avantages fiscaux ».

Quadrature du cercle

Jusqu’à tout récemment, on ne notait aucune inflexion significative dans la politique économique annoncée et mise en œuvre par le gouvernement.

« Face à une conjoncture qui reste difficile, l’État dispose des moyens nationaux pour faire face » : c’est par un communiqué aux accents martiaux que dans la soirée du mardi 10 mars, la présidence de la République algérienne tentait de rassurer l’opinion nationale face à l’effondrement des prix pétroliers.

Dès le lendemain du « lundi noir » qui avait vu le prix du baril plonger de 30 % pour tomber depuis à moins de 30 dollars, le président Tebboune convoquait dans l’urgence une « réunion extraordinaire » d’une grande partie de l’exécutif dans le but de procéder « à l’évaluation de la situation économique à la suite de la chute drastique du prix du baril de pétrole sur le marché international ».

Jusqu’à tout récemment, on ne notait aucune inflexion significative dans la politique économique annoncée et mise en œuvre par le gouvernement

Le ton était donné par le président qui invitait les membres du gouvernement algérien à résoudre ce qui s’apparente à une véritable quadrature du cercle en « prenant toutes les dispositions qui s’imposent pour juguler les effets de cette conjoncture adverse sur l’économie nationale sans que le citoyen ne soit en aucun cas touché ni dans son revenu, ni dans son quotidien ».

Le résultat le plus concret de cette « réunion extraordinaire » devait être la confection « immédiate » d’une loi de finance complémentaire qui devait maintenir globalement les engagements électoraux du président.

Le lundi 9 mars, alors que les prix pétroliers étaient en chute libre, Abdelaziz Djerad confirmait à l’agence de presse officielle le maintien des promesses du président concernant la revalorisation des revenus les plus faibles grâce à une augmentation du salaire minimum et la suppression de l’impôt sur les salaires inférieurs à 30 000 dinars (225 euros).  

Les avocats obtenaient également satisfaction. Ils étaient descendus en masse dès le mois de janvier dans les rues des villes du pays pour protester contre la taxation au réel des revenus des professions libérales prévue par la loi de finance 2020.

Le Premier ministre Abdelaziz Djerad : « Nous avons de l’argent qui existe en Algérie qui peut être récupéré à travers les réformes des systèmes bureaucratiques, de la fiscalité et des banques » (AFP)

Abdelaziz Djerad se voulait rassurant en confirmant par ailleurs l’intégration à titre permanent dans la fonction publique de près de 400 000 travailleurs qui émargeaient depuis plus de deux décennies à un dispositif d’« emplois d’attente » massivement sollicité pour contenir la montée du chômage notamment chez les jeunes diplômés.

Grosse cerise sur le gâteau, le gouvernement levait « les contraintes rencontrées dans la réalisation du programme national de logement, notamment celles liées au foncier et au financement » en envisageant « la distribution de 450 000 logements et aides d’ici fin 2020, dont 70 000 unités, tous segments confondus, [qui] seront distribués durant le mois de mars 2020 ».

Pour l’exécutif algérien, acculé à une véritable impasse par la situation politique du pays et les promesses du programme présidentiel, hormis un changement de discours et une posture martiale face à la tourmente qui s’annonce, tout se passait en réalité comme si la crise n’existait pas.

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Pas un mot sur une éventuelle dévaluation du dinar. Le président algérien rejetait également « de manière ferme le recours à l’endettement extérieur et au financement non conventionnel ». Ce qui constituait un recul spectaculaire par rapport à la loi de finance 2020.

Ultime manifestation de cet attentisme, alors que les subventions énergétiques ont atteint au cours des dernières années le niveau colossal de 8 % du PIB et coûtent plus de quinze milliards de dollars par an aux finances publiques, le ministre de l’Énergie, Mohamed Arkab précisait le 19 mars : « Aucune augmentation des tarifs de l’électricité et des carburants [qui figurent parmi les plus bas du monde] n’est prévue dans la prochaine loi de finances. »

Les réserves de change dernier rempart

Cette capacité présumée de l’État algérien à faire face à la crise ne se limitait pas au financement du budget. Elle s’étendait également aux financements extérieurs.

Un des observateurs les plus clairvoyants de la scène économique algérienne au cours des dernières années, le professeur Mohamed Cherif Belmihoub, note : « Les réserves de change encore disponibles sont le seul rempart qui reste face à la crise, elles atténuent significativement les impacts négatifs sur l’économie et la population. Mais peut-être, avec la crise, le moment est-il venu d’engager une véritable réforme économique. Pour la réussir, il faut une vision politique, des compétences nationales, une pédagogie et une communication à destination des citoyens pour expliquer les enjeux et les défis. »

Le président Tebboune ne semblait pas du tout sur la même longueur d’onde que l’universitaire algérien.

Les réserves nationales de change, désormais passées sous la barre des 60 milliards de dollars, continueraient à être consommées jusqu’au dernier dollar au cours des deux prochaines années

Au terme de la réunion d’urgence de l’exécutif du 10 mars, il a donné « des instructions au ministre du Commerce pour une gestion intelligente des importations sans que le citoyen ou l’économie nationale ne soit privés de quoi que ce soit, sachant que l’État dispose de moyens suffisants pour les années 2020 et 2021 pour ne pas subir des pénuries d’intrants industriels ou de produits nécessaires à la vie du citoyen ».

À la lettre, ces instructions du président algérien semblaient signifier que les réserves nationales de change, désormais passées sous la barre des 60 milliards de dollars, continueraient à être consommées jusqu’au dernier dollar au cours des deux prochaines années.

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Compte tenu des cours pétroliers anticipés pour cette période par la plupart des analystes, elles pourraient même être épuisées bien avant la date évoquée par Abdelmadjid Tebboune.

C’est un autre expert financier algérien réputé pour des analyses sans concessions, Omar Berkouk, qui résume l’impression générale laissée par ce train de mesures d’urgence. « Les dernières décisions de l’exécutif et les déclarations du président Tebboune ne sont pas sérieuses ou bien ce sont celles d’un chef d’État qui pense qu’il ne sera plus là dans dix-huit mois. C’est le temps moyen que dureront les réserves de changes. Il laissera à son remplaçant le soin de négocier avec les institutions financières internationales », anticipait-t-il.

« Pour ne pas recourir à ces solutions, il lui faudrait réduire drastiquement les deux déficits avec des conséquences économiques et sociales dramatiques. Il faudra beaucoup de créativité pour éviter la planche à billets ! Quant à l’endettement externe, il renonce à quelque chose qu’il ne peut pas obtenir dans de bonnes conditions. Ces conditions seront imposées ultérieurement quand le pays sera exsangue. »

Le coup de théâtre du 22 mars 

La démarche économique essentiellement dilatoire mise en œuvre depuis plusieurs mois par les autorités algériennes a finalement été rattrapée par l’évolution de la conjoncture économique mondiale.

Le dimanche 22 mars, le président Tebboune convoquait un nouveau Conseil des ministres extraordinaire. Au menu, toujours les conséquences de l’effondrement des prix pétroliers sur l’Algérie. Mais cette fois les décisions qui sortiront de ce conseil sont bien différentes.

Même si le mot n’est pas encore prononcé, il s’agit de mettre en œuvre des mesures dignes d’une véritable « économie de guerre »

En moins d’une semaine, l’exécutif a complètement changé son fusil d’épaule à propos des conséquences de la crise pétrolière sur l’économie du pays. Le gouvernement algérien semble désormais décidé à tout faire pour éviter le scénario d’un épuisement précoce des réserves de change nationales.

Les décisions annoncées par le président Tebboune visent très solennellement à « préserver la souveraineté du pays et l’indépendance de la décision économique nationale ». Elles cherchent à empêcher « des choix que l’histoire ne nous pardonnerait pas ».

Même si le mot n’est pas encore prononcé, il s’agit de mettre en œuvre des mesures dignes d’une véritable « économie de guerre », principalement grâce à des objectifs fortement révisés en baisse en matière d’importation de biens et de services. Les décisions concernent aussi la réduction drastique des dépenses du budget de fonctionnement de l’État et la stratégie de la compagnie nationale des hydrocarbures, Sonatrach.

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Ces objectifs, extrêmement ambitieux, visent essentiellement à réduire au total, en moins d’un an, les importations de plus d’un tiers, soit 17 milliards de dollars à raison de plus de 10 milliards pour les marchandises et 7 milliards pour les services.

Il est aussi question d’imposer une véritable cure d’amaigrissement au budget de l’État en réduisant les dépenses de fonctionnement de 30 %.

Sonatrach est également en première ligne et la compagnie nationale, qui procure au pays 40 % de ses recettes fiscales et plus de 95 % de ses revenus d’exportation, est invitée carrément à diviser par deux ses investissements et ses dépenses d’exploitation.

Indépendamment du réalisme de telles prévisions et de la faisabilité, qui semble très loin d’être acquise, des nouveaux objectifs fixés par le chef de l’État algérien, les dernières décisions du gouvernement algérien marquent sans aucun doute une prise de conscience et un tournant dans la politique économique du pays.

Au cours de ses dernières interventions publiques, le président Tebboune assurait : « Les réformes économiques ne sont pas ajournées » en ajoutant que dans ce domaine, « il n’y a pas de marge d’erreur possible ».

À demi-mot, le président algérien indiquait clairement que de nouveaux délais étaient nécessaires dans ce domaine et que rien ne serait décidé au cours des deux années à venir, qui devaient être consacrées à la réflexion et au dialogue, à travers notamment l’organisation de nombreuses « assises nationales ».

Le gouvernement était appelé à prendre son temps. Abdelmadjid Tebboune s’est dit persuadé que « durant les deux prochaines années, il n’y aura pas de problèmes pour ce qui est du financement des transferts sociaux, mais il faut trouver une solution et combattre le gaspillage ».

La nouvelle donne sur les marchés pétroliers a donc bousculé complètement les certitudes des dirigeants algériens. En rapprochant les échéances d’un épuisement programmé des réserves financières du pays, elle a fortement resserré le calendrier pour un exécutif qui ne dispose plus désormais des « deux années » sur lesquelles il comptait voici encore quelques semaines.

Les conséquences seront également politiques. Elles devraient consister en une accélération de l’agenda politique présidentiel avec l’approbation d’une nouvelle Constitution et l’organisation d’élections législatives dans la foulée – sans doute au début de l’année prochaine.

C’est alors à un nouveau gouvernement, issu des urnes, qu’incombera la lourde tâche d’effectuer, dans des conditions qui s’annoncent extrêmement délicates, beaucoup des ajustements économiques qui ont été différés depuis 2014.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Hassan Haddouche est un journaliste algérien. Après avoir effectué des études d’économie en France et en Algérie, il débute sa carrière dans l’enseignement supérieur avant de rejoindre la presse nationale au début des années 1990. Il a collaboré avec de nombreux journaux (L’Observateur, La Tribune, La Nation, Liberté) et sites électroniques (Maghreb émergent, TSA) algériens.
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