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Accord avec l'Iran sur le nucléaire : dilemme crucial pour le Hamas

Le mouvement palestinien pourrait faire l'objet d'une lutte acharnée entre des ennemis jurés : les deux plus grandes puissances régionales, l'Iran et l'Arabie saoudite

La levée de toute la série de sanctions qui frappaient l'Iran, l'une des conditions de l'accord sur le nucléaire, permettra à Téhéran de renforcer sa présence régionale, et les répercussions sur la Syrie, l'Irak, le Liban, le Yémen et le Golfe sont attentivement jaugées. La Palestine, en revanche, a reçu relativement moins d'attention, même si l'accord sur le nucléaire pourrait sensiblement influencer ses dynamiques internes et le conflit avec Israël.

À cet égard, c'est le Hamas qui a le plus à gagner ou à perdre, selon la façon dont il abattra ses cartes. Plusieurs signes laissent déjà penser que la faction palestinienne pourrait faire l'objet d'une lutte acharnée entre les deux plus grandes puissances régionales, l'Iran et l'Arabie saoudite, des ennemis jurés. Que le Hamas se tourne vers l'un ou vers l'autre, son choix aura de toute façon des implications majeures et sans doute à long terme quant à sa position nationale et régionale.

Depuis fin 2013, on entend parler d'un dégel des relations entre le Hamas et Téhéran, deux anciens alliés. Ils s'étaient fâchés suite à la suspension en 2012 du financement par l'Iran, vital pour le Hamas, et d'une valeur estimée à quelque 23 millions de dollars par mois, en raison du refus de son ami de soutenir le président Bachar al-Assad, allié régional clé de Téhéran, dans le conflit syrien.

Pour amorcer ce dégel, des rencontres de haut niveau se sont tenues à partir de fin 2013 en Iran, en Turquie et au Qatar, tant et si bien qu'un haut responsable du Hamas a déclaré en janvier 2014 que les relations bilatérales « sont désormais pratiquement aussi bonnes qu'avant la guerre syrienne ».

Les liens du Hamas avec Téhéran et avec l'allié libanais de l’Iran, le Hezbollah, qui s'était lui aussi éloigné de la faction palestinienne à cause de la Syrie, se sont encore améliorés pendant et après la dévastatrice offensive israélienne l'été dernier contre Gaza, région contrôlée par le Hamas.

Les relations entre l'Iran et le Hamas achoppent au sujet de la Syrie

En avril cette année, selon certaines informations, fondées sur des sources anonymes cependant, l'Iran aurait alloué des millions de dollars à la branche armée du Hamas et, ces derniers mois, le mouvement aurait réitéré sa volonté de tisser à nouveau des liens plus étroits.

Or, ce rapprochement butte sur trois pierres d'achoppement. Tout d'abord, le Hamas ne donne aucun signe d'un revirement à 180 degrés vis-à-vis d'Assad, malgré les efforts de Téhéran pour ce faire, et Assad lui-même a asséné en avril : « Je pense que le peuple syrien ne fera jamais plus confiance au [Hamas] ».

Deuxièmement, les branches politique et militaire de la faction verraient d'un mauvais œil une autre des conditions iraniennes : la démission de son chef, Khaled Mechaal. Troisièmement, en mars, le Hamas a exprimé son soutien au président yéménite Abd Rabo Mansour Hadi, dont les adversaires Houthis sont soutenus par Téhéran.

Ce sont sans doute ces obstacles qui ont motivé le 16 juillet une rencontre comme on en voit rarement entre de hauts responsables du Hamas et de l'Arabie saoudite à Riyad, dont le chef du Hamas, Khaled Meshaal et le roi Salmane. Tenue tout juste deux jours après la signature de l'accord sur le nucléaire, voilà qui pourrait signaler une tentative préventive de la part de Riyad de soustraire le Hamas à la sphère d'influence iranienne.

Les relations entre le Hamas et Riyad se seraient améliorées depuis l'arrivée sur le trône du prince héritier Salmane, qui a démontré une plus forte agressivité que son défunt prédécesseur envers Téhéran et ses alliés.

Vers qui se tourner : Riyad ou Téhéran ?

Le Hamas est à la croisée des chemins, et choisir l'un ou l'autre est à la fois autant risqué que potentiellement lucratif : soit il se met carrément du côté de l'un ou de l'autre, soit il tente de soutenir les deux à parts égales. La première approche se traduirait par le soutien sans réserve de l'un des rivaux, au risque de s'attirer les foudres de l'autre. La seconde peut lui valoir quelque soutien, mais au prix d'une certaine suspicion et mise à distance de la part des deux. Dilemme cornélien, mais crucial pour le Hamas.

Un plus étroit rapprochement avec Téhéran risque non seulement de contrarier Riyad, mais également les nombreux alliés régionaux de l'Arabie saoudite, y compris les riches pays du Golfe et deux voisins géostratégiquement très importants de la Palestine : l'Égypte et la Jordanie. Ce serait aussi risquer de compromettre ses liens avec les bailleurs clés du Hamas : la Turquie et le Qatar ; tous deux ont exprimé leurs préoccupations à la perspective d'une future hégémonie régionale iranienne, suite à l'accord sur le nucléaire.

Pencher pour Riyad pourrait encourager les États du Golfe à lui offrir leur soutien financier, dont il a grand besoin. Ces pays pourraient également alors faire pression sur le gouvernement égyptien, fort redevable aux pays du Golfe pour leur soutien, afin qu'il desserre son blocus de Gaza et démontre moins d'hostilité envers le Hamas.

Les États-Unis souhaiteraient voir Salmane tourner le dos au Hamas, mais le nouveau roi pourrait s'avérer moins sensible à leurs pressions, compte tenu de ses tentatives d'affirmer une politique étrangère plus indépendante, dans le contexte de ses doléances, publiquement exprimées : suite à l'accord sur le nucléaire, au tiède soutien américain au rebelles syriens, et à la volonté de Washington de coopérer avec Téhéran en Irak.

Le soutien saoudien pourrait également renforcer la position du Hamas dans sa rivalité avec l'Autorité palestinienne (AP), dominée par le Fatah. L'AP sera sans aucun doute fort contrariée d'une telle relation. En avril, un conseiller du président de l'AP, Mahmoud Abbas a exhorté Riyad à « traiter » le Hamas « avec une main de fer », mais il n'a pas de moyens de pression sur le royaume.

Support iranien à la résistance

Toutefois, la levée des sanctions offre la perspective d'un Iran considérablement plus riche et donc d'une aide financière plus substantielle au Hamas, ainsi qu'un soutien militaire accru de la part de Téhéran et du Hezbollah. Riyad et ses alliés auraient à se rendre d'autant plus séduisants pour courtiser le Hamas, et si une surenchère financière ne leur pose pas de problème, un soutien militaire est hautement improbable.

« En termes de logistique et formation, l'Iran en a fait plus pour soutenir la résistance que tout autre pays », a souligné en mars un responsable du Hamas, Ahmad Youssef. Le Hamas est en conflit avec Israël et ses ressources militaires sont épuisées suite à sa guerre de l'an dernier. Outre sa rivalité avec l'Autorité palestinienne, son autorité sur la bande de Gaza est mise à mal par les djihadistes et il doit absolument tenir le territoire et préserver le cessez-le feu avec Israël : cette faction a donc autant besoin de soutien militaire que financier.

Tant l'Arabie saoudite que l'Iran bénéficient de l'amélioration des relations avec le Hamas car cela légitime leur image de champions autoproclamés de la cause palestinienne, statut que leurs adversaires respectifs remettent de plus en plus souvent en question ces dernières années. Les détracteurs de Riyad, qui l'accusent de s'aligner trop étroitement sur Israël, notamment au sujet de l'Iran, s'en trouveraient affaiblis, tout comme ceux qui accusent Téhéran de lâcher le Hamas sur la question syrienne.

Du point de vue de l'Iran, le retour dans son giron du seul élément palestinien de « l'axe de résistance » autoproclamé, comprenant Téhéran, Assad, le Hezbollah et, jadis, le Hamas, renforcerait la crédibilité de la réputation du groupe.

Du point de vue du Hezbollah, embourbé dans le conflit syrien pour venir en aide à un Assad en périlleuse posture, la présence d'un Hamas en tant qu’allié plus puissant ne gâterait rien, surtout en cas de reprise du conflit avec Israël.

Si les deux camps sont amenés à le courtiser, cet accord sur le nucléaire offre au Hamas une chance, voire même une renaissance. D'autant plus quand on sait l'isolement régional dans lequel il se trouve ces dernières années, et les innombrables problèmes internes qu'il lui faut encore résoudre.

Cependant, la présence même de ces deux prétendants trahit sa grande faiblesse : il a besoin de soutiens extérieurs, et s'avère donc vulnérable à l'incessante instabilité des plaques tectoniques du Moyen-Orient. Quand l'heure viendra de trancher sur les questions épineuses auxquelles il doit répondre à ce moment critique de son existence, ses divisions internes risquent de s'en trouver exacerbées.

- Sharif Nashashibi, journaliste et analyste primé sur les affaires arabes, collabore régulièrement à diverses publications, dont Al Arabiya News, Al Jazeera English, The National, et The Middle East magazine. En 2008, il a reçu un prix du Conseil international des médias « pour savoir créer les conditions de reportages régulièrement équilibrés » sur le Moyen-Orient, et en avoir réalisé lui-même.

Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale du Middle East Eye.

Photo : Riyad, le 3 janvier 2010, Khaled Mechaal, chef en exil du Hamas, (à gauche), lors de la conférence de presse tenue conjointement avec le ministre saoudien des Affaires étrangères, le prince Saoud al-Fayçal, suite à leur entrevue (AFP)

Traduction de l' original par Dominique Macabies

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