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Au-delà du Moyen-Orient : le génocide des Rohingyas

Au-delà du Moyen-Orient : le génocide des Rohingyas

« Non, non et non », a répondu le Premier ministre australien Tony Abbott lorsqu’on lui a demandé si son pays accueillerait le moindre des quelque 8 000 réfugiés rohingyas coincés en mer.

La logique d’Abbott est aussi impitoyable que sa décision d’abandonner la minorité la plus persécutée au monde dans ses heures les plus sombres. « Ne pensez pas que monter sur un bateau qui prend l’eau sous les ordres d’un passeur sera bénéfique pour vous ou votre famille », a-t-il déclaré.

Cependant, Abbott est loin d’être le principal responsable des souffrances continues qu’endurent les Rohingyas, une ethnie musulmane vivant au Myanmar, ou Birmanie. Toute la région de l’Asie du Sud-Est est coupable. Elle ignore le sort des Rohingyas depuis des années. Alors que des dizaines de milliers de Rohingyas sont victimes d’un nettoyage ethnique, voient leur village être incendiés, sont envoyés dans des camps de concentration et sont pour certains réduits en esclavage, la Birmanie est célébrée par diverses puissances occidentales et asiatiques comme un exemple de réussite d’un pays gouverné par une junte militaire devenu une démocratie.

« Après la transition du Myanmar de la dictature à la démocratie en 2011, la liberté d’expression retrouvée a donné une voix aux extrémistes bouddhistes qui ont craché leur haine contre la minorité religieuse et accusé les musulmans de prendre le contrôle du pays », a rapporté l’Associated Press depuis la capitale birmane, Yangon.

Cette « liberté d’expression retrouvée » a coûté la vie à plusieurs centaines de personnes et dépossédé des milliers d’autres de leurs biens, tandis que « 140 000 Rohingyas ont également été chassés de leur maison et vivent maintenant dans des conditions d’apartheid dans des camps de déplacés surpeuplés ».

S’il est acceptable que la liberté d’expression soit parfois propice à des discours de haine, l’idée que la prétendue démocratie birmane ait abouti à la victimisation des Rohingyas est loin de la vérité. Leur souffrance sans fin remonte à plusieurs décennies et est considérée comme un des chapitres les plus sombres de l’histoire moderne de l’Asie du Sud-Est. Quand ils se sont vu refuser la citoyenneté en 1982 (en dépit de la croyance selon laquelle ils étaient les descendants de commerçants musulmans qui se sont installés en Arakan et dans d’autres régions birmanes il y a plus de mille ans), leur persécution est quasiment devenue une politique officielle.

Même ceux qui prennent la mer pour échapper aux conditions de vie difficiles en Birmanie éprouvent des difficultés à parvenir au salut tant convoité. « Au Myanmar, ils sont soumis aux travaux forcés, n’ont pas de droits fonciers et font face à de fortes restrictions. Au Bangladesh, beaucoup sont aussi désespérément pauvres et n’ont pas de documents ni de perspectives d’emploi », a rapporté la BBC.

Et comme de nombreuses parties concernées trouvent leur intérêt en faisant la promotion de l’avènement illusoire de la démocratie birmane (un rare point de convergence entre les États-Unis, la Chine et les pays de l’ASEAN, qui recherchent tous à réaliser des prouesses économiques dans le pays), peu de gouvernements se soucient des Rohingyas.

Malgré la récente prise de position de la Malaisie et de l’Indonésie, souhaitant épater la galerie en affichant leur volonté d’accueillir sous certaines conditions les survivants rohingyas coincés en mer depuis plusieurs jours, la région dans son ensemble s’est montrée « extrêmement inhospitalière », selon Chris Lewa d’Arakan Project, un groupe militant rohingya.

« Contrairement aux pays européens, qui font au moins un effort pour arrêter la vague de noyade des migrants d’Afrique du Nord dans la Méditerranée, les voisins du Myanmar sont peu disposés à apporter une aide », a-t-il indiqué.

Évidemment, le génocide qui touche actuellement les Rohingyas a peut-être contribué à dénoncer des fausses idoles démocratiques telles qu’Aung San Suu Kyi, lauréate du prix Nobel de la paix, qui s’est montrée effrontément silencieuse, si ce n’est complice, des politiques racistes et violentes du gouvernement contre les Rohingyas. Mais à quoi cela servira-t-il ?

Les récits des migrants qui survivent sont aussi poignants que ceux qui meurent en mer, sans eau ni nourriture, parfois même sans destination claire. Dans un documentaire diffusé à la fin de l’année dernière, Al-Jazeera a relayé certaines de ces histoires.

« Muhibullah a passé dix-sept jours sur le bateau d’un passeur, où il a vu un homme être jeté par-dessus bord. Après avoir atteint les côtes thaïlandaises, il a été embarqué dans un camion et acheminé dans un camp en pleine jungle, rempli de plusieurs centaines de réfugiés et d’hommes armés, où son calvaire a redoublé d’intensité. Attaché à des bambous, il a été torturé pendant deux mois pour extorquer à sa famille une rançon de 2 000 dollars, a-t-il raconté. »

« Malgré les passages à tabac réguliers, il éprouvait encore plus de compassion pour les femmes qui étaient traînées dans la brousse et violées. Certaines étaient vendues, condamnées à la servitude pour dettes, à la prostitution ou à un mariage forcé. »

Si les groupes de défense des droits de l’homme font état quotidiennement de ces horreurs, une grande partie d’entre eux ne parviennent pas à obtenir une couverture médiatique, tout simplement parce que le sort des Rohingyas ne constitue pas une « question urgente ». Il est vrai que les droits de l’homme n’importent que lorsqu’ils sont reliés à des questions économiques ou politiques significatives.

Pourtant, d’une certaine manière, les Rohingyas s’infiltrent de temps en temps dans l’actualité, comme en juin 2012 et quelques mois plus tard, lorsque les bouddhistes rakhines se sont livrés à de violents carnages, incendiant des villages et brûlant des personnes sous l’œil vigilant de la police birmane. Ensuite, la Birmanie a été délestée de son statut d’État-paria, avec l’appui et le soutien des États-Unis et des pays européens.

Il n’est pas facile de vendre la Birmanie comme une démocratie alors que certains de ses habitants sont traqués comme des animaux, forcés à vivre dans des camps dans des conditions déplorables et pris au piège entre l’armée et la mer, où des milliers de personnes n’ont pas d’autre échappatoire que ces « bateaux qui prennent l’eau » et la mer d’Andaman. Abbott pourrait peut-être faire quelques recherches avant de reprocher aux Rohingyas leur propre misère.

Jusqu’à présent, le subterfuge démocratique fonctionne et de nombreuses entreprises installent des bureaux à Yangon et se préparent à réaliser d’énormes profits. Pendant ce temps, des centaines de milliers d’enfants, de femmes et d’hommes innocents sont mis en cage comme des animaux dans leur propre pays, coincés en mer ou détenus pour rançon dans une jungle voisine.

Les pays de l’ASEAN doivent comprendre que de bonnes relations de voisinage ne peuvent pas reposer entièrement sur le commerce et que ceux qui violent les droits de l’homme doivent être tenus responsables de leurs crimes et punis.

Aucun effort ne devrait être ménagé pour aider les Rohingyas à fuir et une pression internationale réelle doit être exercée afin que Yangon renonce à son arrogance exaspérante. Même si nous acceptons le fait que les Rohingyas ne forment pas une minorité distincte, comme le soutient le gouvernement birman, cela ne justifie en rien la persécution insupportable que cette minorité endure depuis des années, ni les actes occasionnels de nettoyage ethnique et de génocide dont elle est victime. Minorité ou pas, ce sont des êtres humains qui méritent d’être pleinement protégés au titre du droit national et international.

Si l’on ne demande pas aux États-Unis et à leurs alliés de déclarer une guerre ou d’imposer des sanctions, on pourrait au moins s’attendre à ce que la Birmanie ne soit pas récompensée pour sa démocratie frauduleuse alors qu’elle maltraite ses minorités. Dans le cas contraire, cela devrait obliger les organisations de la société civile à organiser des campagnes de boycott des entreprises qui font des affaires avec le gouvernement birman.

Quant à Aung San Suu Kyi, sa défaillance en tant qu’autorité morale est aussi incompréhensible qu’impardonnable. Une chose est certaine : elle ne mérite pas son prix Nobel, car son attitude actuelle est en contradiction complète avec l’esprit de cette récompense.

Ramzy Baroud (www.ramzybaroud.net) est chroniqueur pour divers médias internationaux, conseiller dans le domaine des médias, auteur de plusieurs livres et fondateur de PalestineChronicle.com. Il complète actuellement ses études de doctorat à l’université d’Exeter. Son dernier livre, My Father Was a Freedom Fighter: Gaza’s Untold Story (Pluto Press, London), est disponible en version française (Résistant en Palestine. Une histoire vraie de Gaza, éditions Demi-Lune).

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : des réfugiées rohingyas et leurs enfants (AFP).

Traduction de l'anglais par VECTranslation.

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