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Avec Trump, le bourbier yéménite pourrait se transformer en véritable guerre par procuration

La maladresse de la Maison-Blanche au Yémen aggravera inévitablement le conflit. Le plus grand gagnant sera al-Qaïda

Des détails ont émergé au sujet de la première action militaire menée par le nouveau commandant en chef américain : un raid « bâclé » dans la campagne yéménite, envisagé pendant le mandat de Barack Obama mais exécuté par Donald Trump d’une manière que l’on pourrait qualifier, en utilisant l’un de ses mots préférés, de « mauvaise ».

Largement dénoncé comme un échec, le raid de Yakla a tué vingt-cinq civils, dont neuf enfants, et a manqué sa cible supposée, Qassim al-Rimi – chef d’al-Qaïda dans la Péninsule arabique (AQPA), qui s’est moqué plus tard du président, le « nouvel idiot de la Maison-Blanche ».

Cependant, cet incident a été plus qu’un grand désastre en matière de relations publiques pour la Maison-Blanche : son ingérence maladroite au Yémen aggravera inévitablement le bourbier existant.

Le désordre de la guerre

Les opérations antiterroristes américaines au Yémen ne sont pas nouvelles. Ni les interventions étrangères, comme les interventions désastreuses qui ont prospéré sous Obama, dont l’administration a réussi à garder le bilan de ses frappes de drone aussi opaque que possible.

Au Yémen, ces opérations se déroulent dans le cadre d’une guerre civile à part entière, qui affleure à peine dans les médias traditionnels. L’ONU nous rappelle parfois le nombre de morts, qui est resté à 10 000 victimes depuis août 2016.

Chaque raid ou frappe de drone bâclés servent d’outil de recrutement clé pour AQPA

Le manque d’accès et de liberté des médias a gravement perturbé la couverture du conflit, qui s’est intensifié depuis qu’une coalition dirigée par l’Arabie saoudite est intervenue en mars 2015 pour rétablir l’autorité du président Abd Rabbo Mansour Hadi, destitué lorsque les rebelles houthis ont pris la capitale, Sanaa.

Cependant, l’approche de Trump a été jusqu’à présent optimiste – si optimiste, en fait, qu’un chef tribal yéménite s’est demandé si le nouveau président n’avait pas regardé trop de films d’action de Steven Seagal.

Mardi dernier, il a été rapporté que, suite à la débâcle de Yakla, les responsables yéménites sont revenus sur l’autorisation permettant aux États-Unis de mener des missions spéciales contre des terroristes présumés dans le pays. Le lendemain, le ministre des Affaires étrangères du Yémen a démenti ces informations mais a indiqué que son gouvernement voulait repenser les opérations antiterroristes américaines sur son territoire.

Mais même au-delà de Yakla, sa stratégie risque d’attirer l’Iran plus profondément dans la tourmente du Yémen.

L’étiquette de guerre par procuration est exagérée…

Les rapports selon lesquels les Iraniens ont soutenu les rebelles houthis en leur fournissant de l’aide et des armes, et que le Hezbollah a également offert un soutien, ont conduit beaucoup à étiqueter le conflit yéménite comme une guerre par procuration.

Mais alors que l’Arabie saoudite cherche encore à établir sa présence dans la région, le pouvoir de l’Iran a été surestimé par ce discours.

Certes, l’Iran a exprimé sa rhétorique sur le Yémen, déclarant Sanaa comme la quatrième capitale sous sa tutelle, mais la portée de son soutien serait trop limitée pour façonner le champ de bataille ou pour considérer les Houthis comme un véritable intermédiaire de sa lutte régionale avec l’Arabie saoudite. Beaucoup de factions du groupe ne soutiennent toujours pas le contrôle iranien.

Et quel que soit l’appui que pourrait fournir l’Iran aux rebelles houthis – dont l’accès aux armes, soit dit en passant, ne se limite pas à l’approvisionnement iranien –, il ne peut égaler les ressources militaires étendues vantées par la coalition saoudienne.

Ainsi, l’idée selon laquelle les Houthis souhaiteraient l’intervention de l’Iran parce qu’ils sont zaydites et appartiennent au chiisme est erronée. En résumé, l’Iran a une influence limitée sur la façon dont les Houthis mènent cette guerre. Néanmoins, l’Iran est un allié utile.

L’Arabie saoudite, d’autre part, a le soutien des États-Unis mais aussi du Royaume-Uni et ses raisons de maintenir le gouvernement sunnite en place vont sans doute au-delà de la nécessité de contrer la menace iranienne inexistante. Celles-ci ont certainement plus à voir avec leur intérêt pour un oléoduc au Yémen.

Toutefois, si le conflit au Yémen n’était pas une guerre par procuration auparavant, il pourrait bientôt en devenir une.

… mais une véritable guerre par procuration se dessine à l’horizon

Les efforts de paix d’Obama au Yémen, qui se dirigeaient vers le succès, selon certains, se sont maintenant effondrés.

Trump provoque l’Iran avec des tweets, des discours impétueux et des menaces de sanctions. Son conseiller à la sécurité nationale (démissionnaire), Michael Flynn, a qualifié les Houthis de « groupe terroriste par procuration » de l’Iran – ce que l’administration précédente s’était explicitement abstenue de faire – tandis que l’attaché de presse de la Maison-Blanche, Sean Spicer, a accusé l’Iran d’avoir attaqué un navire américain, ce qui était faux.

L’attaché de presse de la Maison-Blanche, Sean Spicer, s’exprime lors d’une séance d’information ce mois-ci (AFP)

C’est une stratégie qui pourrait facilement aliéner les Houthis qui ne sont pas encore sous l’influence de l’Iran, les poussant fermement dans la sphère d’influence de Téhéran.

Le 30 janvier, les Houthis ont lancé une attaque suicide contre une frégate saoudienne en mer Rouge, tuant deux membres d’équipage. Quelques jours plus tard, les rebelles houthis ont annoncé qu’ils avaient tiré un missile Scud vers l’Arabie saoudite, lequel avait, selon eux, atterri sur une base militaire près de Riyad. Les attaques houthies sur la frontière méridionale de l’Arabie saoudite posent désormais un risque supplémentaire de voir des missiles atteindre l’intérieur des terres sans être interceptés.

Elle pourrait également aliéner les alliés des États-Unis au sein du gouvernement yéménite, comme le suggèrent les rapports d’un retrait d’autorisation concernant les opérations terrestres américaines après le raid sur Yakla.

La Russie pourrait-elle régler les problèmes du Yémen pour contrer l’influence américaine ? Un analyste le pense. Cependant, si le conflit syrien donne un aperçu de ce à quoi ressemble l’aide de Moscou, ce n’est pas de bon augure pour le Yémen.

Le vrai gagnant : AQPA

En dépit de la campagne visant à affaiblir AQPA, le groupe bénéficie clairement de la vacance du pouvoir créée par le conflit.

Formé en 2009 par des combattants retournés au Yémen dans les années 1990 après avoir combattu en Afghanistan alors occupé par les Soviétiques, AQPA n’a jamais bénéficié d’un soutien écrasant de la population locale, des tribus, des sunnites ou des milices. Ceux-ci ne s’étaient toutefois pas montrés hostiles, réservant plutôt leur agressivité aux cibles occidentales.

Chaque raid ou frappe de drone bâclés servent d’outil de recrutement clé pour AQPA. Le meurtre brutal de Nawar al-Awlaki (8 ans) par les Américains au cours du raid du 30 janvier est la vitrine parfaite.

La tactique consistant à brouiller les lignes entre les partisans d’AQPA, les sunnites et d’autres contre les rebelles houthis a œuvré en faveur d’al-Qaïda

AQPA a tiré pleinement profit des combats au Yémen – et des problèmes qui en résultent. S’emparant de vastes étendues de territoire, en particulier sur le littoral, le groupe fait des incursions dans les zones sunnites, forgeant des alliances locales.

Depuis le raid du 29 janvier, AQPA a repris trois villes du sud de la province d’Abyan, un de ses anciens bastions conquis par la coalition saoudienne en 2016 après le retrait des troupes gouvernementales pour des questions de salaires impayés.

La gouvernance et la sécurité qu’AQPA offre dans ces régions semblent mieux servir les populations que les autres parties. La tactique consistant à brouiller les lignes entre les partisans d’AQPA, les sunnites et d’autres contre les rebelles houthis a œuvré en faveur d’al-Qaïda.

Si Donald Trump poursuit sa politique actuelle – qui mêle mauvaises initiatives de lutte contre le terrorisme, soutien accru à l’Arabie saoudite et aliénation de l’Iran –, une partie au conflit continuera manifestement à en tirer profit.

 

Sophia Akram est chercheuse et spécialiste en communication. Elle porte un intérêt particulier aux droits de l’homme, en particulier au Moyen-Orient et en Asie.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : les forces de sécurité yéménites inspectent des engins non explosés confisqués à des combattants d’al-Qaïda dans la province de Lahij, en avril 2016 (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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