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Birthright, le programme de propagande israélien, perd du terrain auprès des jeunes juifs américains

Nous assistons à l’affaiblissement du lien traditionnel entre Israël et la nouvelle génération de juifs américains. S’il se brise, les chrétiens évangéliques et les républicains de droite se montreront-ils aussi efficaces dans leur défense de la politique israélienne ?

Depuis des décennies, un débat fait rage dans la diaspora juive quant à la manière de préserver l’identité de la jeunesse juive pour les générations à venir. Les rabbins et les dirigeants communautaires juifs s’inquiètent depuis longtemps du taux élevé de mariages mixtes juifs, croyant qu’une personne juive qui épouse une personne non juive est fondamentalement perdue pour le peuple juif.  

Par le passé, les dirigeants juifs ont soutenu que l’éducation était la clé pour garantir la « continuité juive ». Des riches donateurs ont injecté des centaines de millions de dollars dans la conception de programmes et le financement d’enseignants et d’écoles hébraïques. 

Le nationalisme – plutôt que la religion – est devenu le mantra. En réalité, Birthright a remplacé le judaïsme par Israël

Ils ont également financé des camps d’été pour les mouvements conservateurs, réformés et orthodoxes, qui proposaient des expériences sociales et éducatives aux jeunes juifs. L’objectif était de renforcer l’identité juive en créant des liens avec des sources religieuses et des opportunités de susciter des relations amoureuses pouvant déboucher sur la formation de familles.

Un programme d’endoctrinement intensif

Mais au cours des deux dernières décennies, deux milliardaires juifs et un gros bonnet du Parti travailliste israélien ont tracé un chemin très différent. Sheldon Adelson, le magnat milliardaire des casinos, et Michael Steinhardt, gestionnaire de fonds spéculatifs à Wall Street, ont été les pionniers de ce qui allait être connu sous le nom de Birthright. Adelson a versé à lui seul plus de 410 millions de dollars dans cette entreprise depuis 1999.  

En plus de ses dons, Steinhardt a créé le Steinhardt Social Research Institute à l’Université Brandeis, consacré à l’étude des questions juives. La faculté de l’institut a produit scrupuleusement des recherches académiques qui ont servi à confirmer l’impact miraculeux des voyages de Birthright sur les participants, en sortant des graphiques et des enquêtes démontrant que Birthright avait engendré une augmentation spectaculaire du niveau d’affinité des participants pour le judaïsme.

Les personnes interrogées avaient tendance à préférer épouser une personne juive et élever des enfants juifs. Elles préféraient également respecter les rituels juifs, rejoindre des organisations juives et fréquenter la synagogue. Bien sûr, ces résultats étaient fondés sur l’expression de personnes interrogées qui venaient de terminer un programme d’endoctrinement très intensif. Les chercheurs se sont bien moins penchés sur les résultats obtenus auprès de participants interrogés plusieurs années voire plusieurs décennies plus tard.

Jusqu’à présent, plus de 600 000 jeunes de la diaspora ont achevé leur voyage dans le cadre du programme Birthright. Ce chiffre est énorme étant donné qu’il y a environ 14 millions de juifs dans le monde

L’Israélien qui a développé le concept de Birthright et rallié le soutien d’Adelson et de Steinhardt était Yossi Beilin, un jeune protégé de Shimon Peres. Si Peres avait pu maintenir un gouvernement travailliste après l’assassinat de Yitzhak Rabin, Beilin et une poignée de jeunes disciples politiques du même acabit auraient pu lui succéder et diriger la nation.

Malheureusement, les choses ne se sont pas déroulées ainsi. Peres a perdu les élections et les travaillistes se sont progressivement dissous pour former diverses factions et rivalités. Le vétéran politique travailliste a finalement abandonné le parti pour rejoindre le parti dissident d’Ariel Sharon, Kadima.  

Renforcer l’identité juive

Mais Beilin avait d’autres idées en tête. Birthright était l’une d’elles. Lui et ses donateurs n’avaient pas de patience pour l’approche progressive du passé, qui visait à construire des institutions et à installer du personnel sur le long terme dans le cadre d’une campagne dont le but était de renforcer l’identité juive. 

Aucun de ces architectes de la nouvelle approche n’avait une éducation ou des intérêts relevant de la religion traditionnelle. Il s’agissait pour la plupart de juifs laïcs pour qui la religion avait très peu de signification. Face à ce qu’ils percevaient comme un taux de natalité en déclin parmi la population juive et un taux croissant d’assimilation, ils pensaient qu’un changement radical était nécessaire.

L’homme d’affaires milliardaire américain Sheldon Adelson écoute Shimon Peres lors d’un événement à Jérusalem en 2007 (AFP)

Ils ont ainsi développé ce qui a pris le nom de Birthright. Ce projet esquivait l’identité religieuse pour la remplacer par une identité nationale : celle d’Israël. Les jeunes juifs n’étaient plus encouragés à apprendre à être des juifs traditionnels, à étudier des textes sacrés ou même à apprendre l’histoire juive. S’ils faisaient l’une de ces choses, ce serait uniquement dans le contexte d’Israël et de leur relation avec Israël.

Chaque jeune juif de la diaspora se voyait proposer un voyage gratuit de deux semaines en Israël. Le programme a commencé avec des dizaines d’organisations commanditaires, des réformistes aux orthodoxes en passant par des groupes juifs non religieux. Chaque groupe coordonnait sa programmation avec Birthright mais se voyait offrir une certaine flexibilité quant aux Israéliens que les participants rencontraient, aux endroits qu’ils visitaient, etc.  

Il y avait bien sûr les incontournables, comme la visite de tentes bédouines et la promenade en chameau, le pèlerinage au Mur des Lamentations et le bain de soleil sur les plages de Tel Aviv. Mais ils pouvaient aussi visiter des villages israélo-palestiniens et rencontrer des dirigeants locaux et des familles.

Des voix dissidentes

Peu à peu, les groupes commanditaires ont été réduits à seulement dix, dont la plupart étaient orthodoxes. Le programme réformé officiel a été annulé l’an dernier par le groupe israélien. Les voyages ne peuvent plus comprendre des rencontres avec des Israéliens non juifs – il a par ailleurs toujours été interdit de rencontrer les Palestiniens de Cisjordanie.

Jusqu’à présent, plus de 600 000 jeunes de la diaspora ont achevé leur voyage dans le cadre du programme Birthright. Ce chiffre est énorme étant donné qu’il y a environ 14 millions de juifs dans le monde. 

Les sondages montrent que l’attitude des juifs de moins de 30 ans envers Israël est nettement plus libérale et négative que celle de leurs parents et de leurs grands-parents

Birthright a également entraîné une perturbation massive du modèle juif traditionnel de promotion de l’éducation en tant que moyen principal de préserver l’identité. Au lieu de cela, il a placé Israël en tant que point central de l’identité juive.

Le nationalisme – plutôt que la religion – est devenu le mantra. En réalité, Birthright a remplacé le judaïsme par Israël. Bien que les sociologues de Brandeis aient claironné l’efficacité du programme, de nombreux Israéliens et juifs nourrissent des doutes.

L’une des premières voix dissidentes est venue de Kiera Feldman, dans un essai pour The Nation intitulé « La romance de Birthright Israel ». Plusieurs groupes juifs américains ont désormais développé une contre-campagne, « Birthright : #NotJustaFreeTrip » (« Birthright : ce n’est pas qu’un voyage gratuit »). Baptisé « If Not Now », le mouvement est une branche de jeunesse de Jewish Voice for Peace.

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Les deux groupes, qui adhèrent à des programmes progressistes concernant le conflit israélo-palestinien, s’opposent à l’endoctrinement nationaliste dispensé lors des voyages organisés par Birthright, affirmant que les participants se voient inculquer une vision fortement biaisée d’Israël et de ses relations avec ses voisins arabes.

Juste avant le début de la saison des voyages estivaux, If Not Now a lancé une nouvelle campagne visant à informer les participants de Birthright de ce qu’ils manquent lorsqu’ils intègrent ce genre de voyages. Ainsi, des membres du groupe sont allés à la rencontre de participants à un voyage de Birthright à leur départ dans un aéroport de New York, provoquant la colère d’un des responsables du voyage, qui a déchiré la documentation qu’ils avaient apportée.

Ce genre de réaction hostile tend à corroborer les affirmations selon lesquelles Birthright est une mission de propagande plutôt qu’un lieu de discussion ou de débat ouvert.

Une protestation perçue comme une trahison

Plus tôt cette année, lorsqu’If Not Now a protesté en marge du gala de financement annuel de Birthright mettant à l’honneur les Adelson, Steinhardt a ouvertement adressé au groupe un doigt d’honneur aussi spectaculaire que moqueur.

Fin juin, cinq participants au programme Birthright ont annoncé publiquement leur départ du voyage et en ont expliqué les raisons. Ils ont fait part de leur intention de se rendre à Hébron pour participer à un voyage organisé par Breaking the Silence, une ONG israélienne de défense des droits de l’homme dont l’objectif est de dénoncer les méfaits de l’occupation israélienne. Dimanche dernier, huit autres jeunes juifs ont abandonné le programme en cours de route afin de rendre visite à une famille palestinienne menacée d’expulsion à Jérusalem.

Traduction : « Birthright a refusé de nous montrer la vérité concernant l’impact de l’occupation sur les Palestiniens, nous demandant à la place de visiter un site exploité par une organisation de colonisation d’extrême droite. Nous avons au contraire décidé d’aller rencontrer la famille Sumreen, une famille de Jérusalem-Est qui vit sous la menace d’une expulsion depuis des années, pour apprendre d’eux et entendre leur histoire. »

Les dirigeants communautaires juifs et les ministres israéliens ont perçu la protestation comme une trahison, comme une gifle adressée aux riches bienfaiteurs qui leur offraient un voyage gratuit pour contempler les merveilles de l’État juif. Ils ont fustigé leur impertinence.  

Les dirigeants israéliens […] sont connus pour penser que le soutien des juifs américains pour Israël diminuera de façon drastique lorsque cette jeune génération accèdera à des rôles de leadership

Cependant, la plupart des jeunes juifs ne voient pas les choses sous cet angle. Les sondages montrent que l’attitude des juifs de moins de 30 ans envers Israël est nettement plus libérale et négative que celle de leurs parents et de leurs grands-parents. Avrum Burg, un des principaux intellectuels progressistes d’Israël, a encouragé la protestation dans un éditorial pour le Forward.

Les dirigeants israéliens, comme le Premier ministre Benyamin Netanyahou, sont connus pour penser que le soutien des juifs américains pour Israël diminuera de façon drastique lorsque cette jeune génération accèdera à des rôles de leadership au sein de la communauté. À leur place, Netanyahou a cultivé les chrétiens évangéliques et le Parti républicain en tant que nouveaux mécènes américains d’Israël.

Le lobby israélien

Cela constitue une menace pour le soutien – vieux de près de 75 ans – des juifs américains pour Israël. Pendant ce temps, un lien presque mystique s’est développé. Sous son charme, j’ai passé deux années universitaires à étudier les objets de culte judaïques à l’Université hébraïque de Jérusalem dans les années 1970 et 1980. 

Israël s’est toujours appuyé sur le lobby israélien aux États-Unis pour s’opposer à une législation jugée hostile aux intérêts israéliens. De larges pans de la communauté orthodoxe américaine ont été recrutés en tant que colons pionniers pour s’installer dans des blocs de peuplement construits sur l’ancienne terre palestinienne. En conséquence, certains des colons israéliens les plus virulents et les plus violents sont des immigrés venus de Borough Park et de Crown Heights, des quartiers de Brooklyn.

Aujourd’hui, ce lien s’affaiblit, sauf chez les orthodoxes. S’il se brise, les chrétiens évangéliques et les républicains de droite se montreront-ils aussi tenaces et efficaces dans leur plaidoyer ?

- Richard Silverstein est l’auteur du blog « Tikum Olam » qui révèle les excès de la politique de sécurité nationale israélienne. Son travail a été publié dans Haaretz, le Forward, le Seattle Times et le Los Angeles Times. Il a contribué au recueil d’essais dédié à la guerre du Liban de 2006, A Time to speak out (Verso) et est l’auteur d’un autre essai dans une collection à venir, Israel and Palestine: Alternate Perspectives on Statehood (Rowman & Littlefield).

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou s’exprime lors d’un événement organisé par Birthright à Jérusalem, le 12 janvier 2016 (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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