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Changement climatique : comment Trump pourrait devenir le plus grand sponsor du terrorisme

Refuser de lutter contre la plus grande menace de notre histoire revient à sponsoriser volontairement une nébuleuse de groupes armés et une violence d’une ampleur totalement inédite

Dans sa « lettre au peuple américain » en 2002, Oussama Ben Laden exposait les raisons des attaques du 11 septembre 2001.

Présence de bases militaires américaines en Arabie saoudite, sévères sanctions contre le peuple irakien, et occupation illégale de la terre palestinienne par Israël : autant de problèmes qui ont fait les gros titres. En revanche, les médias ont généralement fait l’impasse sur la surprenante critique de la politique environnementale américaine formulée par le chef d’al-Qaïda.

Si Trump tient sa promesse de ne pas réduire les émissions de carbone aux États-Unis, la situation risque bientôt d’empirer. De devenir vraiment plus dramatique. Et plus dramatique signifie plus violente. Partout

« Plus qu’aucune autre nation dans l'histoire, vous avez détruit la nature avec vos déchets et vos gaz industriels. Or, vous refusez de signer l’accord de Kyoto pour protéger les profits de vos industries et multinationales cupides », écrivait Ben Laden.

Ai-je bien lu ? Le salafiste-djihadiste Ben Laden serait-il également écologiste ? Apparemment, oui.

Il a ajouté : « La vie de toute l’humanité est en péril à cause du réchauffement global, dû en grande partie aux émissions des usines des grandes entreprises. Néanmoins, les représentants à la Maison Blanche de ces multinationales s’obstinent à ne pas observer l’accord de Kyoto, malgré les conséquences : la mort et le déplacement des millions des gens ».

L’avertissement de Ben Laden est si politiquement correct qu’on croirait presque lire l’évaluation par le Pentagone des implications sécuritaires des menaces et des risques qu’implique le changement climatique, décrit comme un « multiplicateur de menaces », facteur d’exacerbation du terrorisme.

C’est déjà d’actualité

C’est alors qu’on se heurte à un problème mégalomane, au triple menton et à chevelure orangeâtre : Trump a décidé de lutter contre le terrorisme tout en mettant fin à l’engagement des États-Unis à combattre le changement climatique.

Soyons clairs : le changement climatique n’a plus rien d’une prédiction ou d’un pronostic. Il est d’une brûlante actualité

Trump a non seulement nié des preuves irréfutables et, au mépris du consensus scientifique sur le climat, a prétendu, à tort que le changement climatique ne serait qu’un « canular chinois ». Mais il a aussi promis de soustraire les États-Unis de l’Accord de Paris signé en 2015 – promesse globale révolutionnaire, signée par 200 pays, de réduire les gaz à effet de serre, facteurs de changement climatique, afin d’éviter le désastre environnemental mondial qui se profile à l’horizon.

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Soyons clairs : le changement climatique n’a plus rien d’une prédiction ou d’un pronostic. Il est d’une brûlante actualité. Le changement climatique se produit sous nos yeux et ses impacts sèment chaos et anarchie dans le monde entier.

Ce chaos social fait le lit d’acteurs violents, transnationaux et non-étatiques. Nombre d’entre eux existent déjà. D’autres émergeront plus tard et tous viendront menacer la notion même d’État nation.

La chanteuse Gigi Love manifeste contre le changement climatique devant la Trump Tower à New York, le 14 novembre 2016 (AFP)

Refuser de lutter contre la plus grande menace de notre histoire revient à sponsoriser volontairement une nébuleuse de groupes trasnationaux et une violence dont l’ampleur est totalement inédite.

Des prédictions qui se réalisent

Depuis des décennies, les scientifiques du climat nous préviennent de l’imminence de l’apocalypse que nous prépare le changement climatique. Presque toutes les prédictions faites il y a trente ans se réalisent aujourd’hui : la température de la terre augmente, la glace fond dans l’Arctique, les tempêtes s’intensifient et l’Équateur s’humidifie, tandis que s’assèchent toutes les terres situées entre 30 et 60 degrés au nord et au sud de l’équateur.

En 1994, Robert Kaplan, analyste géopolitique, a publié son ouvrage, succès de librairie extrêmement controversé The Comming Anarchy (Anarchie imminente), qui nous adresse cette mise en garde : « Actuellement, rareté, criminalité, surpopulation, tribalisme et maladies détruisent à grande vitesse le tissu social de notre planète » et l’on peut craindre en outre que les conséquences du changement climatique attisent l’exacerbation de chacun de ces « inextricables problèmes ».

Les chercheurs de l’Institut polaire norvégien (NPI) mesurent l’épaisseur de la glace au Groenland en 2009, dans le contexte d’une volonté générale de maîtriser des impacts du réchauffement global (AFP)

Presque toutes les prédictions faites par Kaplan il y a vingt-trois ans se réalisent aujourd’hui. Il nous a avertis des conséquences du changement climatique – sécheresse et famine – et de leurs impacts : l’urbanisation rapide et incontrôlable de l’hémisphère sud, qui nourrira la croissance et l’attrait des groupes armés extrémistes. Quant à l’hémisphère nord, Kaplan a prédit que la migration de masse forcée vers l’hémisphère nord, suite à la désintégration des États de l’hémisphère sud, serait le terreau fertile du racisme, provoquant en Europe et aux États-Unis l’émergence de démagogues hyper-nationalistes.

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Relisez ce dernier paragraphe parce que c’est exactement là où nous sommes aujourd’hui ; cela correspond exactement aux prédictions formulées par Kaplan il y a presque un quart du siècle. Quant à la dernière évocation de Kaplan, un récent éditorial dans The Atlantic a taxé Donald Trump de « premier démagogue de l’Anthropocène », soutenant qu’il « représente un retour de flamme de la race blanche… dans la mesure où les partisans du nouveau président sont attirés par lui par ce sentiment de calamité mondiale et parce que sa rhétorique pointe du doigt les réfugiés, nouveaux intrus noirs et basanés, censés violer les frontières chéries de la nation ».

Malheureusement, si Trump tient sa promesse de ne pas réduire les émissions américaines de carbone, notre situation risque de s’avérer bien pire. De plus en plus dramatique. Et de plus en plus dramatique signifie de plus en plus violente. Partout.

Calamités liées au climat

En 2012, une équipe de l’Université de Hambourg a épluché 27 études empiriques qui avaient enquêté sur le lien entre conflits armés et changement climatique. Seize de ces rapports ont relevé « un lien significatif entre climat et conflits, six n’ont pas trouvé de lien et cinq ont trouvé une relation équivoque », a affirmé le principal chercheur à The Atlantic. Mais ces données, a-t-il précisé, ne sont pas concluantes.

Or, d’autres enquêtes ont tiré des conclusions différentes, dont une étude importante menée par l’Institut de Potsdam pour la recherche sur l’impact du climat. Les chercheurs de Potsdam ont analysé plus de trente ans de données sur les événements liés au climat et conclu que « presque un quart de tous les conflits armés ayant des motifs ethniques coïncident avec une calamité liée au climat » – mais ce, uniquement  dans des pays déjà marqués par des divisions ethniques.

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Les chercheurs ont aussi démontré que le changement climatique avait un lien causal avec la guerre civile syrienne. Dans les années précédant le déclenchement des violences, la Syrie a probablement cpnnu sa plus grave sécheresse en 900 ans, qui poussa 1,3 millions de fermiers syriens à quitter leurs terres pour rejoindre les villes.

Hasaka, Syrie du nord-est, juin 2010 : des Syriennes labourent les champs dans leur région frappée par la sécheresse (AFP)

La rapide et soudaine urbanisation provoque l’émergence de nouveaux conflits sociaux et politiques et l’exacerbation des anciens. Baisse du nombre d’emplois disponibles, chute des salaires, flambée du prix de la nourriture, du logement et du gaz : les décideurs politiques et culturels se saisissent de ces craintes en diabolisant un groupe marginal particulier ou une identité ethnico-politico-culturelle. Ce sont ces tensions qui enflamment les conflits.

Assad était inapte – ou peu enclin – à atténuer ou diriger ces tensions politiques, n’y voyant qu’une menace à sa dictature. C’est pourquoi, au lieu de chercher des solutions sociales à la montée du mécontentement populaire, Assad opta pour prendre les armes contre  son propre peuple – afin d’étouffer les opposants à son régime.

« Empreinte digitale climatique convaincante »

Les États faibles et faillis autour du monde risquent de faire subir à leur peuple exactement le même sort que celui qu’on connu les Syriens. Quand les États sont inaptes ou incapables de réagir aux désastres naturels, quand les périphéries d’un État sont négligées par les administrations centrales, émergent alors des acteurs non-étatiques violents pour combler le vide.

Un pêcheur vérifie l’état de poissons-lait, morts après une chute soudaine de la température de l’eau du Lac Taal, au sud de Manille en mai 2011 (AFP)

« Le changement climatique risque de devenir le principal facteur de déstabilisation, offrant l’environnement favorable à l’émergence de groupes terroristes non-étatiques, car il contribue à l’affaiblissement de la force publique, la faillite des États et des problèmes économiques, entre autres calamités », signale un article de recherche.  

« C’est une empreinte digitale climatique plutôt convaincante », a déclaré à Slate le contre-amiral de Marine à la retraite, David Titley, météorologiste, actuellement professeur à la Penn State University. « Je n’ai pas dit qu’on aurait pu en déduire l’arrivée de Daech, mais c’était le terreau d’un inéluctable futur désastre… On peut tout à fait légitimement établir une relation entre le climat et cette catastrophe qui porte actuellement le nom d’État Islamique ».

À leur tour, les pêcheurs appauvris complètent leurs revenus en se livrant de plus en plus à la piraterie marine. Encore plus inquiétant, les groupes terroristes existants installés dans les régions qui ressentent déjà les impacts du changement climatique recourent déjà à la piraterie marine pour financer leurs activités terroristes. L’avenir nous réserve de voir un nombre toujours croissant de pirates des mers se lancer dans le terroriste ou des activités armées – à l’image d’Abu Sayyaf, à la fois groupe pirate et terroriste sévissant dans les provinces sud des Philippines.

« Simple question de survie »

En 1994, Kaplan a prédit que notre avenir se caractériserait par des « représentations diverses et variées du chaos » – chaos constitué non plus tant par des « centres » de pouvoir mais par une constellation de groupes terroristes transnationaux, cartels des drogues, mafias et sociétés de sécurité privées. Bientôt, la politique perdra de son importance en faveur de la sécurité personnelle et « l’enjeu des conflits à venir sera la survie pure et simple des sociétés. Ces guerres seront attisées et, dans beaucoup de cas, provoquées par des pénuries environnementales », a prévenu Kaplan.

Il est impossible de mener une guerre contre l’extrémisme violent si l’on ignore les causes et les mécanismes qui sous-tendent l’existence de ces acteurs extrémistes violents

Plus récemment, l’ancien Secrétaire d'État américain John Kerry a conféré d’autant plus de crédibilité aux mises en garde de Kaplan en déclarant, « Vous croyez que si l’Europe a un grave problème de migration c’est à cause de l’extrémisme ? Attendez qu’arrivent pénuries d’eau, manque de nourriture ou qu’une tribu fasse la guerre à l’autre pour défendre sa simple survie ».

D’autres ont prédit que ces courants sous-jacents et les tendances climatiques actuelles risquent de causer la chute d’États de la taille de l’Inde et du Pakistan.

« Vu qu’en 2025 la population de l’Inde pourrait frôler 1,5 milliard de personnes, qu’une grande partie de son économie repose sur des ressources naturelles au bord de l’épuisement – dont, très grave, un abaissement du niveau de l’eau disponible, et que, dans ces sociétés, urbanisation et violences ne cessent de croître dans d’effrayantes proportions, on a du  mal à imaginer que l’État indien passe le siècle prochain… Le problème du Pakistan est encore plus fondamental : à l’instar d’un grande partie de l’Afrique, géographie ou démographie sont dans ce pays délirantes : 65­% de ses terres cultivables nécessitent une irrigation intensive ; le déboisement se poursuit à grande échelle et, avec une croissance démographique annuelle à 2,7­ %, le sort du Pakistan devient de plus en plus désespérant », écrit Kaplan.

On le voit, il est impossible de mener une guerre contre l’extrémisme violent en ignorant les mécanismes à l’origine de ces acteurs extrémistes violents. Le changement climatique reste un important fauteur de violence et de conflits d’échelle mondiale. Ce n’est pas près de changer.

Les États-Unis sont le plus grand producteur du monde d’émissions de carbone. Si Trump ne tient pas la promesse de réduire ses gaz à effet de serre signée par son pays, l’histoire retiendra qu’il fut le plus grand sponsor du terrorisme.

CJ Werleman est l’auteur de Crucifying AmericaGod Hates You. Hate Him Back et Koran Curious. Il est également l’animateur du podcast « Foreign Object ».  Vous pouvez le suivre sur Twitter : @cjwerleman.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : 18 novembre 2016 : un homme porte un masque à l’effigie du président américain Donald Trump et brandit un panneau devant l’ambassade américaine au centre de Londres lors d’une manifestation contre l’intention de Trump de soustraire les États-Unis de l’accord sur le climat de Paris (AFP)

Traduction de l’anglais (original) par Dominique Macabiès.

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