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Daech est Daech : ni l’Iran ni l’Arabie saoudite ne ressemble à ce culte de la mort

L’Iran et l’Arabie saoudite doivent coopérer afin de détruire le soi-disant État islamique – qui est l’ennemi des deux pays

Un article d’opinion publié récemment sur Middle East Eye établit une analogie entre l’auto-proclamé État islamique (Daech) et mon pays, l’Iran. Son auteur fait valoir que l’idéologie, la vision du monde et le modus operandi de Daech font écho à ceux de l’Iran. Son argument est que si les gens qui sont alarmés par les atrocités de l’EI voulaient imaginer ce qui se passera si cet escadron de la mort établit un vrai « État » à part entière, ils feraient mieux de regarder l’Iran.

Je connais les travaux antérieurs de l’auteur et je peux affirmer en toute certitude que c’est un écrivain et analyste talentueux et éloquent. Il a écrit de nombreux articles intéressants, notamment sur des questions cruciales telles que l’islamophobie, et abordé ces sujets d’intérêt selon des angles originaux. Cependant, je pense que son approche de l’Iran, le qualifiant de Daech incarné, était quelque peu émotionnelle et inexacte. D’autre part, je pense également que ceux qui comparent l’Arabie saoudite à Daech ne parviennent pas à coller à la vérité.

Son article a suscité un grand débat sur les réseaux sociaux et dans la section des commentaires de l’article. Certains commentateurs soutenaient son point de vue. D’autres étaient naturellement en désaccord. Cependant, un troisième groupe s’est montré injurieux à son égard. Un grand nombre de ces personnes injurieuses n’aurait aucun problème si l’Arabie saoudite (ou d’autres États qui ne leur plaisent pas) était comparée à Daech. Ils applaudissent, partagent et promeuvent ces fausses comparaisons. Mais si les rôles sont inversés, et que la comparaison implique l’Iran, alors ils expriment – hypocritement – leur indignation.

Certains des commentateurs injurieux s’en sont pris au site pour avoir publié son travail. Je peux affirmer en toute certitude que, bien que le site ait publié de nombreux commentaires critiques envers le gouvernement iranien, il a couvert équitablement et objectivement l’Iran de manière professionnelle. Et ce, à un moment où des milliers de grands journaux, de sites d’information, de chaînes de télévision et de stations de radio à travers le monde adoptent une attitude purement anti-Iran. Middle East Eye dispose également de contributeurs en Iran qui sont en mesure de fournir une couverture indépendante et de première main des affaires iraniennes sans être sous une mauvaise influence quelconque.

J’affirme qu’il n’y a littéralement « rien » d’humain, de civilisé ou d’honorable dans l’idéologie ou la conduite de Daech. Il est vrai que l’Iran et l’Arabie saoudite commettent des violations des droits de l’homme, mais cela ne signifie pas qu’ils sont des entités meurtrières et barbares comme Daech, tuant, décapitant et violant quotidiennement les gens ayant d’autres convictions, une autre religion ou appartenant à l’autre sexe. Le ministre iranien des Affaires étrangères Javad Zarif l’a reconnu et a déclaré que son gouvernement est prêt à engager le dialogue avec la communauté internationale sur le dossier des droits de l’homme en Iran.

Mais croyez-moi, on ne peut rappeler aux gens leurs erreurs et les contraindre à les corriger en les méprisant ou en les embarrassant. Les gouvernements d’Iran et d’Arabie saoudite sont au service de leurs populations à des degrés divers et tentent d’améliorer le niveau de vie de leur peuple. Ils aspirent à avoir de meilleures relations avec le monde extérieur et une grande partie de leur rivalité régionale est enracinée dans leur soif de s’attirer plus d’alliés et de partenaires et dans leur empressement à courtiser les puissances mondiales d’Orient et d’Occident – peu importe comment ils essaient de se faire de nouveaux amis et d’écraser leurs ennemis.

À l’inverse, quand on parle de Daech, on parle d’un escadron de la mort qui n’a rien de positif, de constructif ou d’encourageant dans son fonctionnement et ses projets. Pour faire simple, l’Iran et l’Arabie saoudite représentent des gouvernements qui font des choses dont des milliers de personnes au moins bénéficient. Est-ce que Daech fait quoi que ce soit dont un seul citoyen sur cette terre peut récolter les bénéfices ? Ses membres recrutent clairement des jeunes aliénés et malheureux pour se battre pour eux et tuer à leur gré. Daech repose sur le meurtre et la destruction. Peut-on comparer des pays aussi importants que l’Iran et l’Arabie saoudite, avec leurs contributions historiques et contemporaines aux arts, à la littérature, aux sciences, à l’économie et aux efforts académiques du monde, avec les terroristes de Daech ?

Je suis le premier à croire que l’Iran doit respecter et faire respecter dignement les droits des militants politiques, des minorités ethniques et religieuses et des femmes et réviser ses politiques, mais la façon d’y arriver – si nous voulons vraiment y parvenir – ne passe pas par des attaques emphatiques sur le gouvernement iranien. Aucun gouvernement ne trouve agréable d’être ouvertement et péjorativement censuré pour ses méfaits. Seul un engagement respectueux ouvrira la voie à un changement significatif. Lorsque les pays occidentaux ont suivi la voie de la coercition contre l’Iran par rapport à son programme nucléaire – en particulier lorsque le président radical Mahmoud Ahmadinejad était au pouvoir –, ils ont vu leurs politiques leur revenir comme un boomerang, mais lorsqu’ils ont adopté un dialogue respectueux, leurs efforts ont été récompensés.

Je suis un musulman chiite et mon pays est profondément en désaccord avec l’Arabie saoudite sunnite à un moment tumultueux de leurs relations. Cependant, l’une des meilleures expériences de ma vie a été mon voyage en Arabie saoudite en 2009, lorsque j’étais étudiant de premier cycle et que j’ai entrepris le pèlerinage mineur (Oumra) dans les villes saintes de Médine et de La Mecque. Les pèlerins iraniens n’étaient pas traités avec respect à ce moment-là, mais personnellement, je n’ai rencontré ni impolitesse ni manque de respect. J’ai utilisé mes médiocres connaissances de l’arabe pour discuter avec les habitants dans les rues, dans les mosquées et en visitant la ville, et j’ai clairement pu identifier les signes d’une affinité culturelle étroite entre nos deux nations – évidemment à cause de nos valeurs religieuses partagées. Les gens s’intéressaient à l’Iran, à sa culture et son passé, et ont manifesté de l’empressement à venir en Iran et à visiter ses villes anciennes et ses lieux saints.

Je suis chiite, mais presque tous mes amis musulmans dans d’autres pays sont sunnites et je suis vraiment honoré d’avoir des compagnons aussi impressionnants dans des pays aussi divers que l’Afghanistan, l’Algérie, l’Égypte, la Jordanie, le Liban, la Malaisie, le Maroc, l’Arabie saoudite, la Tunisie et la Turquie. Voilà pourquoi je ne me sens pas bien quand les gens assimilent mélodramatiquement un dangereux culte terroriste comme Daech à l’Arabie saoudite, et de même, je me sens mal lorsqu’il est pris pour acquis que l’Iran est une incarnation de Daech.

Il suffit de regarder les dernières réussites de l’acteur iranien Shahab Hosseini et du réalisateur Asghar Farhadi au Festival de Cannes 2016 : ils se sont emparés de deux premiers prix lors de ce prestigieux événement artistique. Je ne veux pas paraître chauvin, mais il est internationalement reconnu que le cinéma iranien est l’un des meilleurs au monde. Les terroristes de Daech ne sont bons qu’à filmer leurs déchirantes scènes de décapitation. Je doute qu’ils soient capables de produire des films qui brillent à Cannes ou remportent un Oscar. Vénérable civilisation de quelque 7 000 ans, l’Iran est un creuset des arts, de la littérature, de la poésie, du mysticisme et des sciences depuis très longtemps. L’Iran et Daech ne doivent pas être traités de la même manière.

Donc, acceptons la vérité : Daech est Daech. Ni l’Iran ni l’Arabie saoudite ne ressemble à cet escadron de la mort. Les deux pays doivent collaborer pour détruire ce culte meurtrier – qui est leur ennemi à tous deux.

- Kourosh Ziabari est un journaliste primé travaillant pour différents journaux. Il écrit pour Iran Review et est le correspondent de Fair Observer, un média basé en Californie. Il a également écrit pour le Huffington Post, Your Middle East, International Policy Digest, Gateway House et Tehran Times.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : des combattants de l’État islamique dans une vidéo de propagande en 2014 (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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