Aller au contenu principal

Israël et Bahreïn : une profonde entente

Depuis la visite d’une délégation bahreïnie en Israël en décembre, les relations se sont réchauffées entre des États pourtant officiellement ennemis. Ils ont en effet plus en commun qu’il n’y paraît

Ayoub Kara est le ministre israélien des Communications. Il est un membre du Likoud, un ardent défenseur de la colonisation et un faucon qui a préconisé des frappes préventives contre l’Iran.

Bien qu’il soit druze, certains médias israéliens l’ont acclamé comme étant « le non-juif le plus sioniste au monde ». Ayoub Kara entretient également une fascination curieuse pour le minuscule État de Bahreïn.

Le « prince » mystérieux

Le 4 février, le ministre a tweeté une photo de lui et d’un jeune homme qu’il a appelé « le prince de Bahreïn ». « J’ai rencontré publiquement pour la première fois à Tel Aviv Mubarak al-Khalifa, le prince de Bahreïn, afin de renforcer les relations entre nos deux pays », a-t-il écrit, ajoutant avec enthousiasme qu’il aurait l’honneur d’accueillir le jeune al-Khalifa au Parlement israélien, la Knesset le jour suivant.

La Fédération des associations d’expatriés de Bahreïn a été fondée avec la bénédiction du roi Hamad en juin 2011 à la suite d’un mouvement pro-démocratie qui avait été violemment réprimé par ses services de sécurité

Le seul problème est que le « prince » n’apparaît sur aucune branche bahreïnie de l’arbre généalogique étendu de la famille al-Khalifa. Encore plus embarrassant, le ministère israélien des Affaires étrangères n’avait pas été informé comme il est d’usage lorsque des dignitaires étrangers effectuent des visites officielles, en particulier en provenance d’un pays arabe.

La Knesset non plus n’était pas au courant. Dans un article critique envers le ministre, le Times of Israel est allé jusqu’à suggérer que le vrai nom du prince est Mubarak Hamad, un type impliqué dans une affaire d’inconduite sous l’emprise de l’alcool à bord d’un avion de ligne en 2012.

Moqueur, le journal a intitulé l’article : « Un ministre prétend qu’un mystérieux ‘‘prince de Bahreïn’’ est en visite en Israël ».

Selon l’article, Ayoub Kara et Mubarak al-Khalifa – ou Mubarak Hamad, faites votre choix – sont restés terrés. Aucun accueil à la Knesset, aucune autre déclaration exubérante sur le renforcement des relations.

Il se peut que le ministre ait baissé la garde après avoir accueilli une délégation bahreïnie en décembre dernier. Ce groupe composé de 24 personnes, qui se donne le nom de « This is Bahrain », effectue depuis quatre ans une tournée mondiale aux frais de la princesse afin de transmettre ce qu’il qualifie de message de paix et de tolérance religieuse.

Ironie amère

« This is Bahrain » est une invention de la Fédération des associations d’expatriés de Bahreïn, fondée avec la bénédiction du roi Hamad en juin 2011 à la suite d’un mouvement pro-démocratie qui avait été violemment réprimé par ses services de sécurité.

Pour un compte-rendu complet de la brutalité de la répression de ce soulèvement, je vous invite expressément à lire le rapport de la Commission indépendante d’enquête de Bahreïn commandé par le roi après un tollé mondial qui l’avait forcé à agir.

Des manifestants bahreïnis brandissent des photos du principal dirigeant de l’opposition et secrétaire général de la Société islamique Al-Wefaq, Ali Salman, lors d’une manifestation anti-gouvernementale dans le village de Diraz, à l’ouest de Manama (Reute

Bien que la Fédération des associations d’expatriés de Bahreïn affirme ne pas être financée par le gouvernement de Bahreïn, on peut se demander d’où provient l’argent nécessaire pour envoyer de vastes délégations à travers le monde et financer la chaire du roi Hamad pour la coexistence pacifique de l’Université La Sapienza de Rome pour un coût de plus de 2 millions de dollars.

À l’époque, la visite bahreïnie avait été perçue comme le signe d’un réchauffement des relations avec un État du Golfe qui ne reconnaît pas Israël. Certains médias rapportent qu’à la question de savoir si la délégation devait visiter un État considéré comme un ennemi du monde arabe, le roi aurait répondu : « Les citoyens bahreïnis peuvent aller partout dans le monde où ils le souhaitent ; aucune restriction n’est imposée aux citoyens bahreïnis ».

Afin de les réduire au silence, les opposants bahreïnis sont en outre déchus de leur citoyenneté. Depuis 2011, les autorités bahreïnies ont révoqué la nationalité de plus de 550 personnes, dont au moins 150 rien qu’en 2017

Cette ironie amère frappera les opposants à ce régime autoritaire. Des milliers d’entre eux sont enfermés dans la tristement célèbre prison de Jaw, aux abords de la capitale Manama. De nombreux opposants de premier plan, dont le militant des droits de l’homme Nabil Rajab et le cheik Ali Salman, leader de la société d’opposition désormais interdite Al Wefaq, sont incarcérés.

D’autres, s’ils ne sont pas en prison, ont l’interdiction de sortir du pays.

Faire taire la dissidence

Afin de les réduire au silence, les opposants bahreïnis sont en outre déchus de leur citoyenneté. Depuis 2011, les autorités bahreïnies ont révoqué la nationalité de plus de 550 personnes, dont au moins 150 rien qu’en 2017.

Le gouvernement s’est également mis à expulser certains de ceux qui ont perdu leur nationalité. Comme le note Amnesty International : « Transformer des citoyens en personnes apatrides et les bannir en les forçant à quitter le pays est une violation du droit international ».

Vraisemblablement, le ministre Kara ignore complètement – ou ne se soucie guère de –l’activité déplaisante consistant à réprimer les citoyens qui appellent à un changement pacifique et à rendre les gens apatrides, du moins en ce qui concerne Bahreïn.

À LIRE : Pour l’Arabie saoudite et les Émirats, la Palestine n’est plus une priorité

Mais assurément, il ne peut ignorer ce que son propre gouvernement fait aux Palestiniens. Il est, après tout, un fervent partisan du mouvement de colonisation illégale en Cisjordanie occupée.

Et tandis que les autorités bahreïnies poursuivent leur campagne de privation de la citoyenneté et de déportation, les Israéliens sont pris dans leur propre campagne d’éviction – de migrants africains dans leur cas.

Au moins, il y a un débat vigoureux dans les médias israéliens à ce sujet. Les survivants de l’Holocauste ont été choqués par la décision de leur gouvernement de procéder à des arrestations et des expulsions massives. C’est proche, trop proche, de leur propre expérience tragique aux mains des nazis.

Un tel débat ne pourrait avoir lieu à Bahreïn. Le dernier et unique média indépendant du pays et, de fait, du Golfe tout entier, Al Wasat, a été fermé par le gouvernement en juillet. C’est ainsi qu’à l’intérieur de Bahreïn, le contrôle serré des médias par le régime assure l’absence de contestation de la loi de l’impunité, tandis qu’à l’étranger, il présente une image hypocrite de Bahreïn.

Sous le couvert bien commode de la diversité religieuse et de la tolérance, une véritable convergence de vues a lieu : les apologistes de Bahreïn et un ministre israélien qui cherche à se faire de la publicité et qui méprise les droits des Palestiniens ont, semble-t-il, beaucoup en commun.

- Bill Law est un analyste du Moyen-Orient et un spécialiste des pays du Golfe. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @billaw49.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le roi Hamed ben Issa al-Khalifa, souverain de Bahreïn, aurait condamné le boycott arabe d’Israël (AFP).

Traduit de l’anglais (original).

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].