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Israël s’est fait un nouvel ami en Afrique, le maréchal Haftar, qu'il aide en secret

Une source confirme qu’Israël collabore de plus en plus étroitement avec l’homme fort de la Libye, Khalifa Haftar, notamment en frappant l’EI à Syrte

Une source israélienne bien informée – qui a souhaité garder l’anonymat, étant donné que l’affaire est censurée par les militaires israéliens – m’a révélé que les Forces de défense israéliennes (IDF) avaient bombardé des positions du groupe l’État Islamique (traduction par Google) en Libye à la demande de l’homme fort de ce pays, le maréchal Khalifa Haftar (pour un profil plus complet, cliquez ici).

Le censeur militaire des IDF a décidé que ces informations ne pouvaient pas être diffusées en Israël. Jusqu’à cette semaine, le censeur n'autorisait même pas les journalistes israéliens à renvoyer les lecteurs aux médias étrangers évoquant cette histoire. Récemment, Yediot Aharonot a publié un profil flatteur d’Haftar renvoyant à un article koweitien paru dans Al Jarida, (lien ci-dessus), qui confirmait ces informations. Aux termes des dispositions prévues par la censure israélienne, les journalistes, qui sont interdits d’écrire directement des reportages sur certains événements, s’arrangent souvent pour faire allusion aux mêmes événements via des publications étrangères, et ainsi contourner la censure.

Israël a une affinité naturelle avec les hommes forts du Moyen-Orient ayant peu ou pas d’engagements religieux ou idéologiques – le jordanien Abdallah, et les Égyptiens Moubarak et Sissi

Les reportages fournissent des preuves de plus en plus incontestables d’une intervention israélienne directe dans la guerre civile libyenne, qui oppose de nombreux adversaires : Haftar, les milices islamistes et l’État islamique. J’ai envoyé un tweet au lieutenant-colonel Peter Lerner et à l’unité chargée de communiquer pour les IDF, où je sollicitais leurs commentaires. Ils n’ont toujours pas répondu au moment où nous publions cet article.

« Un ami de nos amis »

Haftar est aligné sur les États sunnites – l’Égypte et les Émirats arabes unis étant les plus notoires – que ces reportages accusent d’avoir bombardé des forces libyennes hostiles à Haftar. On appelle quelquefois ce dernier le « Sissi libyen ». La source israélienne m’a confirmé l’argument du journal koweitien, voulant qu’Israël ait offert son aide militaire directe en faveur de Haftar, dont des frappes aériennes sur des positions de l’EI à Syrte et ailleurs. 

Une source des IDF a précisé à mon contact : « Les amis de nos amis – et les ennemis de nos ennemis – sont nos amis ; or Haftar est un ami de l’Égypte, de la Jordanie et des EAU. Il combat aussi l’EI ».

Le censeur israélien a même interdit de citer ce reportage écrit par le correspondant à Jérusalem du journal koweitien Al Jarida – qui a fuité, probablement à l’initiative de sources israéliennes. Le rapport, daté du 27 août 2015, indique qu’Israël a bombardé Syrte le 25 août 2015.

Des sources informées ont affirmé qu’il y a deux jours, des avions militaires israéliens ont bombardé des cibles de l’EI à Syrte. Elles ont ajouté que le raid a été effectué à la requête du maréchal Khalifa Haftar, commandant de l’Armée nationale libyenne (ANL) lors de sa récente visite à Amman [où il a secrètement rencontré des responsables de la sécurité israélienne]. Ces sources ont révélé que Haftar a promis, [en échange], de signer avec Israël des contrats d’armes et de pétrole.

Pour que personne ne croie que les événements de 2015 ont changé, The New Arab indique que Haftar a récemment rencontré des fonctionnaires du Mossad lors d’une réunion négociée par les Émirats arabes unis, l’un des alliés sunnites mentionné ci-dessus. « La coordination entre Haftar et Israël dure depuis longtemps ; il a organisé des pourparlers avec des agents du Mossad en Jordanie en 2015 et 2016 », a indiqué à The New Arab la source anonyme.

Le rapport prétendait que ces rencontres avaient été négociées par les EAU et que Haftar avait rencontré des agents du renseignement israélien. On y lit que l’autoproclamée Armée nationale libyenne de Haftar avait reçu des fusils israéliens pour snipers et des équipements de vision nocturne. Il a ensuite laissé entendre que le commandement de Haftar et les militaires israéliens se sont coordonnés, courant 2014, pendant l’offensive baptisée « Opération Dignité », contre plusieurs groupes d’islamistes armés à Benghazi.

Pendant les combats, l’un des chasseurs MiG de Haftar est censé avoir été abattu par les islamistes et l’une des bases aériennes de Haftar a été prise. Il est possible que des chasseurs israéliens aient été engagés pour éviter une encore plus grosse défaite tactique.

Une alliance de plus en plus étroite entre Israël et États sunnites

Les analystes et les journalistes du Moyen-Orient (dont moi-même) ont régulièrement signalé l’intensification de l’alliance entre Israël et les puissances sunnites (Arabie saoudite, États du Golfe, Égypte, etc.). Entre autres services réciproques, les Saoudiens ont financé à hauteur d’un milliard de dollars (850 millions d’euros) le programme malveillant israélien, Stuxnet, et l’assassinat de scientifiques nucléaires iraniens. Israël a ouvert quant à lui des bureaux secrets de liaison militaire dans les États du Golfe, organisé des réunions secrètes entre chefs du renseignement israélien et Arabie saoudite, tout en apportant le soutien israélien aux forces d’al-Nosra. Bien que ces reportages se soient surtout concentrés sur l’intervention sunnito-israélienne en Syrie et l’hostilité de l’alliance envers l’Iran chiite, rares sont les articles expliquant qu’Israël offre ses services aux milices libyennes alliées avec l’Égypte.

Israël apprécie sa relativement récente « romance de raison » avec les pouvoirs sunnites dans la région et saisit toutes les occasions de déverser ses faveurs sur ceux que soutiennent ses nouveaux alliés, dont Haftar

Israël a toutes les bonnes raisons d’aider l’homme fort libyen. Premièrement, ses ressources pétrolières pourraient profiter à Israël, pays pauvre en ressources qui cherche sans cesse à diversifier son accès à des sources d’énergies vitales. Deuxièmement, Israël a une affinité naturelle avec les hommes forts du Moyen-Orient qui ont peu ou pas d’engagements religieux ou idéologiques (le Jordanien Abdallah, et les Égyptiens Moubarak et Sissi). Israël tient à s’entourer de voisins qu’il soit en mesure de coopter, soit carrément en les achetant, soit en se rendant des services réciproques, comme le partage du renseignement et de moyens militaires. Troisièmement, Israël apprécie sa relativement récente « romance de raison » avec les pouvoirs sunnites dans la région et saisit toutes les occasions de déverser ses faveurs sur ceux que soutiennent ses nouveaux alliés, dont Haftar.

De récents bulletins d’information indiquent que la Russie vient, elle aussi, de s’allier avec Haftar et de dépêcher des conseillers militaires dans ce pays, tant pour fortifier Haftar que pour empêcher l’EI de s’implanter dans la partie occidentale du désert égyptien, ainsi qu’il y est parvenu au Sinaï. Il a aussi lourdement investi dans des projets d’exploitation pétrolière en Égypte et Libye. Haftar, ancien allié de Kadhafi, a reçu son entraînement militaire dans l’ancienne Union soviétique et ses liens avec la Russie sont donc très étroits.

Lucratives ventes d’armes d’Israël aux despotes africains

De plus, Israël se place au sixième rang mondial des marchands d’armes. Il recherche des nations, surtout en Afrique, accablées par les guerres civiles et les conflits fratricides, où il vend des armes à quiconque a les moyens de payer. Il envoie aussi des conseillers militaires dans ces pays (le plus souvent des généraux à la retraite et des officiers du renseignement) pour engranger des milliards en honoraires de consultants. Son plus récent nouveau client est le régime brutal du Sud-Soudan, et Israël a essayé de censurer des informations mettant son allié en cause. De cette manière, Israël étend son influence dans les pays émergents et se forge des alliances qui le protègeront de futures menaces islamistes (c’est du moins ce qu’espèrent les responsables israéliens).

La Libye fait partie des rares pays producteurs de pétrole à avoir nettement augmenté sa production l’an passé. Probablement du fait de l’emprise croissante de Haftar sur les gisements pétroliers libyen, ou peut-être cela indique-t-il que cette énergie lui a valu d’accumuler des milliards, et qu’il entend bien continuer en la vendant à des alliés tels qu’Israël, entre autres pays dont le sous-sol n’en recèle pas.

En parallèle, Haftar a cette semaine rejeté un contrat négocié entre ses rivaux libyens et l’Italie, qui aurait permis aux navires de la marine italienne de patrouiller dans les eaux libyennes et d’intercepter les bateaux débordant de réfugiés essayant d’atteindre l’Europe.

Cela entrave les efforts des Européens qui tentent de contenir le flot d’immigrants vers l’Europe – jusqu’à 600 000 en provenance de la seule Libye. Avec pour résultat, également, de faciliter dans la foulée les affaires des trafiquants d’êtres humains dans les régions côtières sous contrôle de Haftar.

Richard Silverstein est l’auteur du blog « Tikum Olam » qui révèle les excès de la politique de sécurité nationale israélienne. Son travail a été publié dans Haaretz, le Forward, le Seattle Times et le Los Angeles Times. Il a contribué au recueil d’essais dédié à la guerre du Liban de 2006, A Time to speak out (Verso) et est l’auteur d’un autre essai dans une collection à venir, Israel and Palestine: Alternate Perspectives on Statehood (Rowman & Littlefield).

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo. 27 juillet 2017, partie orientale de la ville de Benghazi : des membres de l’Armée nationale libyenne, fidèles à Khalifa Haftar, font un bref V de la victoire du haut d’un véhicule blindé (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par Dominique Macabies.

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