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L’interprétation américaine de l'accès aux sites iraniens a déformé le problème

L'accès aux sites iraniens continue d'être une question épineuse et les Américains semblent jouer un jeu vicieux dans les médias

Vienne - Une campagne de diplomatie publique de l'administration Obama pour convaincre l'opinion mondiale que l'Iran est en train de renier l’accord-cadre de Lausanne en avril a gravement dénaturé la diplomatie réelle des pourparlers sur le nucléaire iranien, ce que mes entretiens avec des responsables iraniens montrent ici clairement.

La menace du Président Barack Obama mardi de se retirer des négociations sur le nucléaire si les négociateurs iraniens ne retournent pas à l’accord-cadre décidé à Lausanne - en particulier sur la question de l'accès de l'AIEA aux sites iraniens - était le point culminant de cette campagne.

Mais ce qui s’est vraiment passé dans les négociations sur le nucléaire n’est pas que l'Iran s’est éloigné de cet accord, mais que les États-Unis et l'Iran ont mené à bien des négociations difficiles - en particulier dans les jours précédents le début de la table ronde à Vienne - sur les détails de mise en place de la base de l’accord-cadre.

La campagne américaine a commencé immédiatement après l'accord de Lausanne, le 2 avril. L'administration Obama a déclaré dans sa fiche de renseignement du 2 avril que l'Iran « serait tenu » d'accorder aux inspecteurs de l'AIEA l'accès aux « sites suspects ». Puis le conseiller adjoint pour la sécurité Ben Rhodes a déclaré que si les États-Unis voulaient un accès à une base militaire iranienne qu’ils considéraient comme « suspecte », ils pourraient « aller à l'AIEA et obtenir cette inspection », en raison du protocole additionnel et d'autres « mesures d'inspection qui sont dans la transaction ».

Cette déclaration a touché un nerf sensible dans la politique iranienne. Quelques jours plus tard, le guide suprême Ali Khamenei a insisté sur le fait que l'Iran ne permettrait pas de visites de ses bases militaires, un signal que l'Iran pourrait retirer des concessions qu'il avait faites à Lausanne.

Cette réaction a été dépeinte dans les médias comme une preuve que les négociateurs iraniens ont été contraints de se retirer de l'accord de Lausanne.

En fait, il n’en est rien. L'idée que les inspecteurs de l'AIEA pourraient aller dans des installations militaires iraniennes à volonté, ce que Rhodes avait suggéré, était une simplification grossière dont le but était de contrarier les Iraniens. La raison en était plus politique que stratégique. «  C’est une question de dignité nationale », m'a expliqué un responsable iranien à Vienne.

Les négociateurs iraniens repoussaient encore publiquement la rhétorique de Rhodes au moment où  la table ronde de Vienne a commencé. Le vice-ministre iranien des Affaires étrangères Abbas Aragchi semblait menacer la réouverture des dispositions de l’accord-cadre de Lausanne relatives à la question de l'accès des sites nucléaires dans un entretien avec l'AFP dimanche. « [Maintenant] certaines des solutions trouvées à Lausanne ne fonctionnent plus », a déclaré Araghchi, « parce que, après Lausanne, certains pays au sein du P5 + 1 ont fait des déclarations ».

Mais en dépit du discours musclé d’Araghchi, l'Iran n'a pas changé de cap sur le compromis atteint à Lausanne sur la question de l'accès, ce qui a été concerné étant un processus de règlement des différends sur la question des demandes de l'AIEA pour des inspections. Lors de mes entretiens avec eux, deux responsables iraniens ont reconnu que l'accord final comprendra une procédure qui pourrait outrepasser un refus iranien en cas de demande de l'AIEA à visiter un site.

La procédure permettrait à la commission mixte, qui a été d'abord mentionnée dans le plan d'action conjoint de novembre 2013, de réexaminer une décision de l'Iran de rejeter une demande de l'AIEA pour une visite d'inspection. La commission mixte est composée de l'Iran, le P5 + 1 (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies plus l'Allemagne) et l'Union européenne.

Si cette Commission mixte se prononçait contre un rejet iranien, l'AIEA pourrait revendiquer le droit d'accès même à un site militaire, malgré l'opposition de l'Iran.

Une telle procédure représente une concession majeure de l'Iran, qui avait supposé que le protocole additionnel à l’accord iranien « Garanties » avec l'AIEA aurait régi l’accès de l'AIEA aux sites en Iran.

Contrairement à la plupart des rapports des médias, cet accord limite les visites d'inspection de l'AIEA à des sites non déclarés pour réaliser « l'échantillonnage environnemental spécifique au lieu ». Il permet également à l'Iran de refuser la demande d'accès au site, à condition qu'elle fasse « sans délai tous les efforts pour satisfaire les demandes de l'agence sur des sites adjacents ou par d'autres moyens ».

Le processus de règlement des différends va évidemment bien au-delà du protocole additionnel. Mais les déclarations de l'administration Obama suggérant que l'AIEA aura le pouvoir de visiter un site qu'ils considèrent comme « suspect » est une simplification politiquement commode. Sous l'annexe technique de la convention de Lausanne, qui est maintenant en cours de négociation, l'Iran aurait, selon des responsables iraniens, le droit de recevoir la preuve sur laquelle l'AIEA fonde sa demande. Et puisque l'Iran n'a aucune intention de faire quoi que ce soit pour donner à l'AIEA une raison valable de prétendre à des activités suspectes, les officiels iraniens croient qu'ils pourront faire valoir fortement que la preuve en question n'est pas crédible.

L'Iran a proposé que le délai entre la demande initiale de l'AIEA et toute inspection résultant d'une décision du comité mixte soit de vingt-quatre jours. Mais ce délai rend furieux les détracteurs de l'accord nucléaire avec l’Iran.

Le sénateur Bob Corker (républicain-Tennessee), président du Comité des affaires étrangères au Sénat, mécontent de l'idée de déléguer des décisions sur les inspections à un groupe multilatéral qui comprend des adversaires des États-Unis, a critiqué l'idée d'allouer vingt-quatre jours dans le processus de résolution des différends.

Sous la pression de Bob Corker et des sénateurs républicains opposés à l'accord nucléaire, l'équipe de négociation américaine a exigé une période plus courte, selon des responsables iraniens.

Le facteur déterminant dans la façon dont le système de vérification en cours de négociation serait mis en place sera, cependant, les intérêts politico-diplomatiques des États et de l'Union européenne qui voteraient les demandes. Ces intérêts sont le joker dans les négociations, car il est bien connu parmi les négociateurs ici qu'il y a de profondes divisions au sein du groupe d'États du P5 + 1 sur la question de l'accès.

Il y a des divisions au sein du P5 + 1, en particulier sur les aspects de ce que le Conseil de sécurité devrait faire, sur la façon dont les sanctions seraient levées et sur l'accès [du régime de vérification]. « Nous pouvons dire avec authorité qu'ils doivent passer plus de temps à négocier entre eux qu’à négocier avec nous », a déclaré un responsable iranien.

Même si Obama a accusé publiquement l'Iran de chercher à réviser l’accord-cadre de Lausanne, ce sont apparemment les négociateurs américains eux-mêmes qui ont essayé de réviser cet accord-cadre. Un responsable américain « a refusé de dire si les États-Unis pourraient être d'accord pour ajuster certains éléments de l’accord-cadre de Lausanne en échange de nouvelles concessions iraniennes », selon un rapport du New York Times.

Les Américains ont peut-être fait exactement ce qu'ils accusaient les Iraniens de faire.

- Gareth Porter, journaliste d’investigation indépendant, fut le lauréat 2012 du prix Gellhorn du journalisme. Il est l’auteur d’un livre, récemment publié : Manufactured Crisis: The Untold Story of the Iran Nuclear Scare (Une crise fabriquée de toutes pièces : les origines secrètes de la hantise d’un Iran nucléaire).

Les opinions exprimées dans cet article appartiennent à l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Le secrétaire d'État américain John Kerry (au centre) lors d'une réunion de pourparlers sur le nucléaire iranien avec le ministre iranien des Affaires étrangères à Vienne. (AFP)

Traduction de l’anglais (original) par Emmanuelle Boulangé.
 

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