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La religion n’est pas en cause

Ni le judaïsme, ni le christianisme, ni l’islam ne sont responsables des conflits au Moyen-Orient

Si je gagnais un centime à chaque fois que l’on me dit que la religion est la cause de tous les maux, je serais riche. Si seulement nous vivions dans le monde sans religion de John Lennon, il n’y aurait ni guerre ni conflit et chacun aimerait son prochain. Si seulement les théologiens, les membres du clergé, les mollahs et les prêtes pouvaient s’entendre, les problèmes du monde seraient résolus d’un seul coup.

Il ne fait aucun doute que la religion joue un rôle dans de nombreuses crises et conflits à travers la planète. Le plus souvent, bien que ces problèmes adoptent un nom religieux et s’articulent à travers le medium de la religion, ils ont leurs racines dans des facteurs socio-politiques.

On peut trouver des exemples de cela aussi bien dans le conflit d’Irlande du Nord que dans celui du Moyen-Orient. Bien que les acteurs de ces conflits appartiennent à des communautés confessionnelles différentes – catholiques et protestants, juifs et musulmans/chrétiens –, ce n’est pas à cause de leur affiliation religieuse qu’ils en sont venus aux mains. Leurs doléances sont fondamentalement politiques, même si elles se manifestent sous le couvert de la religion et s’expriment dans ce langage.

La religion est souvent le miroir des tensions du réel. Dire que la religion est source de divisions, c’est éviter une analyses des problèmes. Cela équivaut à s’arrêter à la surface, sans chercher à creuser en profondeur afin de comprendre les véritables problèmes sous-jacents.

Prenez par exemple l’orgie de violence sectaire qui depuis une décennie accable l’Irak, où des dizaines de sunnites et de chiites s’entretuent au quotidien. Il est risqué de s’aventurer dans une région à majorité sunnite lorsque l’on se prénomme Hassan, et les chances de se faire égorger dans une rue de Sadr city sont plus élevées lorsque l’on se prénomme Omar.

Mais ne nous arrêtons pas là ; posons-nous la question difficile que d’autres préfèreraient éluder. Pourquoi les sunnites et les chiites d’Irak s’entretuent-ils aujourd’hui alors qu’ils ne le faisaient pas il y a dix ans ? Pourquoi étaient-ils capables de coexister par le passé mais trouvent que cela est devenu impossible aujourd’hui ? Chaque tribu et famille irakienne comprend à la fois des sunnites et des chiites. Ils se sont mélangés, ils se sont mariés et ils ont vécu non seulement côte-à-côte mais sous le même toit, souvent partageant le même lit. C’était même le cas durant le régime despotique de Saddam Hussein. À cette époque, et durant des siècles auparavant, l’Irak était l’un des endroits les plus diversifiés de la planète, une véritable mosaïque de religions, d’ethnicités, de sectes et de confessions – musulmans, chrétiens, sabéens, yézidis, sunnite, chiites,  Kurdes, Turkmènes – partageant pacifiquement la même terre.

C’était l’Irak d’antan. Ce n’est pas l’Irak d’aujourd’hui, depuis l’invasion américano-britannique et l’autorité transitionnelle de Paul Bremer, qui ont détruit l’ordre politique irakien et lui ont substitué un système fondé sur le sectarisme et le factionnalisme ethnique. L’identité nationale a été brisée en mille morceaux, le commun a été déchiré, ne laissant plus que les étroites affiliations de groupe. Dans le chaos qui s’est ensuivi, chaque groupe dissident a voulu s’emparer de tout, ne laissant rien aux autres. La formation des forces de sécurité et de police de la nouvelle Irak selon des lignes sectaires a jeté de l’huile sur le feu, équipant une faction avec les instruments qu’elle emploierait plus tard pour exterminer ses rivaux.

Le sunnisme et le chiisme ne sont pas responsables. Les coupables, ce sont Bush, Blair et Bremer.

Ni le judaïsme, ni le christianisme, ni l’islam ne sont responsables du conflit au Moyen-Orient. Dans leur rationalisation du conflit, Palestiniens et Israéliens invoquent des symboles et références religieux, et ce dans un lieu chargé de significations sacrées pour les deux parties. Mais la vérité est qu’il ne s’agit pas d’un conflit portant sur une mosquée, une église ou un temple, bien qu’il ait fini par être symbolisé par ces monuments. Premièrement, et avant toute chose, il s’agit de territoires, de dépossession, de colonies, d’occupation et d’une volonté de libération. C’est une relation qui se joue davantage entre occupants et occupés qu’entre juifs et musulmans/chrétiens. Plus que le Coran ou l’Ancien Testament, c’est la Déclaration Balfour et les stratégies des grandes puissances dans la région qui ont créé ce drame prolongé et douloureux et en ont dicté l’évolution.

Beaucoup d’autres exemples pourraient être cités pour démontrer la superficialité des explications de mouvements et phénomènes socio-politiques en termes exclusivement religieux, de la Réforme dans l’Europe du XVIe siècle au radicalisme islamique du XXIe siècle. La religion n’est ni mère de toutes les vertus, ni cause de tous les maux. De bonnes conditions engendrent une bonne religion, et vice versa. Ce qui est mauvais dans la réalité a tendance à se métamorphoser en une mauvaise religion. C’est le chaos des crises et des guerres qui font rage au Moyen-Orient de nos jours qui nourrit et encourage l’idéologie extrême et violente d’al-Qaïda et du groupe État islamique.

Les êtres humains et les sociétés ne sont pas des pages vierges, mais les porteurs d’un profond héritage culturel, symbolique et historique à travers lequel ils communiquent et font sens de la réalité. Ce réceptacle enraciné de valeurs, d’images et de références est inévitablement invoqué en temps de paix, et plus encore en temps de guerres et de troubles. En période de tensions, les identités culturelles, religieuses et nationales sont réveillées, activées et intensifiées.

Cela ne signifie pas, comme l’a déclaré Marx, que la religion est une illusion superflue. Elle est une partie intégrale de la mémoire et de la conscience collectives de groupes et d’individus. Par son biais, ils attribuent un sens à leurs expériences et une justification à leurs actions. La religion fonctionne en silence et passe inaperçue dans les périodes de calme et de stabilité, elle devient plus bruyante, plus visible et parfois plus explosive en temps de crises et d’agitations. Il n’y pas de religion intrinsèquement pacifique, ni de religion intrinsèquement agressive. Le christianisme, par exemple, a autant inspiré l’ascétisme et le mysticisme qu’il a attisé les flammes du conflit et du schisme durant les Croisades ou les guerres de religion du XVIe siècle. Il n’y a pas de religion per se.

En d’autres termes, nous ferions mieux d’éviter de regarder la réalité à travers le prisme des idées et des doctrines. Les humains marchent sur les pieds, pas sur la tête.

- Soumaya Ghannoushi est une écrivaine britanno-tunisienne spécialisée en politique du Moyen-Orient.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : des musulmans en prière dans une mosquée (AFP).

Traduction de l’anglais (original).

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