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Le plan de paix de Trump au Moyen-Orient : un projet mort-né ?

Malgré l’énorme pression qu’Israël, les États-Unis et l’Arabie saoudite peuvent exercer sur les Palestiniens, il est difficile d’imaginer ces derniers accepter un plan aussi méprisant à leur égard

Dès le premier jour ou presque de son mandat, le président américain Donald Trump s’est vanté de pouvoir résoudre le conflit israélo-palestinien. Il serait en mesure de faire ce qu’aucun de ses prédécesseurs n’a fait, à savoir conclure ce qu’il a désigné comme « l’accord ultime ».

Aujourd’hui, la plupart des gens savent que Trump n’est qu’un vantard sans substance et que ses fanfaronnades n’ont quasiment rien à voir avec la réalité.

Un plan vague

Cependant, depuis une semaine environ, le New York Times et les médias israéliens rapportent que le plan de paix de Trump prend effectivement forme. Leurs sources sont restées vagues concernant le contenu exact de ce plan, bien qu’un point spécifique ressorte dans l’ensemble des articles : les États-Unis reconnaîtront un État palestinien dans le cadre de l’accord global.

Nous pouvons en déduire les grandes lignes de ce qu’un accord Trump impliquerait : ses dispositions seraient très favorables à Israël et méprisantes pour les Palestiniens

La semaine dernière, le JT de la chaîne israélienne Hadashot a exposé les dispositions du plan de paix qui lui a été divulgué. Cet accord n’offrirait aux Palestiniens guère plus que la reconnaissance d’un État. Jérusalem ne serait pas admise comme capitale nationale de la Palestine. 

Aucun colon n’aurait à évacuer la moindre colonie, encore moins une colonie entière. Israël tirerait le gros lot en obtenant presque tout ce qu’il exige et n’a pas réussi à obtenir des précédentes administrations américaines.

Les États-Unis reconnaîtraient la plupart des besoins d’Israël en matière de sécurité, y compris la présence continue des forces israéliennes le long de la frontière jordanienne, ajoutait le reportage télévisé.

Celui-ci précisait en outre que Netanyahou plaide pour sa part pour le maintien du contrôle par Israël de la sécurité sur l’ensemble du territoire palestinien. C’est une position que Netanyahou a publiquement revendiquée, et qui, si elle était accordée, soulignerait que les Palestiniens ne gagneraient pas la pleine souveraineté.

À LIRE : EXCLUSIF : Pour les Palestiniens, l’« accord ultime » de Trump est un ultimatum

Le New York Times a indiqué précédemment qu’en vertu des dispositions de l’accord, Israël établirait des échanges commerciaux avec le monde arabe et que ses compagnies aériennes seraient autorisées à survoler l’espace aérien du Golfe. Selon le Times, l’Arabie saoudite, l’Égypte, les Émirats arabes unis et la Jordanie « pourraient y aller de leurs propres engagements, comme les survols par les avions de ligne israéliens, les visas pour les hommes d’affaires et des réseaux de télécommunications. »

Il y aurait des « échanges de terres », mais étant donné qu’aucune colonie ni aucun colon ne seraient relocalisés, on ne sait pas très bien quelles terres seraient échangées et pourquoi. Ainsi que le Times of Israel résume le reportage d’Hadashot : « les frontières ne seraient “pas nécessairement” basées sur les tracés d’avant 1967. »

Une photo prise le 6 février 2017 montre le mur de séparation controversé d’Israël séparant Jérusalem-Est (à gauche) du village d’Anata en Cisjordanie (AFP)

Idées fausses

Vous vous demandez peut-être pourquoi les Palestiniens accepteraient un tel accord ? Eh bien, apparemment, Trump et Netanyahou sont persuadés que les Arabes sont si vénaux qu’ils vendront leur droit imprescriptible pour quelques milliards de pétrodollars saoudiens.

Les États arabes sunnites et d’autres apporteraient des centaines de millions de dollars d’aide économique aux Palestiniens dans le cadre de ce plan, afin d’encourager le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas à accepter l’accord, selon le reportage.

Apparemment, Trump et Netanyahou sont persuadés que les Arabes sont si vénaux qu’ils vendront leur droit imprescriptible pour quelques milliards de pétrodollars saoudiens

Je me risquerais à dire que si vous demandiez à un Palestinien si, à choisir, il préférerait être riche ou que son pays obtienne la pleine reconnaissance et souveraineté, nous savons quelle serait sa réponse.

Une telle stratégie résulte d’une idée fausse bien ancrée d’Israël et des États-Unis selon laquelle le problème palestinien est un problème fondamentalement économique et non politique. Pendant de nombreuses années, les secrétaires d’État américains et les Premiers ministres israéliens ont présenté l’amélioration de l’économie palestinienne comme un moyen de résoudre le conflit global. 

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C’est un postulat faux et insultant. Mais au cas où vous vous demanderiez comment ou pourquoi ce plan a été divulgué maintenant… rappelez-vous que Netanyahou est confronté à quatre scandales de corruption distincts. Il a été interrogé pour la sixième fois par la police israélienne cette semaine.

Netanyahou cherche désespérément à changer de sujet. Quelle meilleure façon de le faire que de révéler au public israélien qu’il pourrait réaliser ce qu’aucun autre dirigeant israélien n’a jamais réussi à obtenir : une paix durable avec les voisins arabes d’Israël.

Un éditorial publié par Al Jazeera a condamné l’offre faite aux Palestiniens, la qualifiant non seulement de dégradante, mais aussi de répudiation du propre plan de paix des Saoudiens de 2002 :

… L’accord Kushner ne rendra en aucun cas justice au projet national palestinien. Alors que l’accord offre des avantages stratégiques à Israël, comme la fin d’un boycott saoudien, il n’offre que des avantages tactiques aux Palestiniens, comme une aide financière, la libération de prisonniers et un gel partiel et silencieux des activités de colonisation en dehors des grands blocs.

L’accord de Kushner fragmentera pratiquement le plan de paix arabe de 2002 parrainé par l’Arabie saoudite qui offrait à Israël une totale normalisation en échange d’un retrait complet des territoires arabes occupés en 1967. En poussant Abbas à accepter cet accord, les dirigeants saoudiens sapent leur propre initiative, acceptant de normaliser partiellement les relations avec Israël en échange d’une alliance contre l’Iran.

Deux personnes regardent le coucher de soleil sur la vieille ville de Jérusalem, avec la mosquée du Dôme du Rocher au centre, le 23 janvier 2017 (AFP)

Message des Saoudiens à Abbas

Cependant, les États-Unis ont suggéré que leur approche était différente des plans de paix précédents dans la mesure où aucune des parties ne sera contrainte de l’accepter. Il n’y aura pas de menaces.

Cette affirmation a déjà été démentie par deux articles de presse distincts faisant état de menaces émises contre les Palestiniens s’ils rejetaient l’accord.

Dans un premier temps, les médias israéliens ont rapporté que lorsque le roi Salmane a convoqué Abbas à Riyad pour des négociations le mois dernier, le leader palestinien a apparemment souligné que l’accord proposé n’était pas à la hauteur de ce que pourraient accepter les Palestiniens. Les Saoudiens ont rejeté ses remarques et lui ont probablement dit que s’il refusait l’accord, ils feraient de sa vie un enfer.  Il devrait, dans ce cas, démissionner.

Vraisemblablement, cela permettrait aux Saoudiens de le remplacer par une personnalité plus conciliante, comme Mohammed Dahlan. Confortablement installé à Dubaï, ce dernier se conformerait à leur volonté. En fait, selon l’éditorial d’Al Jazeera, Dahlan a été « par hasard » invité à Riyad en même temps qu’Abbas. Le message saoudien à Abbas était clair : si nous ne pouvons pas vous plier à notre volonté, nous trouverons quelqu’un qui le fera.

Le message saoudien à Abbas était clair : si nous ne pouvons pas vous plier à notre volonté, nous trouverons quelqu’un qui le fera

Étant donné qu’ils venaient juste de réussir à contraindre le Premier ministre libanais, Saad Hariri, de démissionner, les Saoudiens pensaient que cela intimiderait Abbas. Mais le chef de l’Autorité palestinienne est conscient que s’il trahit la cause palestinienne, l’histoire se moquera de lui.

La semaine dernière, le département d’État a « miraculeusement » sorti de ses tiroirs une loi obscure de 1994 déclarant que si les Palestiniens demandaient à la Cour pénale internationale d’enquêter sur les crimes de guerre israéliens, les États-Unis devraient fermer la mission de l’OLP à Washington DC

Les États-Unis ont noté que c’était exactement l’objet du discours d’Abbas à l’Assemblée générale de l’ONU à l’automne dernier : le dirigeant palestinien demandait à la CPI, qui compte désormais la Palestine parmi ses membres, de tenir Israël responsable du lourd bilan civil à Gaza pendant l’opération « Bordure protectrice ».

L’accord de Trump : un simulacre

Ce qui a été passé sous silence par les médias est la menace pas vraiment subtile que les États-Unis fermeraient la mission si l’Autorité palestinienne rejetait le plan de paix Trump.

Si Abbas n’est pas connu pour avoir une grande volonté politique, l’ancien négociateur en chef de l’OLP, Saeb Erekat, n’a pas manqué de répondre que si les États-Unis fermaient la mission diplomatique palestinienne, l’AP couperait toute communication avec les États-Unis. Cela mettrait certainement un frein au plan de paix de Trump.

« Créer un État palestinien viable à ce stade est impossible sans d’énormes concessions israéliennes et ce gouvernement israélien n’en fera pas »

- Professeur Stephen Walt, Université de Harvard 

À travers tout cela, nous pouvons déduire les grandes lignes de ce qu’un accord Trump impliquerait : ses dispositions seraient très favorables à Israël et méprisantes pour les Palestiniens. L’envie de ces derniers de rejeter sommairement l’accord serait contrebalancée par une pression écrasante de la part de la famille royale saoudienne pour l’accepter.

Franchement, malgré le consensus quasi total entre Israël, les États-Unis et l’Arabie saoudite selon lequel cet accord est un bon accord, et malgré l’énorme pression qu’ils peuvent exercer sur les Palestiniens pour qu’ils l’acceptent, je ne vois pas comment ils peuvent réussir.

Les États-Unis peuvent compter sur les louanges auxquelles ils s’attendent de la part de la communauté internationale pour enfin voir un plan de paix sérieux accepté par presque toutes les parties au conflit. Mais je parierais que le monde verra l’accord proposé comme un simulacre perpétré contre les Palestiniens. Stephen Walt, professeur de relations internationales à l’Université de Harvard, m’a dit :

« Il est difficile de croire que Kushner, Friedman et compagnie vont arriver à un accord qui fonctionnera, car la création d’un État palestinien viable à ce stade est impossible sans d’énormes concessions israéliennes (faisant marche arrière sur 40 ans de politique) et ce gouvernement israélien n’en fera pas. » 

Le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas (AFP)

Le facteur iranien

Les observateurs du Moyen-Orient ont noté un autre facteur à long terme en faveur d’un accord : l’Iran. Israël et les Saoudiens considèrent l’Iran comme un obstacle beaucoup plus redoutable et difficile à surmonter que ne le sont les Palestiniens. Ils pensent que s’ils parviennent à résoudre le plus petit problème (la Palestine), le monde regardera beaucoup plus favorablement leur approche agressive face à l’Iran et au Hezbollah.

« Les Arabes et les Israéliens sont confrontés à deux ennemis, l’Iran et le terrorisme, et ils doivent former une alliance pour les affronter », a déclaré un diplomate occidental, sous couvert d’anonymat. « Toutefois, cette alliance ne peut être conclue sans résoudre le problème palestinien : l’Arabie saoudite ne peut pas travailler ouvertement avec Israël face à l’Iran sans résoudre d’abord le problème palestinien et impliquer directement les Palestiniens dans un tel axe. »

Bien que les négociateurs de Trump aient déclaré qu’ils ne tenteraient pas de forcer les parties à respecter un calendrier ou une date butoir pour résoudre la question, un article israélien indique que Trump a l’intention de présenter son plan publiquement dès janvier.

- Richard Silverstein est l’auteur du blog « Tikum Olam » qui révèle les excès de la politique de sécurité nationale israélienne. Son travail a été publié dans Haaretz, le Forward, le Seattle Times et le Los Angeles Times. Il a contribué au recueil d’essais dédié à la guerre du Liban de 2006, A Time to speak out (Verso) et est l’auteur d’un autre essai dans une collection à venir, Israel and Palestine: Alternate Perspectives on Statehood (Rowman & Littlefield).

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le président américain Donald Trump et le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou à la Maison-Blanche, le 15 février 2017 (Reuters).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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