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Les militants du mouvement BDS aux États-Unis font face à de nouvelles menaces

Aux États-Unis, les militants sur les campus sont victimes de nouvelles menaces de la part de violentes organisations suprémacistes blanches

L’Université de Standford a publié un article la semaine dernière, juste au moment de la rentrée scolaire, rapportant qu’en Californie, les étudiants juifs à l’université n’avaient pas été témoins d’actes antisémites et vivaient leur religion harmonieusement.

Comme le souligne le sommaire du rapport : « Contrairement à l’impression générale, nous avons trouvé que la vie sur le campus ne renvoyait pas l’image d’un climat menaçant ou alarmant. Dans l’ensemble, les étudiants disent se sentir à l’aise sur leur campus, c’est le cas notamment des étudiants juifs ». Il est également précisé que les étudiants interrogés viennent de l’Université d’État de San Fransisco, l’Université de Berkeley, l’Université de Californie à Irvine, l’Université de Californie à Los Angeles et l’Université de Stanford.

Malgré les conclusions du rapport, les organisations ultraconservatrices ont griffonné des graffitis sur les murs des campus de l’Université de Georgetown à l’Université d’Hawaii en passant par l’Université d’État de Washington, généralement quelques jours, voire quelques heures avant que les écoles ouvrent leurs portes aux étudiants. Et même si ce phénomène déconcertant n’est pas nouveau, il pourrait prendre de l’ampleur cette année en raison de la montée du mouvement appelé « alt-right » (alternative right), la droite alternative américaine à l’échelle nationale.

L’une des nouvelles menaces qui pèse sur les campus sont les « Proud Boys », un groupe de défense des droits de l’homme « chauviniste occidental » créé en 2016 et dont les stratégies dévoilent des visées à la fois antisémites et antipalestiniennes et se positionnent contre le mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS). Les Proud Boys sont, pour la plupart, d’anciens militaires armés et peuvent être des membres de couleur dans certaines branches du mouvement, ce qui complique la donne lorsqu’on les accuse de « suprémacistes blancs ».

Gavin McInnes, cofondateur de Vice Media et député conservateur, s’adresse à la foule en lisant un discours écrit par Ann Coulter lors d’un rassemblement des conservateurs à Berkeley en Californie le 27 avril 2017 (AFP)

Ils s’affichent comme des promoteurs de la suprémacie « occidentale », et une bannière sur leur page Facebook revendique « Les Proud Boys ne sont pas les alt-right ». Ils se positionnent toutefois comme étant pro-armes, pro-Trump, pro-police, anti-islam et antiféministes (la liste n’est pas exhaustive).

L’organisation est traversée de nombreuses contradictions. Alors qu’ils s’affichent comme étant « pro-gays », on a entendu, par exemple, un de leurs membres dire qu’ils devaient combattre « les tapettes vêtues de noir », lors d’une manifestation à l’Université de New York, où s’exprimait Gavin McInnes, le fondateur des Proud Boys.

Les Proud Boys ont organisé des rassemblements et des campagnes de recrutement sur les campus dans tout le pays, et leurs échanges sur les réseaux sociaux révèlent également un antisémitisme profondément ancré. Au moment où chacun avance ses pions, alors que de nombreux enseignants et personnels de l’université qui rejoignent le nouveau réseau antifasciste des campus en pleine croissance sont bien décidés à ne pas laisser ces groupes s’installer sur leur campus, les Proud Boys pourraient être à l’origine d’une escalade de la violence. Le risque est d’autant plus sérieux que l’étape finale de leur rituel d’affiliation comprend « un combat majeur pour la cause ».

« Vous vous faites tabasser, vous défoncez un antifasciste et vous risquez aussi de vous faire arrêter », rapporte Gavin McInnis, Proud Boys et cofondateur de Vice Media.

L’autre nouvelle ligne de bataille sur les campus, dont le périmètre se limite à New York aujourd’hui, mais qui a l’intention d’élargir sa cible au niveau national, est le nouveau groupe « OutlawBDS ».

Ils s’identifient ouvertement comme étant une « liste noire ». Ces dernières semaines, des étudiants, personnels enseignants, journalistes, membres d’organisations à but non lucratif et professionnels de la culture ont reçu cet email (envoyé à Middle East Eye par l’un des destinataires du courrier) :

[Nom] Sachez que vous avez été identifié comme partisan de BDS.

Conformément à la nouvelle législation en vigueur dans l’État de New York, les particuliers et les organisations qui s’engagent ou encouragent les activités de BDS auprès des alliés des États-Unis ne recevront plus de financement ou de soutien public.

De plus, l’État et ses institutions ne concluront plus d’affaires avec ces organisations et particuliers ou ne passeront plus par leurs services lorsque ces derniers auront été jugés problématiques et anti-américains.

                 Vous avez été repéré.

                 Vous avez été identifié.

Vous disposez d’un délai limité pour cesser et renoncer à vos activités ou vous prenez le risque d’être traduit en justice. Si vous renoncez à vos écarts de conduite passés, merci de nous contacter à l’adresse [email protected] pour nous demander de supprimer votre profil de la liste noire.

Pour accéder à votre profil, cliquez sur :

www.outlawbds.com

Alors que les menaces à l’encontre des organisateurs de BDS ont augmenté ces dernières années, des avocats militants ont créé Palestine Legal, une organisation établie à Chicago et dont la mission consiste à protéger les droits civils et constitutionnels des individus sur le territoire américain qui réclament la liberté de la Palestine.

Après avoir reçu cet email, plusieurs partisans de BDS ont contacté cette organisation. Celle-ci a publié un communiqué indiquant que toutes les tentatives visant à « inscrire sur liste noire » les partisans du boycott étaient anticonstitutionnelles et n’avaient pour but que d’intimider et de menacer les militants.

« En tant que conseillère pédagogique auprès de l’organisation Students for Justice in Palestine, membre de Faculty for Justice in Palestine à l’Université de Californie à Davis et organisatrice du boycott à l’université, impliquée dans les campagnes nationales, j’ai remarqué l’effet intimidant que les listes noires sionistes et les campagnes de diffamation avaient eu sur les militants impliqués dans le mouvement pour la justice palestinienne, notamment sur les campus où les administrateurs répriment régulièrement les étudiants qui osent réclamer l’égalité et la justice pour le peuple palestinien », témoigne à Middle East Eye Sunaina Maira, professeure d’études asiatico-américaines à l’Université de Californie à Davis et membre de l’US campaign for the Academic and Cultural Boycott of Israel.

Et d’ajouter : « Les stratégies qu’utilisent les militants alt-right et les groupes nationalistes blancs pour attaquer la faculté et menacer la liberté universitaire sont utilisées depuis longtemps par les sionistes aux États-Unis pour créer ce que Steven Salaita a appelé ‘’l’exception palestinienne’’ à la liberté d’expression. »

« J’ai remarqué l’effet intimidant que les listes noires sionistes et les campagnes de diffamation avaient eu sur les militants impliqués dans le mouvement pour la justice palestinienne »

- Sunaina Maira, l’Université de Californie à Davis

« Les étudiants musulmans et palestiniens/arabes, notamment, doivent composer avec leur identité annihilée et leur histoire ignorée dans les salles de classe. Ils doivent également faire face au racisme antipalestinien/arabe ainsi qu’à l’islamophobie, qui s’est intensifiée dernièrement ».

En outre, les administrations universitaires se sont montrées plutôt hostiles envers les organisations d’étudiants pro-palestiniennes, pro-BDS, comme en témoignent les mesures disciplinaires prises à leur encontre. La Fordham University, par exemple, s’est opposée à la formation d’une section SJP (Students for Justice in Palestine) l’année dernière, et plus récemment, la section SJP à la University of California à Irvine est suspendue depuis deux ans. Et pourtant l’University of California à Irvine fait partie des campus qui ont participé à l’enquête de Stanford et abritent des étudiants juifs qui se sentent à l’aise, en sécurité et rassurés.

« Une manœuvre d’intimidation facile »

Certains sympathisants du BDS, cependant, se moquent des menaces d’ajout à la « liste noire ». Ils sont ainsi nombreux à poster sur les réseaux sociaux leur volonté d’être ajoutés à cette liste d’exception, en donnant des détails concernant leur affiliation et leur militantisme. Et de nombreux individus qui se retrouvent sur la liste noire ignorent ces menaces.

« Comme le souligne l’organisation Palestine Legal, l’email reçu par Outlaw BDS est une manœuvre d’intimidation facile qui n’a aucune valeur », souligne à MEE Remi Kanazi, poète installé à New York et organisateur de BDS figurant sur la liste du site « outlawBDS ».

Altercation entre un manifestant antifasciste et un partisan pro-Trump pendant la marche de Denver anticharia, le 10 juin 2017. La marche a été soutenue par deux groupes de droite, les Proud Boys et les Motards contre l’islam radical (AFP)

« C’est une nouvelle tentative, certes bien mesquine, visant à réduire au silence les Palestiniens et les organisateurs de BDS en employant des mesures coercitives », ajoute-t-il. « Mais BDS gagne du terrain de jour en jour. Il est vrai que nous ne disposons pas d’un dispositif de plusieurs millions de dollars en matière de relations publiques, ni de représentants de l’État pour nous soutenir, mais la vérité et l’histoire sont de notre côté. »

« Que ce soit à travers le Movement for Black Lives ou les groupes d’étudiants et les associations universitaires dans le pays, les gens vont de plus en plus loin, souvent au risque de représailles, pour afficher leur soutien de principe en faveur de la libération de la Palestine, et cette base ne pourra que se renforcer avec le temps », constate Remi Kanazi.

En affichant ses principaux objectifs visant à mettre fin à la violation des droits de l’homme à l’encontre du peuple palestinien, BDS a toujours déclaré qu’il incarnait avant tout un mouvement de lutte contre le racisme. En tant que tel, il condamne et dénonce toutes formes de racisme, notamment l’antisémitisme. D’ailleurs, un pourcentage significatif de membres des sections Students for Justice in Palestine dans le pays est juif, ainsi que de nombreux organisateurs au sein des différents groupes de justice pro-palestiniens, allant de US Campaign for Palestinian Rights en passant par US Campaign for the Academic and Cultural Boycott of Israel et Jewish Voice for Peace, entre autres. 

« Leur programme [des Proud Boys] est constamment – et violemment – antisémite, raciste, notamment envers les autochtones, et patriarcal »

Cynthia Franklin, cofondatrice de Jewish Voice for Peace Hawaii

« Comme j’ai pu le constater à l’Université d’Hawaii, le fonctionnement des Proud Boys repose sur des déclarations publiques sur le racisme et l’antisémitisme qui sont contradictoires et déconcertantes », fait remarquer à MEE Cynthia Franklin, professeure à l’Université d’Hawaii et cofondatrice de Jewish Voice for Peace Hawaii et membre de Organizing Collective of the US Campaign for the Academic and Cultural Boycott of Israel.

« Cette incohérence et leur ‘’fraternité’’ (club universitaire américain) imbécile ne signifient pas que nous ne devons pas les prendre au sérieux », ajoute-t-elle.

« Leur programme est constamment – et violemment – antisémite, raciste, notamment envers les autochtones, et patriarcal », constate Cynthia Franklin. « Avec par ailleurs d’autres influences, ils instaurent un climat d’insécurité sur mon campus où sont apparues des croix gammées. Cette attitude est déconcertante et alarmante, et en tant que juif également antisioniste, la situation exige la mise en place de nouvelles stratégies visant à lutter contre l’antisémitisme et le sionisme ».

Ainsi, alors que les tensions politiques nationales s’expriment sur les campus de tout le pays, nul doute que cette année les étudiants et le personnel enseignant feront bien d’autres apprentissages que l’acquisition de connaissances purement universitaires.


- Nada Elia est une écrivaine et commentatrice politique issue de la diaspora palestinienne. Elle travaille actuellement sur son deuxième livre, Who You Callin’ “Demographic Threat” ? Notes from the Global Intifada. Professeur (retraitée) d’études sur le genre et la mondialisation, elle est membre du collectif de pilotage de la Campagne américaine pour le boycott universitaire et culturel d’Israël (USACBI).

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Gavin MacInnes prend la parole à la « Marche contre la charia » à New York le 10 juin 2017 (Reuters).

Traduction de l’anglais (original) par Julie Ghibaudo.

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