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Netanyahou et la nazification des Palestiniens

La déclaration de Netanyahou fait partie d’une longue tradition de mobilisation de l’Holocauste aux fins de légitimation de la violence et de la répression coloniales de l’occupation

Lors de son discours au 37e Congrès sioniste à Jérusalem, le Premier ministre Benjamin Netanyahou a affirmé qu’Israël n’était pas en train de changer le statu quo à la mosquée al-Aqsa et que la révolte palestinienne actuelle n’était qu’une nouvelle phase d’un long passif d’attaques meurtrières contre les juifs.

Interprétant les récents événements dans une perspective historique, Netanyahou a affirmé que les attaques « contre la communauté juive en 1920, 1921, 1929 ont été provoquées par un appel du Grand Mufti de Jérusalem, Hadj Amin al-Husseini, qui a par la suite été recherché pour crimes de guerre lors des procès de Nuremberg parce qu’il avait joué un rôle central dans l’incitation à [mettre en place] la solution finale ».

« À l’époque Hitler ne voulait pas exterminer les juifs, a expliqué Netanyahou, il voulait les expulser. Hadj Amin al-Husseini est allé le voir et lui a dit : ‘’Si vous les expulsez, ils vont tous venir ici’’ ».

Selon Netanyahou, Hitler lui aurait demandé : « Que dois-je faire d’eux alors ? ». Et le mufti aurait répondu : « Les brûler ».

Le récit historique révisionniste de Netanyahou a provoqué de virulentes critiques de la part de spécialistes israéliens et palestiniens de l’Holocauste. Craignant que les déclarations déroutantes du Premier ministre israélien puissent être interprétées comme le refus d’assumer le rôle premier de l’Allemagne dans l’Holocauste, un porte-parole du gouvernement allemand a réitéré le fait qu’Amin al-Husseini n’était pas derrière la solution finale. « La responsabilité nous appartient », a-t-il dit, « il n’est pas nécessaire de revenir sur cela ».  

La déclaration de Netanyahou a peut-être surpris la communauté internationale mais elle n’est en réalité qu’un nouveau chaînon d’une longue tradition de mobilisation de l’Holocauste aux fins de légitimation de la violence et de la répression coloniales de l’occupation. En réalité, les propos de Netanyahou participent d’un discours sioniste, en vigueur depuis les années 50, qui opère une projection spatiale et temporelle de la menace génocidaire du passé dans le présent d’Israël et de la Palestine.

L’objectif est d’assimiler les Nazis aux populations arabes du Moyen-Orient. Il s’agit de ce que nous définissons dans notre livre The Human Right to Dominate (le droit humain de dominer) comme la reterritorialisation de la menace, un processus selon lequel les États arabes de la région et les Palestiniens qui ont été déplacés suite à l’établissement de l’État d’Israël ont été progressivement identifiés avec les auteurs de la solution finale.

Un demi-siècle avant Netanyahou, l’ancien Premier ministre David Ben-Gurion et d’autres dirigeants politiques israéliens avaient déjà opéré une opération discursive fondamentale, décrite par Idith Zertal comme la « nazification de l’ennemi ». La connexion entre l’Holocauste et les Arabes fut créée en transformant ces derniers en une menace existentielle, renforçant la représentation d’Israël en tant qu’entité en état d’urgence permanent.

Pendant et après la guerre de 1967, la conquête israélienne de nouveaux territoires palestiniens et arabes fut présentée comme une réponse à cet état d’urgence permanent. Lorsqu’en 1969, Abba Eban, le ministre des Affaires étrangères israélien de l’époque, définit le retour aux frontières d’avant 1967 comme « une sorte de souvenir d’Auschwitz », il évoquait la persistance temporelle de l’Holocauste dans le présent. De cette manière, à travers la métaphore de « la lignée d’Auschwitz » — une métaphore qui fut par la suite remobilisée par d’autres acteurs politiques israéliens —, il replaça la menace dans le contexte des conquêtes israéliennes. Un retrait des territoires occupés en 1967 aurait correspondu, dans la logique d’Abba Eban, à un retour de l’Histoire : la possible répétition, dans un nouveau contexte temporel et spatial, des terribles événements qui avaient provoqué la création du régime international des droits de l’homme contemporain.

En d’autres termes, les crimes contre l’humanité commis en Europe ont servi à rationaliser et justifier le processus expansionniste et irrespectueux des droits de l’homme de la politique israélienne au Moyen-Orient.

Ainsi, le déplacement spatial et temporel de l’Holocauste au Moyen-Orient palestinien a aidé à justifier les pratiques de délocalisation forcée et de dépossession de la population indigène ; il a aidé à légitimer les pratiques colonialistes d’occupation dans les territoires occupés en 1967 en permettant à Israël d’invoquer le passé afin de fournir une justification morale à sa domination actuelle. La conquête et la colonisation ont été normalisées et légitimées comme une sorte de mesure préventive contre la rematérialisation d’Auschwitz.

La nouvelle « révélation historique » de Netanyahou est une répétition de ce discours d’urgence permanent. Son but est de s’assurer que les Palestiniens continuent à être considérés comme la menace ultime, et que les juifs maintiennent leur statut de victimes perpétuelles des violations des droits de l’homme.  

- Neve Gordon est l’auteur de Israel's Occupation (l’occupation d’Israël) et co-auteur de The Human Right to Dominate (le droit humain de dominer). Nicola Perugini est un chercheur postdoctoral titulaire d’une bourse Andrew W. Brown en études italiennes et du Moyen-Orient à l’université Brown et co-auteur de The Human Right to Dominate.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou lors d’une conférence de presse conjointe avec la chancelière allemande à Berlin le 21 octobre 2015 (AFP).

Traduction de l’anglais (original).

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