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Pourquoi Israël ne veut pas d’un État palestinien souverain

Il est temps d’accepter la réalité selon laquelle Israël ne veut tout simplement pas d’un État palestinien souverain – sans se voiler la face quant aux graves implications de ce refus

Combien faudra-t-il de colons israéliens – ou de colonies – pour que devienne impossible une solution à deux États ? C’est la principale question à poser à nos politiques, eux qui évoquent si souvent la « fermeture d’une fenêtre d’opportunité » pour l’avènement d’un État palestinien, compte tenu de l’« action des israéliens sur le terrain ».

Prenant récemment la parole devant le parlement, le ministre britannique des Affaires étrangères, Boris Johnson, en a appelé à l’arrêt des « colonies illégales ». À chaque fois que les autorités israéliennes « construisent de nouvelles unités », a-t-il déclaré, elles « nous éloignent d’une solution à deux États », même si « elles n’ont pas encore exclu de dessiner une nouvelle carte ».

À LIRE : Loi israélienne sur les colonies : de l'occupation à l'annexion

C’est une question têtue : à combien leur nombre deviendra-t-il excessif ? La population actuelle des colons atteint aujourd’hui 620 000 au moins, Jérusalem-Est occupée incluse. Mais il y a 35 ans, on considérait le « simple » chiffre de 100 000 personnes comme « un nombre si important qu’aucun gouvernement israélien ne pourrait accepter par la suite de se retirer du territoire ».

Arrêter de compter les colons

Au fil des décennies, ce chiffre fatidique n’a cessé d’évoluer pour suivre le rythme de la colonisation, et chaque indépassable ligne rouge a toujours été franchie un peu plus tard par une autre : 100 000, 250 000, un demi-million – aujourd’hui, certains proposent qu’à 750 000 colons, « il ne sera plus possible de se répartir la terre ».

Il est temps de cesser de se baser sur le nombre des colons – Israël ne veut tout simplement pas un véritable État palestinien.

La semaine dernière à Chatham House, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a déclaré que la « souveraineté » s’avérait peut-être « inapplicable » au cas palestinien. Et de souligner : puisque « la préoccupation primordiale d’Israël demeure sa sécurité », il convient d’étudier d’autres modèles de souveraineté.

Lors du même voyage à Londres, Netanyahou ne s’est pas laissé tirer les vers du nez par le journaliste de la BBC, Andrew Marr, qui lui demandait s’il soutenait l’option d’un État palestinien indépendant. Il s’est contenté de répondre que les Palestiniens devraient être investis de « certains pouvoirs leur permettant de se gouverner eux-mêmes ».

À cela, rien de surprenant : en janvier, Netanyahou a déclaré à ses ministres qu’il n’irait pas au-delà d’accorder aux Palestiniens un « État qui n’en serait pas vraiment un ». En 2015, en se présentant à sa réélection, le chef du Likoud a promis que tant qu’il serait là, il ne serait jamais question de l’existence d’un État palestinien.

Netanyahou cherche à susciter la compassion et à détourner la critique des publics occidentaux en légitimant son opposition à la souveraineté palestinienne par les inquiétudes que nourrit Israël en matière de « sécurité ».

En fait, l’argument « sécuritaire » à l’encontre du retrait israélien des territoires palestiniens occupés et de la création d’un État palestinien souverain ne résiste tout simplement pas à un examen minutieux.

Un ouvrier déroule une nouvelle affiche de campagne par-dessus une autre, identique, du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, dont les yeux ont été défigurés par le dessin de dollars, deux jours avant une élection générale (Reuters)

Opposition à la souveraineté palestinienne

Comme l’a expliqué le professeur Mushtaq Khan de la School of Oriental and African Studies, à l’Université de Londres, « la supériorité militaire écrasante d’Israël le prémunit non seulement contre toute menace concevable d’un futur État palestinien, mais aussi contre les menaces de voisins arabes même plus nombreux et militairement avancés ».

Et si Israël ne jouissait pas de la supériorité militaire pour défendre ses frontières d’avant 1967, il ne pourrait jamais accepter l’existence d’un État palestinien souverain, car « l’engagement des Palestiniens de ne pas attaquer Israël à l’avenir ne saurait se voir crédibilisé par leur promesse de s’abstenir de l’agresser aujourd’hui ».

Puisque ce discours sécuritaire s’avère une fumisterie – alors que trop de diplomates et d’analystes y souscrivent sans réserve – qu’est-ce qui explique alors l’opposition de Netanyahou à la création d’un État palestinien ?

L’argument « sécuritaire » contre le retrait israélien du territoire palestinien occupé et l’établissement d’un État palestinien souverain ne résiste tout simplement pas à un examen minutieux

Nous ne trouverons réponse à cette question qu’en élargissant la portée de notre enquête et en acceptant la dérangeante mais indéniable vérité que tous les gouvernements israéliens se sont opposés à la souveraineté palestinienne – et c’est encore le cas aujourd’hui, d’un bout à l’autre du spectre politique.

Avi Gabbay, l’actuel chef du parti travailliste israélien, a certes exprimé son soutien à « deux États pour deux peuples », mais a aussi clairement indiqué – comme avant lui son prédécesseur Isaac Herzog – qu’un tel accord ne serait possible qu’à des conditions incompatibles avec les droits du peuple palestinien.

Le journaliste israélien Yoaz Hendel a souligné cette semaine que, lorsque les représentants israéliens ont parlé d’un État palestinien, « voici ce qu’ils entendaient par là : une autonomie élargie dans laquelle les Palestiniens jouiraient d’un certain contrôle politique (et diplomatique) – étant entendu cependant qu’Israël conserverait un accès permanent à la sécurité ».

Il a ajouté : « Bref, ce que les Israéliens proposent ressemble beaucoup à la situation actuelle. Dans ce contexte, la taille du territoire discuté constitue la seule différence entre la droite et la gauche »

Des solutions créatives ?

Maintien du statu quo, annexion ou « séparation » – c’est tout ce qu’a à proposer ce gouvernement israélien, ainsi que tout autre gouvernement ayant une chance d’être élu par la suite.

Toutes ces variantes tiennent de la gestion du soi-disant conflit, plutôt que de sa résolution – et aucune d’entre elles n’autorisent la création d’un État palestinien souverain (il convient en outre de noter que seulement 32 % des Israéliens juifs soutiennent un processus de paix à deux États – même en prenant l’option d’un État palestinien « démilitarisé »).

Voici ce que Daniel Levy, auteur du projet États-Unis/Moyen-Orient, m’a dit un jour, alors que nous évoquions la question des « échanges de terres » : tout problème peut se résoudre à l’aide de solutions créatives. « Mais aucune solution créative ne pourra combler une aussi énorme brèche, parce que chacune des parties n’accepte tout simplement pas la légitimité de l’existence souveraine et indépendante de l’autre ».

Diplomates et commentateurs occidentaux n’ont pas compris le sens du rejet israélien, d’une part, parce qu’ils souscrivent à la rhétorique de la « menace démographique » adoptée par le camp israélien en faveur de la séparation : pour demeurer un État « juif et démocratique », Israël doit renoncer à certaines parties de la Cisjordanie.

Pourtant, comme l’a écrit Khan en 2005, les « aspects critiques » du « défi ethno-démographique » d’Israël – à savoir des citoyens palestiniens d’Israël et des réfugiés palestiniens – ne seraient pas résolus par la création d’un État palestinien souverain à l’intérieur d’un territoire palestinien occupé, ils risquent même de s’aggraver.

À LIRE : Palestiniens et Israéliens devraient-ils se préparer à « une réalité à un État » ? 

De ce point de vue, les politiques prétendument contre-productives d’Israël dans les territoires palestiniens occupés prennent une signification stratégique renouvelée. Israël « gère » le « problème » en créant (avec une clause de réversibilité) des cantons d’autonomie palestinienne. Leur manque de viabilité provoque alors colère et résistance des Palestiniens – ce justifie donc l’approche « prioritairement sécuritaire » d’une phase d’éternelle « transition » temporaire.

On ne peut qu’admirer la brillante ingéniosité d’une telle circularité – mais pourra-t-elle tenir sur la durée ? Elle risque de se voir remise en cause si la communauté internationale exige d’Israël de jouer cartes sur table, et si le leadership palestinien cesse de respecter les règles d’un tel jeu pour adopter un tout autre paradigme.

Les décideurs politiques doivent abandonner un cadrage qui présuppose – bien qu’il soit rarement identifié – un « point de non-retour » spécifique pour une solution à deux États. Il est temps d’accepter la réalité : Israël ne veut tout simplement pas d’un État palestinien souverain. Cessons donc de nous voiler la face quant aux graves implications de ce refus.

- Ben White est l’auteur des ouvrages Israeli Apartheid: A Beginner’s Guide, et Palestinians in Israel: Segregation, Discrimination and Democracy. Il est rédacteur pour le Middle East Monitor et ses articles ont été publiés par divers médias, dont Al Jazeera, al-Araby, le Huffington Post, The Electronic Intifada et dans la section « Comment is free » de The Guardian.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Israël a promis de relancer la construction de colonies illégales comme Maale Adumim, à Jérusalem-Est (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par Dominique Macabies

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