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Sissi et l’Égypte face à une autre révolution ?

À l’occasion du sixième anniversaire du soulèvement du 25 janvier, des signes politiques, économiques et sociaux indiquent que l’Égypte risque l’effondrement

Les balles du gouvernement ont mis fin à plus de 800 vies respectables pendant la révolution de 2011 qui débuta il y a six ans aujourd’hui. Ils étaient les plus chanceux.

Les 90 millions d’Égyptiens écrasés par la gouvernance oppressive d’une contre-révolution, qui a fait sombrer l’Égypte comme jamais auparavant, sont les malheureux.

Cependant, un changement peut se produire et, comble de l’ironie, celui qui a mené la contre-révolution, le président Abdel Fattah al-Sissi, pourrait très bien devenir le déclencheur d’une future confrontation.

Les révolutionnaires : plus de cœur que de ruse politique

Alors que des centaines de familles égyptiennes enterraient leurs morts et que des milliers d’autres pansaient leurs blessés, on ne pouvait blâmer personne d’avoir mal compris la vraie nature de la lutte en cours.

La plupart croyaient qu’il s’agissait d’une lutte pour la dignité, la liberté et le pain, mais l’armée se battait pour son immense empire financier.

« Suivez l’argent », le slogan du film dramatique de 1976 Les hommes du président, qui racontait comment les journalistes avaient découvert le scandale du Watergate, pourrait être utile ici.

Fin 2011, selon la plupart des estimations, l’armée contrôlait entre 25 et 40 % de l’économie égyptienne. Le secret absolu est, et était, le mode opératoire constant du gouvernement.

La plupart croyaient que la révolution de 2011 était une lutte pour la dignité, la liberté et le pain, mais l’armée se battait pour son immense empire financier

Cependant, ce n’était pas la nature de l’armement de l’armée ni son positionnement qui était gardé secret. Il s’agissait plutôt de la quantité de pâtes, d’eau et d’autres services et marchandises vendus par l’armée, le véritable muscle économique de son empire.

Alors que les « révolutionnaires » se battaient et se concentraient sur la nature du nouveau modèle politique que les Frères musulmans avaient porté au pouvoir, la contre-révolution – incarnée par Sissi et sa bande – cherchait à protéger ses intérêts économiques avant tout. Il s’est avéré que les révolutionnaires avaient plus de cœur que de ruse politique.

Revenons-en à aujourd’hui, et répondez à ceci : si quelques vieux hommes contrôlent, comme c’est probable aujourd’hui, une part encore plus grande de l’économie, et que ces hommes « manquent d’expérience, de formation ou de qualifications pour cette tâche », pourquoi dans ce cas serait-il surprenant que les Égyptiens soient désormais confrontés à un cancer économique ?

Des Égyptiens prennent d’assaut un camion pour obtenir du sucre rationné alors que les prix continuent à augmenter, en novembre 2016 (AFP)

Les observateurs du camp de Sissi savent que ces doigts maladroits et sujets à l’erreur ont aussi poussé des boutons dans des secteurs non économiques.

Regardez la grenade politique de l’affaire des îles de la mer Rouge en janvier, quand le régime a subi une défaite humiliante lorsque le tribunal administratif a statué que Tiran et Sanafir sont égyptiennes.

Rien de moins qu’une gifle publique au visage du gouvernement Sissi, le verdict n’était pas loin de qualifier cette tentative de manœuvre de trahison. La cession des deux îles, selon la Cour, est une « énorme erreur historique » et rien de moins qu’une « menace permanente pour la sécurité nationale égyptienne… ainsi qu’un préjudice pour les intérêts économiques égyptiens dans ses eaux territoriales ».

Le manque de diplomatie du verdict, dans un environnement juridique presque entièrement pro-gouvernemental, constituait un message indubitable à un régime qui croit que le pouvoir est supérieur au droit.

D’où surgira le prochain problème ?

Pas plus tard que le lendemain, peut-être pour détourner l’attention du public du désastre des îles de la mer Rouge, le clan Sissi, avec un génie inégalé, décidait de sacrifier un héros national.

Mohamed Aboutrika, ancien footballeur considéré comme le joueur le plus important des vingt dernières années, a été officiellement déclaré terroriste pour son soutien perçu aux Frères musulmans, malgré une décision antérieure du tribunal selon laquelle le gel de ses avoirs était nul et non avenu.

Si quelqu’un est sourd au timbre normal, alors crier est l’alternative logique

En deux heures, le hashtag #AboutrikaIsNotATerrorist (« Aboutrika n’est pas un terroriste ») devenait tendance sur Twitter en Égypte. Ce genre de mauvais calcul risible n’est pas une exception.

Le régime actuel insiste étrangement pour transformer un paysage égyptien habituellement calme en mer écumant de colère. Plutôt que de fournir la sécurité, Sissi est attaché à une posture musclée qui rapproche la nation de la confrontation.

Ce ne sont là que les événements de la semaine passée – mais si les dirigeants actuels doivent payer le prix de leurs nombreuses transgressions à moyen terme, ce sera la mauvaise gestion économique qui les aura.

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La plupart des Égyptiens sont aux prises avec l’inflation, qui a presque doublé au cours des neuf dernières semaines à plus de 24,3 %, couplée à une augmentation explosive de 29,3 % du prix des denrées alimentaires. Ce sont là des pressions considérables pour un gouvernement titubant.

Avec l’instabilité à chaque coin de rue, d’où surgira le prochain problème pour Sissi ?

L’alliance cruciale avec l’Arabie saoudite, le premier bienfaiteur économique du président, est en train de s’effondrer : Sissi doit savoir que les Égyptiens sont fatigués de l’instabilité des six dernières années.

Naïvement pour un homme issu des renseignements, il peut considérer que l’effet d’une arme sur la tempe du peuple a fait revenir la crainte qui s’était évanouie pendant la révolution. Mais cela pourrait s’avérer une erreur de calcul fatale.

Un hélicoptère militaire survole des partisans de Mohammed Morsi au Caire en 2013 (AFP)

Depuis 1952, l’Égypte n’a connu que des régimes militaires – interrompus pendant seulement un an par la présidence de Mohamed Morsi – qui ont cherché à éliminer l’opposition politique et l’activisme de la scène politique égyptienne. Par conséquent, la perspective d’une solution politique, en tant que telle, est, au mieux, éloignée.

Ibrahim Issa, personnalité du petit écran et l’un des fanfarons du régime dont l’émission télévisée a récemment été suspendue, l’a bien formulé lorsqu’il a dit : « Le régime n’a de cœur que pour le régime ».

La mort du processus politique et de la liberté d’expression n’est pas un secret dans cet État policier. Si la discussion est vilipendée et que les critiques sont jugées « peu professionnelles et subjectives », comme l’a dit récemment Sissi, cela ne peut conduire qu’à une confrontation – et, à plus grande échelle, pas uniquement sur le plan politique.

Si quelqu’un est sourd au timbre normal, alors crier est l’alternative logique. Lorsque vous avez faim pendant assez longtemps, alors la balance de la peur bascule en faveur d’une colère croissante.

Pourquoi les dirigeants civils ne sont pas la réponse

Un point de départ pour le changement politique est l’idée d’un changement « par le peuple, pour le peuple ». La révolution du 25 janvier fut en grande partie l’expression pacifique d’une colère profonde – mais toute confrontation à venir ne le sera pas.

Il y a deux raisons à cela : le manque d’organisation structurelle de l’État et Sissi lui-même. Là où règne le chaos, la violence entre probablement. Avec Sissi d’un côté de l’équation, le massacre de Rabia en août 2013 nous a montré que les effusions de sang égyptien, sous prétexte de protéger la souveraineté égyptienne et la sécurité nationale, sont une ligne invisible.

Soyons parfaitement clairs ici : tant sur le plan économique que politique, le règne de Sissi reflète la dynamique d’une occupation par une puissance étrangère

Si un affrontement tel que celui de 2011 venait à se produire, beaucoup pensent que le nombre de morts serait exponentiellement plus élevé que celui de la révolution.

Soyons parfaitement clairs ici : tant sur le plan économique que politique, le règne de Sissi reflète la dynamique d’une occupation par une puissance étrangère. Pour changer cela, le prix sera probablement une quantité abondante de sang.

Certains peuvent se demander pourquoi des dirigeants civils comme le prix Nobel Mohamed el-Baradei et Hamdine Sabahi, l’ancien candidat à la présidence, ne peuvent pas montrer la voie.

En termes simples, la crédibilité des deux hommes a été gravement compromise. El-Baradei est parti après le coup d’État de 2013, quittant l’Égypte lorsqu’elle en avait le plus besoin, ainsi que beaucoup l’ont ressenti. Sabahi a perdu le soutien dont il disposait parce qu’il a concouru contre Sissi en 2014, donnant aux élections un faux cachet de crédibilité. Sans leadership, sans revendications claires et sans plan, le chaos violent est plus probable qu’improbable.

La seconde porte

Alternativement, la seconde piste pour une métamorphose politique – celle que les Égyptiens qui croient à l’idée d’un modèle civil à tout prix ne souhaiteront pas voir – est celle d’un coup d’État.

Cette option est, depuis peu de temps après la victoire de Morsi en 2012, un fantôme potentiel sous la forme d’Ahmed Chafik, un ex-général exilé aux Émirats arabes unis.

Pour des millions d’Égyptiens, Chafik était une option viable qui s’était presque adjugé la présidence en 2012. Alors que la nation a fortement viré à droite pendant le règne de Sissi, Chafik pourrait être considéré comme un personnage centriste et comparativement unificateur si Sissi venait à continuer de perdre des partisans à l’intérieur et à l’extérieur du pays.

Six ans après une tentative manquée de libération, les Égyptiens sont maintenant confrontés à un moment aussi sombre que le 25 janvier était brillant

Dans le même temps, on ne peut jamais ignorer le ministre de la Défense dans une nation aussi militariste que l’Égypte, comme nous l’avons appris avec Sissi, qui a lui-même accédé à la présidence depuis ce poste il n’y a pas si longtemps.

En conséquence, il est plausible que le plus réticent Sedki Sobhi puisse être l’homme de l’establishment militaire sur le terrain pour apaiser un peuple en colère, protéger ses intérêts et maintenir une emprise sur le pouvoir politique.

Personne ne sait ce que ces options pourraient apporter sur la table – mais pour les Égyptiens à la recherche de changement, ce serait un couteau de plus sous la gorge de toute aspiration démocratique. Dans un tel scénario, les Égyptiens ont besoin d’une armée pour les protéger de l’armée.

Six ans après une tentative manquée de libération, les Égyptiens sont maintenant confrontés à un moment aussi sombre que le 25 janvier était brillant. Il y a quelques jours seulement, Chris Jarvis, chef de mission du Fonds monétaire international (FMI) en Égypte, a reconnu que « la livre égyptienne a chuté plus que prévu. Nous avions tort dans nos politiques et les pauvres vont fortement en pâtir. »

Le FMI sait que le régime est en danger et que « le gouvernement pourrait s’effondrer ». Au bout du compte, les gens ordinaires ont du mal à joindre les deux bouts. Il s’agit d’une formule par excellence propice à une confrontation entre les riches du gouvernement et la classe dirigeante des hommes d’affaires, et les pauvres qui se comptent en dizaines de millions.

Prétendre que le temple égyptien montre des signes de fissures est un euphémisme. Sur les fronts politique, économique et social, des traces indiquent qu’il est en train de s’effondrer.

Ne rien faire, c’est manquer de respect à la mémoire des près de mille personnes qui ont sacrifié leur vie au moment où l’espoir était le plus fort en Égypte, il y a six ans.

Amr Khalifa est journaliste indépendant et analyste. Il a récemment été publié dans Ahram Online, Mada Masr, The New Arab, Muftah et Daily News Egypt. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @cairo67unedited.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : des manifestants égyptiens brandissent leur drapeau national sur la place Tahrir, dans le centre du Caire, le 30 janvier 2011 (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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