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Un plan de paix imparfait pour la Syrie ou l'apocalypse

Face au pessimisme, à la guerre par procuration et à un régime affaibli, mais loin d'être vaincu, place aux solutions réalistes pour la Syrie

Pour celui qui connaît le conflit syrien, et d'ailleurs probablement pour tout citoyen syrien, les perspectives d'avenir pour le pays et ses citoyens sont très sombres.

Outre ce regard pessimiste, il y a unanimité sur la nécessité de mettre fin à cette guerre au plus vite.  Plus le conflit se prolonge, plus la situation dans la région et partout dans le monde devient instable et dangereuse. Dans cet esprit,  beaucoup de pourparlers et de grandes déclarations ont déjà eu lieu par le passé, ainsi que plusieurs tentatives en grande partie infructueuses visant à favoriser le processus de paix.

Ces initiatives n'ont jamais abouti à grand-chose de concret. Cependant, il semble qu'à l'heure actuelle la communauté internationale pourrait finalement commencer à adopter des mesures plus conséquentes. La conférence dite Genève 3 se montre plus prometteuse que les précédentes.  L’Iran, l'un des principaux acteurs du conflit dont la participation pourrait être déterminante, a été invité  à cette conférence, bien que tardivement. Ceci pourrait être imputable au fait de croire que l'Iran est de retour sur la scène mondiale et ouvert à la négociation sur des enjeux mondiaux critiques en matière de sécurité, comme en témoigne l'accord-cadre sur le nucléaire iranien.

Néanmoins, il pourrait aussi bien s’agir là d’une prise de conscience, née du pragmatisme du monde réel, que le fait d'exclure des négociations l'Etat qui exerce la plus grande influence financière et militaire sur le régime syrien ne favorise pas le dialogue constructif ni le processus de paix. On observe aussi une tendance à s'éloigner des politiques dures défendues par la majorité de l'opposition syrienne et ses sympathisants, qui soutiennent que Bachar al-Assad devrait quitter le pouvoir comme condition préalable aux négociations. Ceci revient à demander la capitulation sans conditions du régime syrien et la passation complète de pouvoir, ce qui serait sans précédent dans l'histoire, sauf à la fin d'une défaite militaire dévastatrice. Le régime syrien est peut-être affaibli et il a souffert d'importants revers sur le champ de bataille, mais il est bien loin d'être vaincu.

Un scénario cauchemardesque

En effet, la possibilité d’une victoire militaire décisive et incontestée menée par une pléthore de milices armées qui se battent contre les forces d’Assad, et parfois même les unes contre les autres, est si faible qu’elle est négligeable. Un tel résultat ne serait d’ailleurs pas souhaitable dans une mesure raisonnable, puisque cela mènerait presque assurément à des myriades de calamités de façon irréversible, à commencer par l’épuration ethnique à grande échelle des minorités religieuses qui se terminerait par l’effondrement complet de l’Etat et sa division en régions gouvernées par des groupes djihadistes rivaux et des chefs de guerre. Cela plongerait le pays, et probablement aussi les pays voisins, dans un cycle de conflit perpétuel et entraînerait des campagnes militaires externes agressives.

Ce scénario cauchemardesque hante les syriens, ainsi que tous ceux qui sont soucieux du destin de la Syrie et de ses citoyens,  de jour comme de nuit, encore plus que les horreurs de la guerre qui se poursuit actuellement. Ils sont aujourd’hui nombreux à estimer que nous sommes engagés dans une course contre la montre pour empêcher qu’un tel scénario ne se produise car, selon toute vraisemblance, plus le conflit se prolonge, plus ce scénario semble inévitable.

A ces craintes vient se rajouter le manque d’intérêt apparent de la communauté internationale – on pourrait même parler d’approbation tacite – par rapport à la prise de pouvoir sur les villes d’Idleb et de Jirs al-Choughour par une coalition de groupes extrémistes sous l’égide d’al-Nosra, l’associé officiel d’al-Qaïda. Dans un monde qui n’aurait pas complétement perdu ses repères, cette situation aurait été jugée très alarmante et des mesures auraient été entreprises. Au lieu de cela, la communauté internationale a à peine pris la peine de signaler ces événements. Bizarrement, la majorité de l’opposition syrienne a accueilli et célébré la nouvelle sans le moindre soupçon que, par une ironie du sort, aussitôt qu’ils mettraient les pieds dans ces villes « nouvellement libérées », ils seraient exécutés immédiatement par leurs nouveaux dirigeants presque à coup sûr.

Tout ceci n’est pourtant pas très surprenant à la lumière des événements presque surréalistes qui se déroulent dans cette région tumultueuse. D’innombrables affrontements et conflits par procuration, imprégnés d’une rhétorique et d’une polarisation sectaire qui ne cessent de s’accentuer dangereusement, risquent de déstabiliser le Moyen-Orient hors de tout contrôle et de plonger la région dans une guerre majeure, de grande envergure. Cela constitue un terrain fertile pour les groupes djihadistes extrémistes qui a précipité la croissance effrénée, selon toute apparence, du cancer prénommé Etat islamique (EI) dans de nombreux pays arabes, tant ouvertement qu’en secret.

Le Yémen est le dernier théâtre de la tragédie qui se déroule actuellement dans la région. Il donne une indication de ce qui est à venir avec le déploiement d’une campagne militaire mal planifiée et futile en grande partie, soutenue par des milliards dépensés dans la défense, mise en place par les pays du Golfe, empreints de panique, pour lutter contre ce qu’ils perçoivent comme l’empiètement iranien sur leur territoire. Tout comme la Syrie, le Yémen est maintenant utilisé par les puissances concurrentes de la région pour régler leurs comptes et lutter pour l’hégémonie. Les victimes sont les malchanceux habitants de ces pays qui n’ont pas beaucoup à gagner quel que soit le résultat et qui payent de leur vie le prix de cette lutte.

Ce nouveau militarisme accru balaie la région, et la volonté apparente des grandes puissances mondiales non seulement de voir cette situation se poursuivre, mais aussi d’y prendre part et bénéficier des importantes retombées économiques générées par les ventes d’armes, est en effet de très mauvais augure et laisse présager une escalade du conflit, plutôt qu’une possibilité de paix.

Pessimisme public et privé

Dans ce contexte, il n’est pas difficile de comprendre pourquoi la plupart des Syriens ne sont pas du tout optimistes concernant la possibilité d’une fin pas trop lointaine de l’atroce guerre civile dans leur pays. C’est aussi le point de vue exprimé en privé par beaucoup parmi ceux qui participent à la diplomatie onusienne et aux initiatives sur le terrain. L’une de ces personnes s’est exprimée sans ménagement en disant : « il n’y a absolument aucune chance ».

Tenant compte du contexte actuel du conflit syrien, il est tout aussi facile d'être pessimiste. Le pays vit désormais une situation caractérisée par une rupture politique de fait, et chaque jour qui passe renforce cette situation en tant que nouvel état des chose s: c'est « l'effet balkanisation ».

Les territoires de l'est du pays sont clairement des territoires de l'EI, et les mois de bombardement effectués  par la coalition dirigée par les Etats-Unis n'ont pas réussi, comme prévu, à déloger le groupe terroriste d'aucune portion de territoire significative. Les groupes rattachés à al-Qaïda ont maintenant amorcé le processus de prise de contrôle total du nord de la Syrie, dans ce qui promet d'être une répétition de ce qui s'est passé dans l'est du pays. Le sud du pays est dominé par des formations rebelles semi-tribales très diversifiées, alors que le régime garde le contrôle sur les zones côtières, la capitale et la plus grande partie du centre du pays. Les caractéristiques démographiques du pays ont changé et continueront de le faire au fur et à mesure que de plus en plus de territoires échappent au contrôle de l'Etat central et de la loi et passent en mains djihadistes. La société syrienne est fortement polarisée, spécialement autour des lignes sectaires.

Les communautés chrétiennes, shiites, alaouites et d'autres communautés religieuses minoritaires se sont déplacées dans leur quasi-totalité vers des zones contrôlées par le régime, alors que les régions qui sont sous le contrôle des différents groupes d'insurgés sont des zones presque exclusivement sunnites. La seule exception à cette règle, sont les zones sous contrôle kurde dans le nord du pays, mais il s'agit de zones enclavées, incongrues et entourées de forces hostiles ; il est donc difficile d'imaginer comment elles pourraient devenir des territoires viables et autonomes. Hassaké est la seule région de la Syrie en dehors du contrôle du régime où il y a encore une importante présence chrétienne, mais l'ancienne communauté assyrienne s'est vue laissée à elle-même et contrainte à prendre les armes pour lutter aux côtés des factions kurdes contre les attaques incessantes de l'EI.

Même si, par miracle, un accord politique en Syrie devait être conclu, il serait presque impossible d'inverser ce processus de fragmentation, du moins pas dans un avenir proche. Des groupes comme l'EI et les différents groupes djihadistes et rattachés à al-Qaïda ne sont pas intéressés par les pourparlers et les processus pacifiques ; leur but est plutôt de mener la guerre jusqu'à la victoire et d'établir une théocratie islamique extrémiste. Il est par conséquent inconcevable qu'ils puissent une fois faire partie d'un gouvernement basé sur le partage du pouvoir né d'un processus de paix.  Une telle autorité transitoire aurait de fortes chances de manquer d'effectifs ou de ressources pour vaincre ces groupes, laissant ainsi de grands territoires sous leur contrôle et ses habitants livrés à eux-mêmes, hors du contrôle étatique.

L'affaiblissement du régime syrien a aussi pour conséquence que les institutions avec lesquelles il a des liens organiques et qui constituent pour l'instant les seules structures cohérentes et nécessaires pour la continuation de l'Etat syrien, notamment l'armée syrienne et le gouvernement central, commencent à faire défaut et vaciller au bord de l'effondrement. Si cela se produit, il n'y aura déjà plus personne pour poursuivre les négociations.

L'Etat se trouve déjà dans une situation précaire, vu que l'influence accrue des milices locales, ainsi que des groupes paramilitaires et des gouvernements étrangers sur les procédures décisionnelles et de gouvernance  érodent le pouvoir de l'Etat. Le chaos économique, les infrastructures dévastées, la corruption généralisée et les abus massifs des milices loyalistes exacerbent les tensions dans le contexte déjà fragilisé des zones sous le contrôle du régime.  

Recommandations en matière de politique

Une politique raisonnable pour la Syrie qui sauvegarderait ce qui reste du pays et éviterait l'effondrement total insisterait d'abord sur un cessez-le-feu immédiat et généralisé. Ensuite, elle favoriserait l'établissement d'une structure de partage des pouvoirs qui conserverait la plupart des structures du régime et de ses forces militaires intactes, mais qui permettrait à un grand nombre de forces de l'opposition de jouer un rôle important dans les principaux ministères de l'Etat.

Mais ne nous faisons pas d'illusions : la seule façon de parvenir à cette solution serait par le biais d'un accord catégorique des partisans régionaux des camps belligérants les plus importants. Pourtant, ces forces régionales, notamment l'Iran et les Etats du CCG, sont occupés ailleurs, dans leurs propres affrontements mortels.

L'objectif à court terme est donc de parvenir à une phase de stabilisation, secours humanitaire et de diminution de l'influence des chefs de guerre et des paramilitaires sur la société syrienne. La phase suivante consisterait à combattre les groupes djihadistes avec une importante assistance externe. L'objectif final serait l'éradication de ces groupes.

Ceux qui préconisent le changement de régime en Syrie devront en faire une vision à long terme qui serait en effet viable et on peut dire qu'elle serait nécessaire pour l'apaisement et la reconstruction du pays en dernière instance. Il importe également de rappeler que le régime syrien jouit actuellement d'un vaste appui au sein de la population malgré ses manquements et la frustration croissante parmi la population des zones contrôlées par le régime. Ceci s'explique par la crainte des alternatives existantes, et non pas par une véritable affinité idéologique.

La fin du conflit contribuerait à estomper ces craintes et, sans doute, la grande majorité des anciens loyalistes commenceront à reconsidérer leur fidélité à un régime qui a causé d’énormes pertes, souffrances et destructions dans leurs vies, dans l'idée que cela ne puisse plus se reproduire. Une fois que l’on aura réussi à établir une structure de gouvernement viable et alternative en Syrie, ceux qui ont presque anéanti le pays par l'exercice de la corruption, le népotisme, la répression et la brutalité seront rejetés et éjectés par les même personnes qui les soutiennent actuellement.

Mais d'ici là, la Syrie reste toujours une blessure purulente qui affecte le Moyen-Orient, saignant le peuple désemparé, qui perd tout espoir et sombre dans une mer impitoyable. L'exode massif des Syriens ne fera qu'augmenter, sous le regard froid d'un monde indifférent.

- Edward Dark est le chroniquer de MEE basé à Alep. Il écrit sous un pseudonyme.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye

Image : un jeune garçon avec son vélo à côté des immeubles détruits le 25 avril, dans une zone sous contrôle rebelle de la ville d'Alep, au nord de la Syrie.

Traduction de l'anglais (original) par María Baile Rubio.

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