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Un État ou deux États : décodage du double langage de Mahmoud Abbas à l’ONU

La question la plus importante est de savoir si, en agitant dans son discours l’épouvantail d’un État unique, le président palestinien aura suffisamment mis la pression sur ses homologues pour relancer le projet à deux États ?

Le président palestinien Mahmoud Abbas a pris de court l’Assemblée générale des Nations unies, quand, dans son discours de la semaine dernière, il a carrément remis sur la table la solution à un seul État.

Après des années passées à promouvoir la solution à deux États, quelle arme secrète Abbas pense-t-il avoir sous la main pour dire une chose pareille, et croire qu’il réussira à obtenir des droits pour son peuple ?

https://www.youtube.com/watch?v=-FcC892OIe0&feature=youtu.be

Une grande partie du pouvoir de négociation que les Palestiniens ont pu avoir a été volontairement gaspillée – comme la coordination de la sécurité entre Israël et l’Autorité palestinienne (AP) ou la confiscation par l’AP des armes détenues par les factions minoritaires palestiniennes –pour donner des gages aux Américains et aux Israéliens, dans l’espoir d’obtenir un État palestinien.

Pendant presque un quart le siècle, depuis les accords d’Oslo, ces efforts n’ont été accueillis qu’avec l’installation de toujours plus de colonies juives, de « judaïsation » et d’occupation.

Il est vrai, comme le pointent beaucoup, que la bombe démographique constitue l’arme fatale palestinienne par excellence mais les politiques israéliennes sont devenues si racistes qu’une majorité démographique palestinienne ne sera jamais assez écrasante pour obtenir le changement nécessaire.

Les questions les plus importantes soulevées par Abbas dans son discours ont trait à l’avenir : son discours présentait-il une stratégie complètement nouvelle ? Annonçait-il que les Palestiniens quitteront maintenant des négociations dominées par les États-Unis ? Ou les accords d’Oslo, dont l’existence même de l’Autorité palestinienne ? Laissait-il entendre qu’il renonce complètement à l’illusion d’une solution à deux États pour se rabattre sur la création d’un État démocratique unique ?

Mais voici peut-être la plus importante des interrogations : en agitant dans son discours l’épouvantail d’une solution à un seul État, le président palestinien aura-t-il mis suffisamment la pression à ses homologues pour, au final, relancer le projet à deux États ?

Double langage ou astucieux stratagème ?

Des observateurs bien informés pensent qu’Abbas a été forcé d’adopter une approche populiste pour se refaire une virginité, suite à de récents sondages d’opinion révélant une chute spectaculaire de sa popularité. Pourtant, même en gardant cela en tête, son discours et ses déclarations avaient tout du double langage, ce qui rend suspectes ses motivations sous-jacentes.

Suite à une rencontre avec Trump, en marge des négociations à l’Assemblée générale des Nations unies, le 20 septembre, Abbas a déclaré être « convaincu que le président américain souhaite et recherche la paix au Moyen-Orient et qu’il réussira à signer l’accord du siècle en à peine quelques mois, voire quelques jours ». Quelques heures plus tard seulement, dans son discours, il exprima son indignation envers la communauté internationale, taxant de « honteuse » la prolongation de l’occupation.

Il a laissé la porte entrouverte à toutes les possibilités et préparé le terrain pour que son successeur rompe avec le passé

Dans son discours, il a défendu, comme seule solution possible, l’égalité des droits des Palestiniens au sein d’un État unique, puisque Netanyahou a anéanti la solution à deux États. Pourtant dans des déclarations antérieures à son discours, il avait dit espérer l’ouverture de négociations avec Netanyahou sur la solution à deux États et sous les auspices américains – tout en sachant fort bien que Netanyahou autant que l’administration américaine écarteront probablement cette même solution.

Il est donc clair qu’Abbas croit toujours envisageable la solution à deux États, que Netanyahou et Trump ne l’ont pas encore abandonnée, et qu’il donnera au Premier ministre israélien et à la médiation américaine une nouvelle opportunité de revenir à cette solution – ou du moins d’empêcher son élimination.

Naplouse, en Cisjordanie, le 20 septembre 2017 : des partisans palestiniens de Mahmoud Abbas le regardent sur grand écran prononcer son discours devant l’ONU (AFP)

Son discours n’a pas fermé la porte à la poursuite d’une solution à deux États par les leaders palestiniens, mais il ne l’a pas tenue grande ouverte non plus. Il a plutôt gardé la porte entrouverte à toutes possibilités et surtout préparé le terrain pour que son successeur rompe avec le passé.

Étant donné la proximité des prochaines élections présidentielles et législatives, sa stratégie semble avoir pris en compte la fin des divisions entre le Hamas et le Fatah, avant que scène palestinienne toute entière soit bouleversée.

Adieu, la solution à deux États ?

Cependant, il ne disait pas adieu à la solution à deux États, mais lui donnait en fait une nouvelle chance – la dernière. Quand il a décrit ce se passerait en cas d’échec de la solution à deux États – une autorité sans pouvoir et des exigences palestiniennes d’égalité des droits au sein d’un même pays – il présentait le scénario du pire, pour donner à réfléchir aux Israéliens et aux Américains.

Israël accueillera la menace palestinienne à bras ouverts et essaiera d’en faire une chance : maintenant qu’Abbas a ouvert la porte, les Israéliens se jetteront dans la brèche pour promouvoir leur propre vision – une solution à un État

Abbas a probablement pris cette initiative sans se faire beaucoup d’illusions quant à l’avenir de la solution à un État, parce que les présidents, tant américain qu’égyptien, lui ont signifié, lors de récentes rencontres, que se présente actuellement une réelle chance de solution à deux États et que, si seulement il voulait bien s’accrocher à cette possibilité, elle pourrait bien se concrétiser. Abbas en a tenu compte dans son discours, mais a veillé en même temps à dépeindre à quel sombre avenir on pourrait s’attendre dans ce cas.

Il a aussi invité implicitement les Palestiniens à s’efforcer dès maintenant de promouvoir la solution à un État démocratique unique : certes, il est contraint, fonction présidentielle oblige, d’espérer qu’Américains et Égyptiens vont lui offrir cette prétendue opportunité, mais son peuple n’est nullement soumis à cette obligation et devrait même s’en abstenir, puisque les perspectives de succès d’une solution à un État sont quasiment inexistantes. Ce message avait le mérite d’être clair. Il n’était pas moins clair que les Palestiniens devraient se préparer à la dissolution de l’Autorité palestinienne et à traiter directement avec les Israéliens, qui reprendront sans doute la Cisjordanie.

Préparation du peuple

Ce qui influera sur le cours des événements à venir, c’est la façon dont les Palestiniens choisiront d’accueillir ce que défend leur président. Cela fait des années qu’Abbas laisse entendre que la solution à deux États n’a plus d’avenir, mais il est en train de siffler le début de la fin de partie, et les Palestiniens auront besoin d’engager de longues discussions pour comprendre comment évoluera la stratégie de leur leader.

Cela fait des années qu’Abbas laisse entendre que la solution à deux États n’a plus d’avenir, mais il siffle actuellement le début de la fin

Israël a commencé à se préparer à cette future situation : Tel-Aviv est en train de renforcer l’administration publique en Cisjordanie, de préparer l’annexion future, de mettre en place une auto-gouvernance de la population et d’offrir plus d’autonomie aux Palestiniens dans des régions comme celles de Naplouse, Ramallah et Hébron.

Après le discours, Israël accueillera à bras ouvert la menace palestinienne et essaiera de la transformer en occasion à saisir : maintenant qu’Abbas a ouvert la porte, les Israéliens se jetteront dans la brèche pour promouvoir leur propre vision – une solution à un État.

Les Américains tenteront des ouvertures : ils essaieront de rassembler Égypte, Jordanie, Arabie saoudite et Israël, pour contribuer à promouvoir des négociations israélo-palestiniennes. Mais ce que les États-Unis cherchent surtout, c’est la construction d’une alliance destinée à s’opposer à l’Iran – pas la paix en Terre sainte.

Par conséquent, le discours d’Abbas a vraiment fait avancer les choses, en jetant un pont entre la stratégie palestinienne actuelle et celle à venir.

Dans les sables mouvants du Moyen-Orient, la seule chose qui ne change jamais c’est… le changement. Et même si ce discours a annoncé de futures évolutions stratégiques, la région pourrait retourner la situation et redéfinir l’ordre du jour politique, une fois de plus.

- Awni Almashni est membre du Conseil consultatif du mouvement Fatah et chroniqueur pour Ma’an.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Le président américain Donald Trump, en compagnie du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, en mai 2017 (AFP).

Traduit de l'anglais (original) par Dominique Macabies.

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