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Un État palestinien selon les frontières de 1967 : le Hamas a-t-il un train de retard ?

Le Hamas accepte les frontières de 1967 au moment où tous les autres qui souhaitaient un État palestinien à côté d’Israël y renoncent

La révélation de la nouvelle déclaration de principes du Hamas lundi soir s’est avérée aussi complexe que le document lui-même.

La direction de l’hôtel Intercontinental de Doha a annulé la réservation pour la conférence de presse au dernier moment, et la semaine précédente, la délégation du Hamas au Caire n’a pas pu partir car l’Égypte réclamait une partie de l’action.

Le Hamas vise les frontières de 1967 au moment précis où tous ceux qui souhaitaient un État indépendant à côté d’Israël abandonnent ce terrain

La difficulté logistique de tenir une conférence de presse à l’extérieur de Gaza illustre parfaitement l’emprisonnement du Hamas à l’intérieur de l’enclave. Et une bonne raison pour laquelle ses dirigeants politiques veulent aujourd’hui sortir de ce confinement en adoptant une position plus proche des autres factions palestiniennes.

Ce processus est néanmoins très difficile pour le Hamas.

Presque d’une seule voix, les médias occidentaux ont interprété le document comme un assouplissement de la position du Hamas sur Israël et comme un défi pour le monopole du principe d’un État palestinien selon les frontières de 1967 détenu par le Fatah.

Cependant, le document lui-même a fixé trois conditions qui l’ont presque entaîné à la suite du Fatah sur un chemin voué à l’échec. Il a refusé de reconnaître Israël, a refusé de renoncer à sa revendication sur l’ensemble de la terre de la rivière à la mer et a exigé le retour sans entraves de tous les réfugiés palestiniens.

Néanmoins, mardi, la réaction de l’opinion palestinienne et sur les réseaux sociaux a suivi la même logique : s’il n’y a pas de différence entre le Hamas et le Fatah concernant les frontières d’un futur État palestinien, pourquoi toutes ces années de luttes entre les deux factions ? Et pourquoi voter pour le Hamas ? En quoi est-il différent ?

Évolution stratégique

Voilà une bonne question. Il ne fait aucun doute que le Hamas s’est lancé dans ce débat en toute connaissance de cause. Contrairement à la charte originale qui a été écrite par un seul homme en situation de guerre, ce document est le fruit de quatre années de débat interne. Le document lui-même a été largement divulgué. Le message a été soutenu par les dirigeants. Il ne fait aucun doute que cela représente une évolution stratégique délibérée et majeure.

Mais cette stratégie elle-même est-elle juste ?

Le Hamas vise les frontières de 1967 au moment précis où tous ceux qui souhaitaient un État indépendant à côté d’Israël abandonnent ce terrain. Presque 24 ans après Oslo, les lumières éclatantes des colonies illuminent tous les soirs presque toutes les collines de Cisjordanie.

Il y a 200 000 colons dans les zones palestiniennes de Jérusalem et 400 000 en Cisjordanie. En dehors des trois principaux blocs de colonies, qu’Israël refuse d’abandonner, on dénombre 150 000 colons supplémentaires. Deux décennies de processus de paix ont conduit à la fragmentation irréparable d’un putatif État palestinien.

Israël lui-même a pratiquement abandonné l’idée d’un État palestinien distinct. Hormis la petite représentation théâtrale produite par l’évacuation d’Amona (voici un problème mathématique : si 3 000 policiers ont passé 24 heures à évacuer 40 familles, combien en faudrait-il pour évacuer 600 000 colons ?), l’état d’esprit politique en Israël penche maintenant pour l’annexion.

Pour utiliser l’avertissement arabe standard donné aux retardataires, le Hamas va-t-il au hadj quand tout le monde en revient ?

Rester fidèle aux principes

Lors de la conférence de presse à Doha, le responsable politique sortant Khaled Meshaal a été interrogé sur de potentielles négociations entre le Hamas et Israël. C’est également une bonne question.

La nouvelle position stratégique du Hamas le place dans une situation unique. Si le Hamas reste fidèle à ses principes, lesquels ne sont pas de reconnaître Israël, il ne peut s’asseoir à une table de négociation avec des représentants de l’État israélien.

Pour être fidèle à ses principes et pour tirer parti des avantages politiques d’entrer en politique, le Hamas devrait accepter la solution à un seul État

Cela signifie qu’il faut compter sur d’autres factions palestiniennes pour faire les compromis nécessaires sur les frontières, les réfugiés, Jérusalem, tandis que le Hamas ferme les yeux au nom du consensus. Ceci, à son tour, implique que le Hamas ne peut pas mener le processus politique, ni en tirer beaucoup de profit.

Cela place le Hamas dans une position différente de l’IRA, par exemple, sous la direction de Martin McGuinness. Le Hamas et l’IRA ont vu les limites de l’action militaire, bien que l’IRA n’ait pas commencé le processus de démantèlement avant de parvenir à un accord de paix. Les deux ont été attirés par la politique comme moyen de parvenir à une Palestine unie et à une Irlande unie.

À LIRE : Guerre ou paix : ce que réserve l’été 2017 pour le Hamas et Israël

La mort récente de McGuinness a suscité des hommages des quartiers les plus improbables. Des gens qui, lorsque j’étais journaliste à Belfast, auraient rejeté McGuinness comme le diable incarné, ont salué le chemin qu’il a parcouru : de chef de l’IRA à vice-premier ministre d’Irlande du Nord. Lady Paisley, l’épouse de feu Ian Paisley, premier partenaire de McGuinness dans le gouvernement fondé sur le partage du pouvoir, a affirmé que ce républicain avait vécu quelque chose semblable à la conversion de St Paul à Damas.

Gerry Adams l’a nié à juste titre. Il a déclaré que McGuinness restait un républicain engagé, qui n’a jamais abandonné ses camarades de l’IRA à la suite du processus de paix ou du partage du pouvoir avec les unionistes.

En d’autres termes, le mouvement républicain a mis fin à la lutte armée tout en restant fidèle à ses principes d’Irlande unie (qui, si Brexit se concrétise, est probablement plus proche que jamais, ironiquement sur ordre de Bruxelles).

C’est exactement le dilemme auquel est maintenant confronté un Hamas qui reconnaît les frontières de 1967. Comment peut-il entrer dans l’OLP et faire partie de la classe dirigeante du peuple palestinien et rester fidèle à ses principes ? S’il négocie, il abandonne ses principes et efface toute différence avec Fatah. S’il laisse la négociation à d’autres, il ne peut appartenir aux dirigeants.

Les partisans du Hamas, du Jihad islamique et du mouvement al-Ahrar, manifestent contre le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, dans la ville de Rafah, au sud de la bande de Gaza, le 2 mai (AFP)

Sinn Féin est devenu le plus grand parti politique sur l’île irlandaise. Ce n’est pas le destin qui attend le Hamas s’il limite sa vision d’un État palestinien aux frontières de 1967. Cela ne mettrait pas fin à la fragmentation du peuple palestinien et ne résoudrait pas le problème de l’abandon des Palestiniens en 1948 en Israël ni ne résoudrait pas le problème des réfugiés.

Le véritable choix, le véritable ennemi

Israël a depuis longtemps abandonné le droit de retour pour les réfugiés palestiniens, et même les modèles les plus généreux évoquaient le retour de seulement 100 000 personnes, sur une éventuelle diaspora de six millions.

Le véritable choix réside aujourd’hui entre une solution à un seul État imposée par Israël ou une entité politique où les Juifs et les Arabes sont traités comme égaux

Et pourquoi Israël accepterait-il le Hamas en tant que négociateur alors qu’il a rejeté le Fatah, qui depuis plus de 20 ans est son ami le plus flexible ? Quelle incitation Israël aurait-il à négocier un « hudna » avec le Hamas, alors qu’il sait que du point de vue du Hamas, ce ne serait pas une fin de conflit ?

Pour demeurer le Hamas, pour être fidèle à ses principes et pour tirer parti des avantages politiques à entrer en politique, le mouvement devrait accepter la solution à un seul État, lequel se plierait à tout ce à quoi le Hamas a œuvré. Cela permettrait au Hamas de diriger l’OLP. Il réunirait un peuple palestinien fragmenté. Cela représenterait les Palestiniens qui sont citoyens d’Israël et de la diaspora palestinienne.

À LIRE : Le Hamas reconnaît l’OLP comme le « cadre national » des Palestiniens

Cela donnerait aux Palestiniens une vision claire dans un monde où le véritable choix n’est pas entre une solution à un seul et à deux États. Le véritable choix réside aujourd’hui entre une solution à un seul État imposée par Israël ou une entité politique où les Juifs et les Arabes sont traités comme égaux.

La réalisation majeure de ce document est de redéfinir l’ennemi. Dans la charte d’origine, ce sont les juifs et le judaïsme. Dans ce document, l’ennemi du Hamas est le projet sioniste de colonisation et d’occupation. Les deux sont très différents, et l’ont été tout au long de l’histoire juive, après et avant la Déclaration Balfour.

Cette redéfinition pourrait ouvrir la voie à des discussions et à la paix. Cependant, il faudra une vision claire de la voie à suivre. C’est certainement une étape audacieuse. Ce n’est peut-être pas la dernière.

- David Hearst est rédacteur en chef de Middle East Eye. Il a été éditorialiste en chef de la rubrique Étranger du journal The Guardian, où il a précédemment occupé les postes de rédacteur associé pour la rubrique Étranger, rédacteur pour la rubrique Europe, chef du bureau de Moscou et correspondant européen et irlandais. Avant de rejoindre The Guardian, David Hearst était correspondant pour la rubrique Éducation au journal The Scotsman.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Yahya Sinouar (deuxième en partant de la gauche), le nouveau dirigeant du mouvement islamique Hamas dans la bande de Gaza et le leader politique Ismaël Haniyeh (au centre) assistent à un rassemblement pour regarder le discours du chef du Hamas en exil, dans la ville de Gaza le 1er mai 2017 (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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