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Au Yémen, la guerre aggrave la situation des enfants atteints de paralysie cérébrale

La tragédie yéménite pose des problèmes encore plus grands pour les jeunes patients du seul centre de Sanaa spécialisé dans l’infirmité motrice cérébrale
Une petite fille est assise dans un fauteuil roulant à la Fondation pour le droit à la vie des enfants atteints d’infirmité motrice cérébrale à Sanaa, Yémen (MEE/Jamal al-Ghurab)

SANAA – « Ma fille ne peut ni parler ni déplacer son corps facilement à cause de l’infirmité motrice cérébrale, c’est ainsi depuis sa naissance, ça me fait mal au cœur mais je ne peux pas changer le destin », a confié Ghadir, la mère de Ritaj, en soupirant profondément tout en caressant le front de son enfant.

Ritaj Abdulghani, 8 ans, attend avec sa mère une spécialiste de la Fondation pour le droit à la vie des enfants atteints d’infirmité motrice cérébrale (RLFCPC) au cœur de Sanaa, dans un quartier très peuplé de la capitale yéménite.

Cette organisation non gouvernementale a pour but d’aider les enfants atteints d’infirmité motrice cérébrale à améliorer leur santé et à s'intégrer dans la société afin de pouvoir réaliser dans la mesure du possible leurs objectifs professionnels et personnels.

Depuis sa création en novembre 2006, la fondation a offert des soins de santé spécialisés à environ 150 enfants.

Allongée sur les genoux de sa mère, Ritaj ne peut ni bouger ses mains ou ses jambes, ni parler. Selon Ghadir, Ritaj est née avec cette infirmité, et elle n'est pas la seule à avoir besoin d’une aide vitale. Au moins cinquante autres enfants sont sur liste d'attente, désireux de recevoir le soutien de la fondation en matière d’ergothérapie et de physiothérapie.

Une spécialiste est assise avec un groupe d'enfants atteints d’infirmité motrice cérébrale (avec l'aimable autorisation de la Fondation pour le droit à la vie des enfants atteints d’infirmité motrice cérébrale)

Un fonctionnement en « état d'urgence »

Mais ce n'est pas le seul problème auquel Ritaj, sa famille et d'autres Yéménites doivent faire face depuis le déclenchement de la guerre civile en 2015. La guerre a exacerbé une situation déjà grave dans le pays le plus pauvre du Moyen-Orient, où 80 % des civils vivent de l'aide humanitaire et où la famine menace la moitié de la population. Selon les Nations unies, les enfants sont le groupe le plus vulnérable, avec plus de 370 000 d’entre eux menacés par la famine.

Les bombardements aériens des forces de la coalition et les combats sur le terrain ont tué au moins 7 000 personnes et en ont déplacé au moins 2,4 millions.

À cause de la guerre en cours, le système de santé du Yémen s'effondre de plus en plus. Des hôpitaux ont été bombardés, beaucoup ont fermé et les fournitures médicales se font rares, rendant incurables même les maladies habituellement guérissables.

Bien que la cause exacte de l’infirmité motrice cérébrale soit inconnue, la plupart des spécialistes conviennent qu’elle peut résulter de problèmes liés à la grossesse, lorsque le cerveau de l'embryon subit des dommages ou ne se développe pas correctement, ou s'il y a des problèmes de santé maternelle ou des complications lors de l’accouchement. Quelques cas connus d’infirmité motrice cérébrale ont été causés par une apoplexie du fœtus.

Certaines des manifestations physiques apparentes de l’infirmité motrice cérébrale incluent des mouvements corporels involontaires et altérés.

Selon Ghadir, la condition de sa fille s'est améliorée depuis qu'elle a commencé à recevoir des soins à la fondation, où elle se rend depuis plus de deux ans. Tous les jours sauf le vendredi, Ritaj participe à des programmes de rééducation visant à améliorer ses capacités physiques et verbales.

Cependant, alors que le pays s’enfonce de plus en plus dans la guerre, la pauvreté et l'insécurité, la fondation a du mal à maintenir ses opérations et à répondre aux besoins des patients. Nabil Awad, membre du conseil d'administration de la fondation, a expliqué que celle-ci fonctionnait en « état d'urgence » depuis le début de la guerre.

« La fondation a tout fait pour continuer à agir pour le bien des enfants souffrant d’infirmité motrice cérébrale »

« La fondation a tout fait pour continuer à agir pour le bien des enfants souffrant d’infirmité motrice cérébrale, a déclaré Awad à Middle East Eye. Ces enfants sont dans la détresse la plus totale et arrêter les services de la fondation serait terrible pour eux. »

La guerre au Yémen a paralysé plusieurs établissements médicaux. De multiples centres de santé ont interrompu leurs activités en raison de la pénurie d'électricité, d'essence et de fournitures médicales ou à cause des frappes aériennes.

« Le conflit a causé à la fondation une multitude de problèmes. Le soutien financier et pratique que nous recevions a notamment cessé. Les hommes d'affaires et philanthropes ont réduit leur aide en raison de la détérioration de la situation économique. Il s'agit d'une situation sans précédent », a observé Awad.

Le Yémen connaît une grave crise depuis 2011, année au cours de laquelle a éclaté le Printemps arabe. Après plusieurs guerres contre l'ancien président Ali Abdallah Saleh, des militants houthis venus du nord du Yémen ont saisi Sanaa en 2014. Puis, en février 2015, les Houthis ont placé le président Abd Rabbo Mansour Hadi en résidence surveillée. Un mois plus tard, celui-ci a réussi à fuir vers le sud, à Aden, mais les Houthis l'ont poursuivi, déclenchant une guerre civile et une intervention militaire saoudienne en mars de cette même année.

« Par la suite, la guerre et le blocus ont rendu la vie difficile non seulement aux enfants atteints d’infirmité motrice cérébrale, mais à l'ensemble de la nation. À la fondation, nous avions prévu de lancer de nouveaux programmes de soins mais ils ont tous échoué à cause de la situation dans le pays », a expliqué Awad.

Les enfants les plus démunis

Quand les temps étaient meilleurs, le bus de la fondation allait chaque jour chercher les enfants qui participaient à ses programmes pour les conduire au centre. Mais maintenant, ce service ne peut plus être étendu à tous en raison des coûts élevés du carburant. Seuls les enfants dont les familles sont vraiment très pauvres bénéficient du transport gratuit à destination et en provenance de la fondation.

« À cause de la hausse des prix du carburant, la fondation a décidé de fournir le transport gratuit seulement aux enfants les plus pauvres. La crise du carburant a rendu le transport trop coûteux. Les enfants sont dispersés dans plusieurs quartiers de cette grande ville. Ceux qui sont issus de familles plus aisées doivent venir par leurs propres moyens », a expliqué Awad.

La fondation affirme qu'elle s’est efforcée de contacter des organisations humanitaires internationales pour obtenir de l'aide, mais qu’aucune n'est encore venue à son secours. « La fondation a communiqué avec diverses organisations humanitaires afin d'essayer d'obtenir une aide financière, mais ces organisations ont décliné, expliquant qu’elles n’ont pas de partenariat avec nous et que les activités de notre organisation ne font pas partie de leurs priorités. »

La guerre au Yémen a paralysé plusieurs établissements médicaux. De multiples centres de santé ont interrompu leurs activités

MEE a contacté par téléphone le porte-parole de l'UNICEF, Mohammed al-Asaadi, qui a brièvement indiqué que les activités de l'agence ne comprenaient pas des maladies telles que l’infirmité motrice cérébrale.

« L'UNICEF ne travaille pas dans ce domaine. Nous essayons de sauver la vie de millions d'enfants atteints de maladies mortelles telles que le choléra et la malnutrition – mais malheureusement, nous ne pouvons pas tout faire », a-t-il déclaré à MEE.

La peur des avions

Hadil al-Joubi, âgée de 14 ans, est, elle aussi, atteinte d’infirmité motrice cérébrale depuis sa naissance. Selon Sumaih al-Awalqi, spécialiste de santé infantile à la fondation, la situation d’Hadil s’est aggravée en raison des frappes aériennes continues de la coalition dirigée par l'Arabie saoudite.

La maison d'Hadil est située près d'un camp militaire de la capitale contrôlée par les Houthis. « Quand les frappes aériennes ont touché la zone il y a quelques mois, tous ceux qui se trouvaient à l'intérieur de sa maison se sont enfuis, mais pas Joubi, qui ne pouvait pas bouger à cause de son handicap. Sa mère s’est précipitée pour l'aider à sortir mais Joubi a été extrêmement traumatisée et, depuis, elle souffre de terribles attaques de panique chaque fois que des avions vrombissent dans le ciel », a expliqué Awalqi.

Le 8 octobre, deux frappes mortelles ont touché une salle funéraire du quartier de Hadda, à Sanaa, faisant plus de 140 morts et blessant au moins 525 personnes. La fondation est située dans la même zone et la puissance de la déflagration a envoyé une onde de choc à travers la ville.

« Les enfants du Yémen, en particulier dans les zones touchées par le conflit, souffrent tous de traumatismes, et les bombardements assourdissants à répétition aggravent la situation des enfants qui souffrent d’infirmité motrice cérébrale », a indiqué Awalqi.

« Ces enfants ont le droit de recevoir les soins nécessaires pour gérer leur handicap et être en mesure de réaliser leurs rêves et ceux de leurs parents, a déclaré Awad. Malgré les obstacles apparemment insurmontables, c'est ce que cette fondation essaie de faire en ces temps difficiles. »

Traduit de l’anglais (original).

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