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« Elle est morte » : un architecte de la paix abandonne tout espoir d’une solution à deux États

Marwan Muasher qualifie de « pure fantaisie » l’« accord du siècle » échafaudé par Donald Trump et soutient qu’aucun Palestinien ne pourrait l’accepter
Affrontements entre manifestants palestiniens et forces israéliennes près de Khan Younès, dans la bande de Gaza, en mars 2018 (AFP)

AMMAN – L’architecte principal de l’Initiative de paix arabe, qui a proposé la reconnaissance d’Israël en échange d’un retrait total des territoires occupés, affirme que la solution à deux États est morte.

Marwan Muasher, qui était ministre jordanien des Affaires étrangères au moment de la signature de l’initiative, en 2002, a déclaré à Middle East Eye : « Certains diront que [la solution à deux États] n’a jamais existé, mais elle est certainement morte aujourd’hui.

« Quelle que soit leur ampleur, les négociations n’aboutiront aujourd’hui à aucune solution à deux États, parce que l’une des parties, en l’occurrence le camp israélien, n’en veut pas »

« Quelle que soit leur ampleur, les négociations n’aboutiront aujourd’hui à aucune solution à deux États, parce que l’une des parties, en l’occurrence le camp israélien, n’en veut pas, mais aussi parce que le parrain de ces pourparlers est désormais totalement partial envers les Israéliens. Dans ces conditions, on ne peut plus s’accrocher à un ancien modèle. »

Le diplomate expérimenté, qui a été le premier ambassadeur de Jordanie en Israël et anciennement ambassadeur aux États-Unis, a déclaré que la Jordanie se sentait maintenant vulnérable à un ordre du jour dicté par Israël et poussé par Washington.

« S’il n’y a pas de solution à deux États, avec la présence d’un tel gouvernement israélien, l’un des scénarios les plus probables est alors que le gouvernement israélien échafaude une solution aux dépens de la Jordanie », a expliqué Muasher.

« Ils ont le choix entre accorder aux Palestiniens des droits dans le cadre d’une solution à deux États et laisser quelqu’un d’autre s’occuper du problème. Ils ne se soucient pas vraiment du bien-être de la Jordanie aujourd’hui. 

« Nous sommes donc très vulnérables et inquiets à ce sujet et cela explique pourquoi la Jordanie a toujours soutenu avec ferveur la solution à deux États, dans la mesure où celle-ci était dans l’intérêt de la Jordanie, pas seulement dans celui des Palestiniens. Aujourd’hui, elle s’est évaporée. »

Marwan Muasher (à gauche) s’entretient avec David Hearst, rédacteur en chef de Middle East Eye (MEE)

Les propos de Muasher sur la mort de la solution à deux États sont lourds de sens. La création d’un État palestinien aux côtés d’Israël reste la politique officielle de l’Autorité palestinienne, du Quartet pour le Moyen-Orient (composé des Nations unies, des États-Unis, de l’UE et de la Russie), de l’Union européenne et des principaux partis politiques britanniques.

Peu de diplomates arabes se sont investis aussi fortement dans la solution à deux États que Marwan Muasher, qui a joué un rôle central dans le développement de l’Initiative de paix arabe et de la Feuille de route pour la paix.

L’Initiative de paix arabe, proposée par le défunt roi Abdallah d’Arabie saoudite, est entrée dans l’histoire du conflit comme une opportunité gaspillée par Israël et le président américain de l’époque, George W. Bush. Elle a été adoptée par le dirigeant palestinien de l’époque, Yasser Arafat, puis soutenue par son successeur Mahmoud Abbas. 

Muasher a déclaré que l’initiative américaine actuelle, que Donald Trump a qualifiée d’« accord du siècle », était vouée à l’échec.

La nouvelle proposition pourrait exclure deux éléments clés des négociations sur le « statut final » survenues lors des pourparlers de paix d’Oslo : la désignation de Jérusalem-Est comme capitale d’un futur État palestinien et le droit au retour pour les réfugiés palestiniens.

Marwan Muasher a qualifié de « pure fantaisie » l’accord échafaudé par Trump et soutenu qu’aucun Palestinien ne pouvait accepter un tel accord.

« L’administration Trump pense qu’elle peut retirer Jérusalem, retirer les réfugiés, sans même avancer un droit symbolique au retour et en réduisant les fonds alloués à l’UNRWA [l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient], retirer la vallée du Jourdain, retirer les colonies et laisser le reste à négocier.

« C’est insensé. Ce n’est un “accord du siècle” pour personne, sauf pour les Israéliens. »

Jérusalem, source de friction avec Riyad

Jordanien de confession chrétienne, Marwan Muasher a souligné l’importance de Jérusalem pour tous les Arabes ainsi que le déclin de la population chrétienne dans la ville sainte. Alors que les chrétiens constituaient 20 % de la population au tournant du XXe siècle, ils sont désormais moins d’1 %.

« Le nombre de chrétiens est aujourd’hui inférieur à 4 000 à Jérusalem, ce qui signifie qu’en l’espace d’une génération, nous pourrions faire face à une situation où les lieux saints chrétiens deviendraient des musées où personne ne vit, a déclaré Muasher. C’est dangereux pour l’idée de diversité et de coexistence en Palestine et dans le monde arabe. Les chrétiens arabes ne sont pas les seuls à s’en inquiéter. Les musulmans ne veulent pas voir les chrétiens disparaître de la ville. »

« Personne ne veut d’Abu Dis. Les gens veulent les lieux saints. Le reste n’est que stratagème »

L’ancien diplomate jordanien a également critiqué le rôle que le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane a joué en tentant de convaincre le président palestinien Mahmoud Abbas d’accepter Abu Dis, une banlieue de Jérusalem-Est, comme future capitale d’un État palestinien.

« C’est de la pure fantaisie, a soutenu Muasher. Personne ne veut d’Abu Dis. Les gens veulent les lieux saints. Le reste n’est que stratagème. Ils se disent : “Donnons-leur Abu Dis et ils oublieront les lieux saints.” On peut tout oublier, sauf les lieux saints.

« Les Saoudiens ne peuvent en aucun cas dire, même à leur propre peuple, qu’ils pensent qu’un tel accord doit être accepté même si les Palestiniens ne peuvent pas l’accepter. »

Muasher a reconnu que Jérusalem était une source de friction avec Riyad. La garde des lieux saints de la ville assurée par la Jordanie a été inscrite dans le traité de paix de Wadi Araba signé avec Israël. Il a expliqué que l’ancien roi Hussein s’était engagé dans la guerre des Six Jours contre Israël en 1967 tout en sachant qu’il perdrait, et qu’il s’était toujours senti responsable de la perte de Jérusalem.

« Cela fait également partie de la légitimité des Hachémites, a indiqué Muasher. La légitimité revêt une grande importance dans le monde arabe. Elle nous a permis de résister à toute la tourmente du Printemps arabe, car la monarchie jordanienne n’est pas menacée de la même manière que les systèmes en Égypte et en Tunisie l’ont été. Les gens veulent une réforme au sein du système plutôt qu’en dehors. Jérusalem joue un grand rôle à cet égard. »

Le moment est-il passé ?

Selon Muasher, le moment propice à un accord entre les États arabes et Israël est passé. L’absence d’acteur arabe de la stature du défunt roi Abdallah d’Arabie saoudite, la guerre en Syrie qui a constitué un élément clé de l’initiative, et l’opinion publique arabe, qui s’oppose à un tel rapprochement, sont des facteurs de cette tendance.

« Cette génération n’est pas intéressée par une solution à deux États, non pas parce qu’elle ne croit pas en un État palestinien, mais parce qu’elle comprend que cette solution ne peut pas être concrétisée. Et elle ne le peut pas »

Au lieu de cela, une nouvelle génération de Palestiniens s’est éloignée des débats sur la forme de la solution au conflit pour se focaliser sur ses propres droits civiques, a expliqué Muasher. Ainsi, l’accent sera davantage mis sur l’idée d’augmenter le coût de l’occupation pour Israël en recourant aux organes de l’ONU, à la Cour pénale internationale et à la campagne BDS.

« Cette génération n’est pas intéressée par une solution à deux États, non pas parce qu’elle ne croit pas en un État palestinien, mais parce qu’elle comprend que cette solution ne peut pas être concrétisée. Et elle ne le peut pas.

« Par conséquent, si cela ne peut pas se produire, ils se concentreront plutôt sur une approche basée sur les droits et si cela les amène à une solution à un seul État, ils s’en moquent. Ils veulent leurs droits maintenant. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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