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EXCLUSIF : Des personnalités haut placées torturées et battues au cours de la purge saoudienne

Selon les sources de MEE, plusieurs détenus ont dû être hospitalisés pour des blessures dues à des actes de torture, et la répression est bien plus importante que ce que les autorités ont indiqué

Le prince héritier Mohammed ben Salmane a supervisé l’arrestation de centaines de personnes, y compris des membres de la famille royale, des ministres et des magnats des affaires (AFP)

Middle East Eye est en mesure de révéler que certaines personnalités de haut rang arrêtées lors de la purge de samedi dernier en Arabie saoudite ont été tellement battues et torturées lors de leur arrestation ou lors d’interrogatoires ultérieurs qu’elles ont eu besoin d’être hospitalisées.

Des membres de la cour royale ont également dit à MEE que l’ampleur de la répression, qui conduit chaque jour à de nouvelles arrestations, est beaucoup plus grande que ce qu’ont reconnu les autorités saoudiennes, avec plus de 500 personnes détenues et le double interrogé.

Des membres de la famille royale, des ministres du gouvernement et des magnats des affaires ont été pris dans la vague soudaine d’arrestations orchestrée par le prince héritier Mohammed ben Salmane, connu sous le nom de MBS, dans le cadre officiel d’une campagne anti-corruption.

Certaines des plus importantes personnalités arrêtées ont été soumises à des traitements extrêmement brutaux et souffrent de blessures corporelles dues à des méthodes classiques de torture. Leur visage a été épargné, elles n’afficheront donc aucun signe physique de leur calvaire lorsqu’elles apparaîtront en public.

Certains détenus ont été torturés afin qu’ils révèlent des informations concernant leurs comptes bancaires. MEE ne rapportera pas les détails spécifiques des abus subis afin de protéger l’anonymat de ses sources.

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La purge, qui fait suite à une vague d’arrestations de religieux musulmans, d’écrivains, d’économistes et de personnalités saoudiennes, est en train de semer la panique à Riyad, notamment parmi ceux associés à l’ancien régime du roi Abdallah, décédé en 2015 et remplacé par son demi-frère, le roi Salmane.

Beaucoup craignent que cette répression ne soit une initiative de la part de MBS visant principalement à éliminer tous ses rivaux tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la maison des Saoud avant de remplacer son père âgé de 81 ans.

Mercredi soir, sept princes ont été libérés de l’hôtel Ritz Carlton à Riyad, où ils étaient détenus depuis samedi. Ces membres de la famille royale ont été transférés au palais royal, ont confié des sources à MEE.

Le cousin du prince héritier, Mohammed ben Nayef, qui reste assigné à résidence, a vu ses avoirs gelés, selon l’agence de presse Reuters. Les fils de Sultan ben Abdelaziz ont également été arrêtés et leurs biens gelés.

Le prince Bandar ben Sultan, ancien ambassadeur saoudien aux États-Unis, photographié ici en 2007, figure parmi les personnes arrêtées (AFP)

L’un des plus célèbres est le prince Bandar ben Sultan, ancien ambassadeur saoudien à Washington et proche de l’ancien président américain George W. Bush.

Son sort demeure inconnu, mais les autorités saoudiennes ont déclaré que l’une des affaires de corruption qu’elles examinent actuellement est l’accord d’armement d’al-Yamamah, dans lequel Bandar était impliqué.

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Bandar a acheté un village entier dans les Cotswolds, une région pittoresque du centre de l’Angleterre, et une propriété sportive d’environ 800 hectares avec une partie des profits des pots-de-vin qu’il a reçus avec l’accord d’al-Yamamah, soit près de 50 milliards d’euros pour des contrats d’avions de chasse.

On estime que 30 millions de dollars ont été versés sur le compte en dollars de Bandar à Riggs Bank à Washington et que l’affaire a conduit à des enquêtes de corruption aux États-Unis et au Royaume-Uni, bien que l’affaire ait été classée sans suite au Royaume-Uni après l’intervention du Premier ministre de l’époque, Tony Blair.

Parmi les personnes arrêtées figure Reem, la fille d’Al-Walid ben Talal, la seule femme à avoir été prise pour cible lors de la dernière rafle.

Comptes bancaires gelés

Pour empêcher les autres de fuir, MBS a ordonné un gel de comptes bancaires privés. Le nombre de fermetures de comptes et d’interdictions de voyager à l’étranger équivaut à plusieurs fois le nombre de personnes arrêtées, ont indiqué à MEE des sources à Riyad

Personne ne s’attendait à une répression de cette ampleur et contre des princes d’un tel rang dans la maison des Saoud, ce qui explique pourquoi tant de détenus ont été pris en flagrant délit et n’ont pas eu le temps de fuir.

Beaucoup des personnes arrêtées sont détenues à l’hôtel Ritz Carlton de Riyad (AFP)

Cette purge contre des membres de la famille royale est sans précédent dans l’histoire moderne du royaume. L’unité familiale, qui garantissait la stabilité de l’État depuis sa fondation, a été brisée.

Le dernier événement de cette ampleur fut le renversement du roi Saoud par son frère, le prince Fayçal, en 1964. Au cours de cette saga, le prince Fayçal ordonna à la Garde nationale d’encercler le palais du roi, mais le roi en personne ne fut jamais vilipendé. Sa sortie fut digne et tous les hauts responsables, y compris Fayçal, le saluèrent à l’aéroport.

Avant de devenir prince héritier, Mohammed ben Salmane a fait une promesse : « Je vous le confirme, personne ne survivra à une affaire de corruption – quelle que soit cette personne, même s’il s’agit d’un prince ou d’un ministre. »

Aujourd’hui, les fils des quatre hommes clés de la maison des Saoud qui constituaient le noyau de la famille au cours des quatre dernières décennies ont été ciblés. Ce sont les fils du roi Fahd ben Abdelaziz, du roi Abdallah, du prince Sultan et du prince Nayef.

Ceci représente une attaque sans précédent contre la position et la richesse des piliers des Saoud, dont les trois figures les plus importantes du clan Soudeiri au pouvoir.

Le roi Saoud, représenté sur cette photo, fut contraint d’abdiquer par son frère, le prince Fayçal, en 1964 (AFP)

Le roi Salmane est l’un des sept frères Soudeiri, le clan qui domine le royaume depuis quatre décennies. L’autre Soudeiri encore en vie est Ahmed ben Abdelaziz, qui a été mis sur la touche.

Salmane a uniquement hérité du trône parce que deux de ses quatre frères, Sultan et Nayef, sont morts alors qu’ils étaient princes héritiers.

Même alors, son accession n’a tenu qu’à un fil, comme MEE l’a déjà rapporté. Le roi Abdallah est mort avant qu’un décret écartant Salmane de l’ordre de succession ait pu être signé et publié.

Une humiliation publique

Dans la culture bédouine, une attaque contre des cousins ne saurait être ni oubliée, ni pardonnée. L’humiliation publique de ces membres de la famille royale, ainsi que le gel de leurs avoirs, sont perçus comme un coup porté à leur honneur, que les membres survivants de leur famille sont tenus de venger.

L’attaque menée par le prince héritier contre des personnalités de premier plan du monde des affaires est tout aussi risquée.

« La stabilité du royaume a été bâtie sur trois piliers : l’unité de la famille al-Saoud, le caractère islamique de l’État et la prospérité de la communauté locale des affaires. En s’attaquant aux trois piliers en même temps, le risque de voir le royaume sombrer est très élevé »

Bakr ben Laden, qui dirige la plus grande entreprise de construction d’Arabie saoudite, a été l’une des personnes arrêtées samedi. Il gérait les plus grands programmes de construction du royaume depuis des décennies par le biais d’une série de sous-traitants qu’il payait directement.

Ben Laden était assez riche pour absorber les coûts, avant de devoir à son tour « corrompre » des responsables du gouvernement afin d’être payé pour le travail initial et le contrat qu’ils avaient conclu.

Une fois que l’on retire l’homme ou l’entreprise au sommet de la pyramide de sous-traitants, personne n’est payé aux niveaux inférieurs, ce qui menace de laisser toute l’industrie de la construction dans un état chaotique. La même chose est arrivée à Saudi Oger, la société détenue par Saad Hariri, l’ancien Premier ministre libanais, qui a été déclarée en faillite le 31 juillet.

Certains des ministres promus par Mohammed ben Salmane ont également été pris dans le tourbillon de la purge.

Adel Fakeih, ancien ministre de la Planification et de l’Économie, était le fer de lance de l’ambitieuse campagne de privatisation de Mohammed ben Salmane baptisée « Vision 2030 ».

Il a également joué un rôle clé dans l’annonce de Neom, une proposition de mégapole soutenue par 500 milliards de dollars d’argent public devant être construite sur le littoral de la mer Rouge.

Ancien maire de Djeddah, Fakeih a été arrêté le 4 novembre. Le même sort a été réservé à Adel al-Toraifi, le ministre de l’Information du prince héritier.

Symboliquement, l’annonce du projet Neom a été faite à l’hôtel Ritz-Carlton, où les princes sont détenus depuis samedi.

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Nombreux sont les collègues de Mohammed ben Salmane qui doivent désormais se demander combien de temps ils ont devant eux avant que ce prince ambitieux ne s’en prenne à eux.

En touchant aux fondements de l’unité de la famille et aux oligarques, et en ciblant des érudits islamiques et des personnages publics indépendants, Mohammed ben Salmane retourne ses armes contre les piliers traditionnels de l’État saoudien, a déclaré un analyste.

« Jusqu’à présent, le royaume saoudien a fait du chaos sa politique dans son proche voisinage, que ce soit en Irak, en Syrie ou au Yémen. Cependant, il applique désormais la théorie du chaos à l’échelle nationale et personne, encore moins le prince lui-même, ne peut être sûr de ce qui va se passer », a indiqué hier soir une source informée à Riyad.

« La stabilité du royaume a été bâtie sur trois piliers : l’unité de la famille al-Saoud, le caractère islamique de l’État et la prospérité de la communauté locale des affaires. En s’attaquant aux trois piliers en même temps, le risque de voir le royaume sombrer est très élevé », a déclaré cette source.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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