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Hirak : le procès de Nasser Zefzafi entame sa dernière ligne droite

Près de huit mois après son ouverture mouvementée, le procès de Nasser Zefzafi et de ses co-détenus du hirak entame sa dernière ligne droite, les sentences seront prononcés avant fin juillet
Nasser Zefzafi, leader du hirak, a été arrêté le 28 mai 2017 (Reuters)

CASABLANCA, Maroc - La chambre criminelle de la cour d’appel de Casablanca, où se poursuivent depuis le 24 octobre 2017 les audiences du « groupe des 54 » - en référence aux 54 détenus du hirak à Casablanca, avec parmi eux les membres du noyau dur du mouvement de contestation : Nabil Ahamjik, Mohamed Jelloul, Rabie El Ablaq… - procède depuis le 15 mai dernier à l’écoute des 34 témoins du dossier.

Suivront les plaidoiries de la défense et de la partie civile, le réquisitoire du procureur et enfin le verdict. « À ce rythme, les jugements devraient être prononcés avant la fin du mois de juillet et le départ des juges en vacances judiciaires d’août. Ce procès n’a que trop duré », résument les avocats.

Des manifestants s'agenouillent devant la police lors d'une marche pour protester contre la corruption, la répression et le chômage à Al Hoceima, ville côtière du nord du Maroc, samedi 27 mai 2017 (AFP)

L’audience du vendredi 1er juin fut particulièrement suivie par les médias. Et pour cause, l’imam de la mosquée Mohammed V d’Al Hoceima comparaissait devant la cour, présidée par le juge Ali Torchi, en tant que témoin de l’incident du 26 mai 2017. 

Ce jour-là dans cette mosquée, Nasser Zefzafi avait interrompu – selon la version du parquet général – le prêche du vendredi. C’est cet événement qui avait déclenché la première vague d’arrestations dans la ville du Rif, secouée huit mois durant par des manifestations aux revendications sociales, économiques et culturelles. 

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Le leader du hirak est d’ailleurs poursuivi pour « entrave volontaire de l’exercice d’un culte ou d’une cérémonie religieuse, occasionnant volontairement un désordre de nature à en troubler la sérénité », un délit passible de six mois à trois ans de prison ferme et d’une amende de 200 à 500 dirhams (18 à 45 euros), selon les dispositions des articles 220 et 221 du code pénal marocain.

« Ses mensonges et ses parjures »

Lorsqu’il s’est présenté à la barre pour l’habituelle confrontation entre le témoin et l’accusé, Nasser Zefzafi n’a pas retenu sa colère. « Cet homme est un charlatan ! », hurla-t-il au visage de l’imam, dénonçant au passage « ses mensonges et ses parjures », avant d’être renvoyé dans le box des accusés. 

« J’avais fini la première partie du prêche et m’étais assis pendant quelques minutes dans le minbar [la tribune depuis laquelle l’imam donne son discours], quand j’ai entendu des cris provenant de l’extérieur de la mosquée. Je n’y ai pas prêté attention, mais quelques minutes après, je fus surpris d’apercevoir devant moi un cercle autour de Nasser Zefzafi, qui a aussitôt commencé à me crier dessus, me qualifiant de charlatan et m’ordonnant de me taire », a raconté l’imam, régulièrement moqué par des voix provenant de l’intérieur du box des accusés.

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Mais des incohérences ont rapidement commencé à transparaître dans le discours de l’imam. D’abord, il a affirmé que Nasser Zefzafi portait ce jour-là un qamis [longue tunique traditionnelle] de couleur verte. 

Or, comme l'indiquent plusieurs vidéos de l’incident relayées sur les réseaux sociaux, l’accusé arborait plutôt une tunique bleu-violet. Ensuite, il a assuré ne pas connaître Nasser Zefzafi personnellement, et l’avoir découvert par le biais de ses directs sur Facebook. 

« Pourquoi, dans tout le royaume, le prêche du vendredi avait-il porté sur le Ramadan, sauf dans la province d’Al Hoceima, où les imams ont tenu un discours politique ? »

- Nasser Zefzafi

Pourtant, il avait auparavant déclaré à la cour qu’Ahmed Zefzafi, le père de Nasser, était « un ami de longue date ». Une contradiction « criante » pour la défense, d’autant plus que la mosquée Mohammed V où il officie depuis de longues années se trouve à quelques mètres seulement du domicile de Nasser Zefzafi, qui « y prie régulièrement », selon les propres dires de l'accusé.

La jurisprudence Hassan II

Nasser Zefzafi a insisté : son intervention dans la mosquée était légitime, « au vu du caractère insidieux du prêche prononcé par l’imam ». 

Lors de l’audience du 24 avril 2018, le juge s’était attardé, au cours de son interrogatoire, sur cet incident. Nasser Zafzafi avait alors crié au « coup monté contre le hirak », accusant le ministère des Habous et des Affaires islamiques d’en être l’instigateur. 

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« Pourquoi, dans tout le Royaume, le prêche du vendredi avait-il porté sur le Ramadan, sauf dans la province d’Al Hoceima, où les imams ont tenu un discours politique, de nature à condamner ce qu’ils appellent la fitna [discorde] ? N’y a-t-il pas plus flagrante fitna que cela ? », a-t-il demandé.

Pour Nasser Zefzafi, la fitna telle que mentionnée par l’imam faisait allusion aux manifestations du hirak. « Il faut éviter la fitna. Rien dans la religion ne permet ni ne justifie la destruction des biens… L’appel à la désobéissance, les troubles, le mensonge, la falsification, sont condamnés par le prophète lui-même. Il faut vérifier les informations avant de réagir », peut-on lire dans le texte du prêche. 

Des manifestants brandissent le portrait de Nasser Zefzafi, leader de la contestation du Rif, arrêté lundi 28 mai 2017 (AFP)

Selon l’accusé, le prêche du vendredi 26 mai 2017 enfreignait les dispositions de l’article 41 de la Constitution, « puisque l’imam s’est permis d’émettre une fatwa condamnant les manifestations du hirak. Or, selon le texte, le Conseil supérieur des oulémas est la seule instance habilitée à prononcer les fatwas officiellement agréées sur les questions dont il est saisi, et ce, sur la base des principes, préceptes et desseins tolérants de l’islam ». 

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Ses avocats se réfèrent quant à eux à un discours de Hassan II, prononcé le 27 mars 1987 à l’occasion de la première Rencontre internationale des khatibs [orateurs religieux]. Dans son discours, le roi avait appelé les khatibs à éviter les messages politiques et partisans.

Grève de la faim

Nasser Zefzafi, qui avait annoncé entamer une grève de la faim, celle du « non-retour », lors de l'audience du 23 mai, aurait recommencé à se nourrir dimanche. Selon la page Facebook officielle de ses partisans, il aurait même obtenu l'autorisation de rencontrer d'autres détenus. Zefzafi contestait son incarcération dans une cellule individuelle depuis plus de onze mois. 

Traduction : « La revendication de Nasser, pour laquelle il a entamé une grève de la faim depuis treize jours, a été entendue. Nous espérons qu'ils soient tous relâchés et en finir avec ce dossier. URGENT : l'administration de la prison Oukacha a permis à Nasser et à tous les autres détenus de se rencontrer sans aucune entrave »

Pour les détenus du hirak, le jeûne était le seul moyen de protester contre les conditions de détention à la prison Oukacha, à Casablanca. En mars, ils dénonçaient « le traitement irrespectueux » réservé à leurs familles par le personnel de la prison. 

Le 18 mai, le journaliste et directeur du site Badil.info, Hamid El Mahdaoui, qui fait partie des détenus du hirak, affirmait « avoir été torturé physiquement et psychologiquement » par le personnel de l’établissement pénitentiaire.

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