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Bjorn Brenner : « Le Hamas est beaucoup plus flexible, démocratique et pragmatique que ce qui a été avancé auparavant »

L’auteur de Gaza Under Hamas, récompensé à l’occasion des Palestine Book Awards 2017, décrit pour MEE la façon dont le Hamas gouverne et comment il se positionne sur l’échiquier politique, entre islamisme et laïcité, démocratie et autoritarisme
Des Palestiniens assistent à un défilé militaire de membres des brigades al-Qassam du Hamas, dans le camp de réfugiés de Jabalia, dans le nord de Gaza, en décembre 2015 (AFP)

Lorsque le Hamas a remporté des élections démocratiques à Gaza en 2006, le groupe de parias militants a été catapulté au sein même du gouvernement.

Dans Gaza Under Hamas, le Dr Bjorn Brenner examine de plus près la manière dont un groupe considéré comme idéologiquement lié à la violence a véritablement gouverné et met en lumière une organisation capable de gouverner d’une manière qui peut être considérée comme islamiste mais aussi laïque, démocratique mais aussi autoritaire.

Maître de conférences en politique du Moyen-Orient à l’École supérieure de la défense nationale en Suède, Brenner a déclaré à MEE que son intérêt pour le Moyen-Orient découlait de conversations qu’il a eues dans son enfance avec un voisin, Gunnar Jarring, qui a été le premier envoyé spécial des Nations unies pour le conflit israélo-palestinien, entre 1967 et 1973.

Il a grandi dans un village paisible de 1 000 âmes situé dans le sud de la Suède et s’est rendu quelques années plus tard à Gaza pour mener des recherches pour son livre, au moment même où une guerre sanglante éclatait avec Israël.

Le livre a été récompensé à l’occasion des Palestine Book Awards 2017, le 24 novembre à Londres.

Middle East Eye : L’une des caractéristiques de ce livre est le travail que vous avez livré sur le terrain à Gaza ; vous étiez également présent au cours de la guerre avec Israël qui a commencé fin 2008. Pouvez-vous nous parler du travail de terrain que vous avez effectué pour ce livre ? Était-ce sans danger ? Le Hamas est connu pour être une organisation hautement secrète ; comment y avez-vous accédé ?

Bjorn Brenner : En ce qui concerne Gaza, j’avais déjà rencontré plusieurs dirigeants du Hamas lorsqu’ils étaient basés à Damas et en Cisjordanie. Bien qu’il fût intéressant au début d’interviewer des personnalités du Hamas, je me suis vite rendu compte que parler à des hommes politiques ne me donnait qu’une vision idéalisée ; j’ai donc commencé à interviewer des gens au sein des ministères, de la bureaucratie et du système judiciaire, mais aussi des Gazaouis ordinaires. Cette approche ne nécessitait pas un accès ultra-exclusif aux dirigeants, lequel était difficile à obtenir.

Bjorn Brenner

Je dirais qu’il a toujours son caractère et son identité islamiques, et que si certains traits du comportement du Hamas sont démocratiques, il y a également des traits autoritaires

Je n’étais pas plus en sécurité que les autres. Comme je viens d’un paisible village de pêcheurs et que je n’ai pas connu la guerre, voir ce que la guerre signifiait non seulement sur le plan des dégâts physiques, mais aussi de ce qu’éprouvaient les enfants et les gens, qui ne comprenaient pas ce qui se passait, a été une expérience extrêmement marquante.

Mon impression la plus forte a été la réaction des enfants de la famille avec laquelle je séjournais. Ils étaient trop jeunes pour comprendre ce qui se passait et ne pouvaient pas comprendre pourquoi des choses explosaient dehors. C’est difficile à comprendre tant que l’on n’a pas vu cela de ses propres yeux.

MEE : Le Hamas et le Fatah ont signé un accord de réconciliation pour mettre fin à leur hostilité. Celui-ci survient après une décennie de conflit entre les deux groupes à Gaza. Qu’est-ce qui a changé au cours des dix dernières années, durant lesquelles le Hamas a été au pouvoir, pour que ce rapprochement ait lieu maintenant ?

BB : Lorsque l’on observe le rapprochement avec le Fatah, on constate que le Hamas a accepté beaucoup de choses qu’il n’aurait pas approuvées par le passé. Le rapprochement a été effectué en partie pour que le Hamas puisse collaborer étroitement avec l’Égypte, malgré une rupture des relations opérée depuis que le président Mohamed Morsi a été évincé et qu’Abdel Fattah al-Sissi a pris le pouvoir. Même si le Hamas a été accusé de beaucoup de choses par l’Égypte, il est toujours prêt à travailler en étroite collaboration avec l’Égypte.

Nous avons été témoins cet été d’une relation étroite entre le Hamas et Mohammed Dahlan, alors même que ce dernier était le chef de la sécurité du Fatah à Gaza. Désormais, ils sont prêts à travailler avec lui parce qu’il représente leur meilleur choix. Le Hamas est un acteur politique qui se préoccupe beaucoup plus des manœuvres politiques que de la sauvegarde de ses idéaux islamistes.

Ismaël Haniyeh, dirigeant du Hamas (à gauche), accompagné de Yahya Sinouar, chef du Hamas à Gaza (Reuters)

Jusqu’au moment où j’ai écrit mon livre, le Hamas était considéré comme un mouvement flexible qui était capable de s’adapter à la situation pour poursuivre ses objectifs, mais on pensait toujours qu’il avait des lignes rouges idéologiques et qu’il serait limité par ses idées islamistes.

Ce que je dis dans mon livre, c’est que le Hamas est beaucoup plus flexible que ce que l’on a pu soutenir jusqu’à présent. Ces lignes rouges, qui sont très faibles et très floues, pourraient ne pas exister du tout.

MEE : Comment décririez-vous alors le style de gouvernance du Hamas ?

BB : Lorsque le Hamas est arrivé au pouvoir et surtout lorsqu’il a pris le contrôle de Gaza, de nombreux experts affirmaient qu’il s’agissait d’un groupe islamiste qui allait faire de Gaza un territoire régi par la charia.

En réalité, le Hamas est beaucoup plus flexible, démocratique et pragmatique que ce qui a été avancé auparavant. Mais cela ne signifie pas nécessairement que les idéaux démocratiques lui sont importants. Il ne faut pas non plus y voir un groupe islamiste en soi, mais un acteur capable de quasiment tout qui n’est pas restreint par son idéologie.

Le Hamas est un acteur politique qui se préoccupe beaucoup plus des manœuvres politiques que de la sauvegarde de ses idéaux islamistes

Par exemple, le Hamas a essayé de maintenir le système judiciaire laïc dont il a hérité, bien que dans certains cas, il ait essayé de changer les juges existants par des juges favorables au Hamas. Il n’a pas essayé de changer tout le système – il a essayé de le maintenir. Je dirais que c’était un exemple de son attitude démocratique.

L’assassinat de certains membres du Fatah dans la bande de Gaza et le déni de la liberté d’expression de certains journalistes affiliés au Fatah étaient un signe d’une tendance plus autoritaire.

Je dirais qu’il a toujours son caractère et son identité islamiques, et que si certains traits du comportement du Hamas sont démocratiques, il y a également des traits autoritaires.

MEE : Quelle est la nature des relations entre le Hamas et les autres groupes armés dans la bande de Gaza ? Devons-nous tenir le Hamas pour responsable des tirs de roquettes contre Israël ?

BB : Il n’est pas particulièrement responsable. La question de savoir si, en tant que dirigeants de Gaza, les membres du Hamas doivent assumer la responsabilité de ce qui se passe sur leur territoire, est d’une autre nature. La relation entre le Hamas et les groupes djihadistes salafistes est très intéressante. Avant 2006, celle-ci était considérée comme complètement amicale, et après 2006, elle était complètement hostile ; le Hamas employait alors souvent la force brute dans ses rapports avec ces groupes.

Il n’acceptait alors aucune forme de désobéissance de la part de ces groupes concernant les tirs de roquettes contre Israël, qui étaient susceptibles de déclencher une nouvelle spirale de violence.

Cela dit, le Hamas a rapidement constaté qu’il avait affaire à plus de djihadistes salafistes qu’il ne l’avait imaginé, certains membres du Hamas étant également des sympathisants ; le mouvement a donc décidé de les traiter différemment. Ceux qui avaient du sang sur les mains recevaient toujours un traitement sévère, mais les militants qui purgeaient une peine de prison étaient soumis à un programme de « déradicalisation », tandis que les autres faisaient l’objet d’une visite chez eux visant à les persuader d’adhérer à la véritable compréhension de l’islam.

Des militants palestiniens des brigades Ezzedine al-Qassam, la branche armée du Hamas, transportent des roquettes factices lors d’un rassemblement dans le camp de réfugiés de Nuseirat, dans le centre de la bande de Gaza, le 12 décembre 2014 (AFP)

Leurs tentatives de « déradicalisation » ont finalement échoué, ce que reflète clairement la détérioration des relations entre le Hamas et les militants. Les prisonniers y ont vu une opération de relations publiques et n’étaient pas prêts à coopérer tant que le Hamas les gardait enfermés. Néanmoins, la tentative de « déradicalisation » initiée par le Hamas est un exemple intéressant de la façon dont il fait preuve de flexibilité dans sa propre arrière-cour.

MEE : Étant donné qu’au cours de la dernière décennie, le Hamas a participé au processus démocratique et tenté de contenir les autres groupes armés à Gaza, peut-on encore dire qu’il s’agit d’un groupe de résistance armée ?

BB : Le Hamas peut encore être qualifié de groupe de résistance armée parce qu’il conserve toujours son aile armée et parce qu’il est clair qu’il n’abandonnera pas la résistance armée. Néanmoins, le Hamas mène-t-il en réalité des activités de résistance armée ? Dans une bien moindre mesure qu’il y a dix ans. Il y a donc un écart entre le fait d’être un groupe armé et ce qu’il fait réellement.

Le point de vue des chercheurs originaires du Moyen-Orient fait défaut alors que l’on en a grand besoin

Il faut garder à l’esprit que le Hamas mène des activités de résistance armée en Cisjordanie, bien que l’on ne sache pas dans quelle mesure celles-ci sont ordonnées par ses membres de haut rang ou si ce n’est que local. Il y a aussi les tunnels creusés sous la frontière en direction d’Israël, mais il n’y a pas eu d’enlèvement d’Israéliens depuis longtemps. Il serait incorrect de dire qu’ils ont mis fin à leurs activités de résistance armée.

MEE : Vous écrivez dans votre livre que d’autres ouvrages consacrés aux mouvements islamistes ont pris la forme d’« évaluations des menaces ». Que voulez-vous dire par là ? Et comment peut-on éviter cela ?

BB : Les livres consacrés aux groupes comme le Hamas ou le Hezbollah ont tendance à souligner leur caractère islamiste. Le comportement des islamistes diffère d’un groupe à l’autre, il existe un large éventail de groupes, et au final, on se rend compte que rassembler les groupes de cette façon ne nous dit pas grand-chose sur ce qu’ils sont. Il s’agit là d’une approche hostile dans laquelle on choisit de ne pas comprendre leur point de vue.

Pour ma part, lorsque j’ai réalisé mon étude, j’ai pris un point de départ différent en commençant par leur comportement.

Nous sommes tous affectés par le discours politique dans nos sociétés. En Europe occidentale et aux États-Unis, il y a un certain discours politique, en particulier de nos jours, alors que les gens ont peur du terrorisme et le relient automatiquement à l’islamisme. Cela nous affecte tous. Lorsque l’on regarde qui sont les chercheurs qui écrivent, ce sont principalement des personnes originaires d’Amérique du Nord et d’Europe. Cela donne le ton dans le milieu universitaire, mais le point de vue des chercheurs originaires du Moyen-Orient fait défaut alors que l’on en a grand besoin.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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