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Israël tente d’éviter que le commerce des antiquités ne devienne une relique du passé

Alors que la nouvelle réglementation vise à résorber le pillage, certains antiquaires se voient retirer leur licence
Rami Baidun possède un morceau de verre romain qu’il met en vente dans son magasin d’antiquités, situé dans la vieille ville de Jérusalem (MEE/Mary Pelletier)

JÉRUSALEM – Il est difficile de discerner les jarres d’huile, les flacons en verre romains ou les bijoux byzantins au dernier étage de la boutique d’antiquités palestinienne de Nabeel al-Hroub, dans la vieille ville de Jérusalem. Les lumières sont éteintes et l’atelier, rempli de vitrines contenant des antiquités numérotées, est fermé aux clients.

« Cela me prive de mon commerce », a déploré al-Hroub, allumant la lumière pour révéler les mentions manuscrites « pas à vendre » collées aux vitrines. Al-Hroub faisait référence au 10 juillet, jour où l’Autorité des antiquités d’Israël (AAI) a lancé un assaut contre sa boutique dans le quartier musulman de la vieille ville, suite auquel un certain nombre d’objets ont été confisqués et l’antiquaire a été contraint d’arrêter de vendre son inventaire de plus de 15 000 antiquités.

L’assaut contre la boutique de Hroub est le dernier exemple en date des efforts déployés par l’AAI pour réprimer le trafic d’antiquités pillées dans la région. Suite à une loi adoptée par la Cour suprême israélienne en janvier, les antiquaires ont été contraints de se conformer au nouveau système d’inventaire informatisé de l’AAI. Depuis, certains antiquaires comme al-Hroub n’ont pas respecté les exigences de l’AAI, ce qui a rendu invalide la licence qui leur permettait de vendre des antiquités.

Israël et Jérusalem-Est occupée, un cas unique

Israël est un cas unique au Moyen-Orient en matière de traitement des antiquités. Il s’agit du seul pays qui maintient un commerce d’antiquités légal pour l’exportation, qui puise ses racines sous la domination ottomane et a continué de se développer sous le mandat britannique. Pour combattre un problème de plus en plus grave de pillage archéologique et de trafic d’antiquités, Israël a adopté en 1978 une loi sur les antiquités en vertu de laquelle les objets trouvés après cette date sont considérés comme étant la propriété de l’État. Les antiquaires palestiniens qui opéraient et continuent d’opérer dans la vieille ville de Jérusalem, occupée par Israël en 1967, sont soumis à cette réglementation ainsi qu’à d’autres réglementations mises en avant par l’AAI.

« Nous savons qu’il existe un lien étroit entre le pillage d’antiquités en Israël et le marché des antiquités »

Théoriquement, après cette date, les nouveaux objets n’étaient pas autorisés à entrer sur le marché. Toutefois, selon le Dr Eitan Klein, chef adjoint de la Division de prévention des vols de l’AAI, les chiffres indiquent le contraire et le système obsolète d’inventaire manuscrit s’est avéré inefficace dans la lutte contre la vente d’objets pillés.

« Nous savons qu’il existe un lien étroit entre le pillage d’antiquités en Israël et le marché des antiquités », a commenté Klein peu après l’assaut contre la boutique d’al-Hroub. « Nous savons que la plupart des inventaires des antiquaires servent à blanchir les antiquités issues du pillage. Ils pouvaient vendre une lampe à huile, puis rapporter une autre lampe à huile qui a été pillée et la mettre dans leur inventaire comme si elle n’avait pas été vendue. De cette façon, ils pouvaient ainsi blanchir des antiquités volées. »

Les clients peuvent voir le numéro d’immatriculation des antiquités dans la boutique de Rami Baidun, située dans la vieille ville de Jérusalem (MEE/Mary Pelletier)

Cinquante-quatre antiquaires, dont des habitants palestiniens de Jérusalem, des citoyens palestiniens d’Israël et des Israéliens juifs, détiennent actuellement une licence de commerce d’antiquités en Israël. Depuis 1978, la loi de l’État sur les antiquités a connu quelques modifications, et le changement de réglementation adopté en janvier a modernisé le système d’inventaire manuscrit, remplacé par une base de données en ligne qui oblige les antiquaires à nommer, photographier, dater et décrire chacun de leurs objets. L’AAI a entrepris de faire adopter la nouvelle réglementation en 2012, mais la loi a été retardée lorsqu’un groupe de quinze antiquaires, dont al-Hroub, a lancé une pétition contre le changement, avant finalement de sortir perdant à la fin de l’année 2015.

« Aujourd’hui, la réglementation concernant le système informatisé signifie que tous les antiquaires en Israël qui souhaitent avoir une licence de vente d’antiquités doivent mettre tout leur inventaire dans ce système informatisé », a expliqué Klein, qui a souligné que la base de données en ligne aidait les antiquaires à accélérer le processus d’autorisation d’exportation suite à une vente. « Les antiquaires doivent prendre des photos de tous les objets et les mettre en ligne, mais aussi indiquer d’où viennent ces objets, où et quand ils les ont achetés et, finalement, à qui ils les vendent, lorsqu’ils vendent des objets. »

100 millions de dollars d’antiquités confisqués

Alors que l’AAI voit la nouvelle base de données en ligne comme la clé de la prévention du trafic, d’autres antiquaires considèrent la numérisation de la totalité de leur inventaire comme une tâche insurmontable. L’AAI a donné aux antiquaires trois mois à compter de la date de la décision prise en janvier pour se conformer au nouveau système. Al-Hroub ayant seulement pu mettre en ligne un tiers de son stock de 15 000 objets pendant ces trois mois, la licence que sa famille détient depuis près de 40 ans n’a pas été renouvelée.

Vint ensuite l’assaut.

Al-Hroub a expliqué que le 10 juillet, un groupe de l’AAI accompagné de membres armés de la police des frontières est entré dans sa boutique et a enlevé environ 100 cartons d’antiquités de sa boutique. Al-Hroub ne se trouvait pas en ville ce jour-là ; toutefois, lors de son retour, il a estimé que l’AAI avait confisqué plus de 100 millions de dollars de son inventaire, sans laisser de documents ou de traces écrites indiquant ce qui avait été pris. Klein, qui a souligné que les antiquaires étaient au courant du projet de changement de système depuis 2012, a indiqué qu’il n’était pas en mesure de discuter de cas individuels, parce que ces derniers sont traités comme des « enquêtes policières ».

« Je veux qu’ils me rendent ces objets car ils m’appartiennent »

« Je le fais », a déclaré al-Hroub, se référant aux efforts qu’il a entrepris pour se conformer à la réglementation et soulignant que la pire partie du processus a été le manque de communication de l’AAI. « Je possède plus de 15 000 pièces. Cela prend du temps. Je ne peux pas travailler 24 heures sur 24. Je suis allé les voir et je leur ai demandé de me donner plus que trois mois, mais ils n’ont pas accepté. Personne ne me parle de cela. »

« S’ils n’aiment pas que la galerie [vende] des antiquités, qu’ils viennent tout acheter pour le gouvernement s’ils les veulent et s’ils paient pour tout cela. Mais qu’ils ne volent pas de cette manière. Vous savez, ils ont gâché ma vie. Je ne fouille pas. J’ai tous les reçus et je paie mes impôts, et ils savent tout cela. Je veux qu’ils me rendent ces objets car ils m’appartiennent. »

Sur le chemin de pèlerinage populaire de la Via Dolorosa qui traverse la vieille ville, d’autres antiquaires affichent leur licence délivrée par l’AAI à l’extérieur de leur boutique. Rami Baidun, dont la famille possède trois boutiques d’antiquités, a expliqué que sa famille avait pu embaucher de l’aide et se conformer ainsi à la nouvelle réglementation.

À l’extérieur des boutiques de la famille Baidun, la licence délivrée par l’AAI est affichée pour rassurer les clients (MEE/Mary Pelletier)

« Pour certains antiquaires, cela ne s’est pas bien passé parce que certains ont d’énormes stocks, a expliqué Baidun. Je pense que la nouvelle façon de procéder est plus pratique, plus traçable ; personnellement, je pense que c’est mieux. D’autres ne le pensent pas parce qu’ils ont des problèmes avec l’AAI : ils n’ont pas su gérer les stocks ou les mettre en ligne dans le nouveau système et ils n’ont pas embauché de professionnels pour les aider, donc ils se sont retrouvés coincés. L’année 2016 se rapproche de son terme et les responsables de l’Autorité des antiquités d’Israël font leur travail. »

Une interdiction totale du commerce ?

Morag Kersel est une archéologue qui connaît le commerce des antiquités israéliennes de l’intérieur. Les travaux de recherche qu’elle mène depuis quinze ans portent sur tous les aspects du commerce unique qui se développe dans le pays, du pillage orchestré par les fournisseurs aux pèlerins en quête d’une relique de la Terre sainte. Professeure associée au département d’anthropologie de l’Université DePaul de Chicago, elle passe une partie de l’été de cette année à Jérusalem, où elle poursuit ses recherches suite aux changements de réglementation.

« J’ai souhaité déterminer si un marché légal avait mis fin au pillage, a expliqué Kersel. Ce que j’ai conclu, c’est que je ne pouvais pas faire cette corrélation parce que le marché n’est qu’approximativement légal. Il comporte même trop d’éléments illégaux pour être considéré comme légal. Du matériel illégal entre en permanence dans ce marché par le biais de cet échange de numéros enregistrés et les personnes auxquelles j’ai parlé se sont montrées très ouvertes à ce sujet. »

« [Ce marché] comporte même trop d’éléments illégaux pour être considéré comme légal »

Avec ce type de preuves, de nombreux archéologues basés en Israël critiquent la poursuite du commerce et se montrent catégoriques quant au fait que la meilleure façon de mettre un terme au pillage d’antiquités est de mettre complètement fin à toute forme de vente. Cela soulève une question clé : pourquoi Israël ne supprime-t-il pas complètement le commerce ?

Un certain nombre de facteurs viennent compliquer la réflexion sur cette question, dont entre autres les précédents historiques, les titulaires de licences existants et la satisfaction des touristes. Klein souligne que l’abolition totale du commerce pourrait s’avérer plus efficace, mais a également indiqué que décréter un moratoire sur le commerce d’antiquités serait antidémocratique. « Cela relève du thème de la liberté du commerce ; nous [l’AAI] devons donc soutenir ces droits fondamentaux. »

Kersel, qui a également étudié les activités des acheteurs et collectionneurs, ne voit pas la demande d’antiquités de la Terre sainte dépérir dans un avenir prévisible.

« Ce dont je me suis rendu compte dans beaucoup des conversations que j’ai eues après toutes ces années, c’est que l’on n’arrêtera jamais de collectionner, jamais, a-t-elle affirmé. Je ne parle que des antiquités de la Terre sainte. Ici, il y a une certaine aura qui entoure les antiquités de la Terre sainte et les gens souhaitent en détenir un morceau tangible. Dans la majeure partie des ventes, les gens dépensent peut-être 30 ou 40 dollars et emportent chez eux leur morceau de Terre sainte. Cela ne s’arrêtera pas. Des pèlerins du monde entier, des gens qui viennent ici pour la première fois. Alors que faire ? »

Telle est la question à laquelle l’AAI tente de répondre en faisant entrer la tradition israélienne du commerce d’antiquités dans le XXIe siècle.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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