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La formation pour islamistes armés : un business sanglant qui a de l’avenir

Sur le modèle de l’ex-Blackwater, sulfureuse société militaire américaine privée, Malhama Tactical propose aux groupes armés de se former aux techniques de guerre moderne
Malhama Tactical met ses hommes en location pour la formation et le support des opérations de n’importe quel groupe armé (Twitter)

La guerre en Syrie vient de passer un cap important : il y a eu plus de jours de combats sur le théâtre syrien que de jours passés durant la Seconde Guerre mondiale.

Cette guerre civile présente désormais elle aussi les caractéristiques d’une guerre mondiale, puisqu’elle implique des dizaines de milliers de combattants de plus de trente pays et une demi-douzaine d’armées régulières.

Il est normal que ce genre de guerre, avec le temps, transforme les belligérants, mais aussi qu’elle tende, sur la durée, à équilibrer les forces et aligner les tactiques et les méthodes.

La guerre en Syrie implique des dizaines de milliers de combattants de plus de trente pays et une demi-douzaine d’armées régulières

Cela explique l’apparition il y a un an, de la première Société militaire privée (SMP) créée par des islamistes armés qui porte le nom symbolique de Malhama Tactical.

Malhama en arabe signifie « bataille sanglante » ou « bataille au corps à corps ». Mais l’adoption de ce nom par cette SMP est probablement liée à l’endroit où il a été choisi, dans le nord de la Syrie à proximité du village de Dabiq, dans le gouvernorat d’Alep.

Petit village insignifiant sur le plan stratégique, il est le symbole de la fin des temps pour les musulmans. Dabiq a aussi, dans le contexte de la guerre au Proche-Orient, une signification théologique et mythologique. Théologique car en matière d’eschatologie musulmane (discours sur la fin du monde), la Malhama est le combat final entre les musulmans et les rûm qui sont les chrétiens byzantins (pour certains les Russes, pour d’autres les Américains) et qui précipitera la fin du monde.

À LIRE : Les rebelles soutenus par la Turquie reprennent la très symbolique ville de Dabiq à l’EI

Un hadith, récit du prophète Mahomet repris dans la compilation certifiée de Abou Muslim (un savant qui a compilé les récits sur la vie du prophète) décrit la chose avec précision : « L'heure dernière n'arrivera pas avant que les Byzantins n'attaquent Dabiq. Une armée musulmane regroupant des hommes parmi les meilleurs sur terre à cette époque sera dépêchée de Médine pour les contrecarrer. Une fois les deux armées face-à-face, les Byzantins s'écrieront : « Laissez-nous combattre nos semblables convertis à l'islam. » Ce à quoi les musulmans répondront : « Par Allah, nous n'abandonnerons mais nos frères. »

Puis la bataille (Malhama) s'engagera. Un tiers s'avouera vaincu, plus jamais Allah ne leur pardonnera. Un tiers mourra, ils seront les meilleurs martyrs aux yeux d'Allah. Et un tiers vaincra, ils ne seront plus jamais éprouvés et ils conquerront Constantinople [Istanbul aujourd’hui]. »

Un bon salaire avec des jours de repos hebdomadaires

Le nom du groupe étant établi, comment affirmer que ce n’est en rien un simple groupe d’islamistes armés comme il en existe une cinquantaine dans la région mais bel et bien une SMP ?

Simplement car eux-mêmes se mettent en location pour la formation et le support des opérations de n’importe quel groupe armé. Mieux, dans un tweet, ils appellent à la candidature des instructeurs qualifiés et leur promettent un bon salaire, un jour de repos hebdomadaire et un travail « stable et excitant ».

Pour pouvoir postuler, le futur candidat doit être musulman, avoir exercé en tant qu’instructeur et maîtriser les tactiques de guerre moderne.

Pour postuler comme instructeur chez Malhama Tactical, il faut maîtriser les tactiques de guerre moderne (AFP)

Très présents sur les réseaux sociaux (VK, Twitter, Facebook et Youtube), Malhama Tactical a la particularité de produire un contenu multimédia essentiellement en langue russe. Leur leader se fait appeler Abou Rofiq, il serait ouzbek et aurait, selon ses propres dires, servi dans les parachutistes russes en Russie. La demi-douzaine de ses accompagnateurs sont aussi russophones et seraient aussi ouzbeks, même si au moins un caucasien ferait partie du groupe.

Cette SMP, qui fait organiquement partie de Jabhat Fatah al-Sham (ancien Front al-Nosra) a été créée en 2016 et a activement participé à la formation et l’entraînement de différentes factions des JAA et d’autres groupes impliqués dans le siège d’Alep.

Les hommes d’Abou Rofiq auraient été directement impliqués dans la planification et la prise, le 6 août 2016, de la base d’artillerie de Ramouseh et de l’académie d’artillerie, qui se trouvent au sud d’Alep. Cette attaque avait permis aux combattants armés de casser le blocus sur la ville et faire la jonction avec des renforts venus du sud.

La série de tutoriaux apprend aussi aux groupes à rationaliser leurs pertes en employant des techniques de premiers soins modernes

Malhama Tactical aurait aussi participé un peu plus tôt à la formation de combattants du groupe turkestan Islamic Party dans la région de Lattaquié, un port de Syrie, début 2016, et à Alep vers avril-mai 2016.

Ce n’est qu’après la reprise d’Alep par l’armée arabe syrienne que ce groupe a annoncé sa volonté de se transformer en SMP en offrant ses services aux autres groupes de la même obédience dans la formation ou comme force d’élite, au Proche-Orient et en Afrique.

Abou Rofiq avait évoqué à un journaliste de Foreign Policy, son projet de prêter main forte aux musulmans du Myanmar et du Xinyang en Chine, ou pourquoi pas revenir en Russie pour se battre pour ses croyances.

Sortir du schéma classique de la guerre d’attrition

Avant cela, ils avaient démontré leur qualité d’instructeurs en organisant une série de cours en vidéos à destination des groupes improvisés ou débutants. Très adaptés à la nature du conflit syrien, ces vidéos permettent à ceux qui les suivent d’opérer en milieu ouvert ou fermé, par la création d’une kill room (centre de formation en combat urbain) et ou en montrant la façon d’organiser un assaut sur un bâtiment ou une position.

En attaquant la base d’artillerie de Ramouseh, au sud d’Alep, les hommes d’Abou Rofiq avait permis aux combattants de casser le blocus sur la ville (Reuters)

La série de tutoriaux apprend aussi aux groupes à rationaliser leurs pertes en employant des techniques de premiers soins modernes avec des packs de premiers secours occidentaux.

Aussi, de nombreuses vidéos montrent comment improviser avec des armes peu utilisées sur le champ de bataille : Steyr AUG, M16, M4 (fusils d’assaut venant de différents pays) sans remettre en cause l’utilisateur traditionnel d’AKM (fusil d’assaut) de la région, ou bien carrément comment fabriquer des armes à partir de munitions abandonnées, comme la transformation de munition VOG 17 (munitions de lance-grenades) en grenades à main.

Dans ce sens, la formation donnée par Malhama Tactical permet aux groupes de sortir du schéma classique de la guerre d’attrition qui était en faveur des islamistes armés compte tenu de leur nombre, et qui consistait à combattre jusqu’à épuisement des munitions puis jusqu’à la mort.

Qu’aucune des vidéos en ligne ne forme aux attentats kamikazes est une preuve du tarissement du flux de combattants étrangers 

Parmi les dizaines de vidéos mises en ligne, aucune n’incite au suicide ou ne forme aux attentats kamikazes. Toutes misent sur la supériorité tactique et la survie par le travail d’équipe et la coordination. Cela aussi est une preuve du tarissement du flux de combattants étrangers et le manque de plus en plus fort d’adhésion des populations locales dans les rangs des groupes armés.

Il semble que les forces russes soient au courant des agissements du groupe. En se basant sur le monitoring des communications radio et GSM des membres de Malhama Tactical, ils ont ciblé Abou Rofiq le 7 février dernier à Idleb par un bombardement de précision. Il aurait survécu à l’attaque par hasard en quittant préalablement son domicile, mais sa femme et son enfant auraient été tués.

Aujourd’hui, il est difficile de savoir si le modèle économique d’une telle SMP est viable, mais avec l’entrée de la guerre dans une phase moins intense et plus longue, le besoin des groupes en formation se fait plus grand. 

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