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La vie et la mort dans une prison de l’État islamique

D’anciens prisonniers libérés le mois dernier d’une prison tenue par le groupe EI dans le nord de l’Irak racontent ce qu’ils ont vécu en captivité
« Ils nous apportaient à déjeuner, emmenaient l’un d’entre nous dehors et commençaient à le torturer – on entendait ses cris et on perdait l’appétit »

ERBIL – Mustafa* devait être exécuté le 22 octobre, sur ordre de l’État islamique (EI).

Cette nuit-là, le policier de 32 ans a griffonné ses dernières volontés sur un morceau de papier adressé à l’aîné de ses neveux, le fils de son frère, lui-même décapité par les prédécesseurs de l’EI en 2006.

Après l’assassinat de son frère, Mustafa a accueilli les cinq orphelins de son frère et sa veuve dans sa maison et a pris soin d’eux.

« Je lui ai dit que je serais tué le lendemain et qu’il devait prendre soin de ses frères, de sa mère », a-t-il déclaré à Middle East Eye dans une installation sécuritaire de la capitale kurde d’Erbil.

Pendant ses dernières heures, le jeune policier a trouvé du réconfort dans le Coran, en pleurant sur les pages du livre saint, tandis qu’il attendait le lever du soleil et sa mort certaine.

Toutefois, Mustafa n’a pas connu cette fin atroce. Au lieu de cela, il a été arraché à son désespoir à deux heures du matin lorsqu’il a entendu le grondement provoqué par le survol des hélicoptères.

Cette nuit-là, 69 otages dont Mustafa ont été libérés des geôles de l’EI au cours d’un raid militaire mené conjointement par les Kurdes et les Américains près de la ville d’Hawija, dans le nord de l’Irak.

Un commando américain a été tué et quatre Kurdes ont été blessés au cours de la mission.

« J’avais peur, je ne savais pas ce qu’il se passait. Nous avons entendu les combats », se souvient-il.

Les Kurdes, qui avaient espéré trouver et libérer des peshmergas captifs, ont rencontré des Arabes locaux – dont la plupart étaient d’anciens membres des forces de sécurité irakiennes – et des membres de Daech emprisonnés.

« Ils ont cassé la porte et ont demandé s’il y avait des peshmergas. Nous avons répondu non et ils ont crié : ‘’N’ayez pas peur, nous sommes là pour vous aider !’’ », a raconté Mustafa.

Vengeance contre l’EI

Ce n’était pas la première fois que Mustafa se retrouvait dans une prison de l’EI. En mars 2015, quatre hommes armés avaient fait irruption dans sa maison en pleine nuit, lui avaient bandé les yeux et l’avaient arraché à sa famille – il était accusé d’informer les forces kurdes des positions de Daech, un « crime » que Mustafa avait, effectivement, commis.

Lorsqu’on lui demande pourquoi il a choisi de risquer sa vie pour faire des rapports sur l’État islamique, il répond simplement : « C’était ma vengeance contre Daech parce qu’ils ont tué mon frère. »

Ravagée par la guerre et les troubles sociaux suite à l’invasion américaine de l’Irak, la région de Hawija est devenue une plaque tournante pour les miliciens sunnites qui ciblent fréquemment les forces américaines et irakiennes – dont plusieurs membres de la famille de Mustafa.

Les yeux bandés et incapable de voir où il était ou qui était dans la pièce avec lui, Mustafa ne se souvient que de l’eau froide versée sur lui et de la douleur qui s’est ensuivie lorsque des câbles électriques ont été pressés sur sa peau nue.

« Quand je me suis évanoui, ils m’ont fait reprendre conscience en m’électrocutant », a-t-il rapporté. Cependant, ses interrogateurs ont été incapables de lui soutirer les informations dont ils avaient besoin et l’ont relâché après vingt jours.

Son deuxième passage en captivité a débuté le 20 juillet au cœur de l’étouffante chaleur estivale de l’Irak et a duré jusqu’à ce raid.

La prison de fortune dans laquelle il a passé trois longs mois était autrefois la maison d’un juge local qui a fui à Kirkouk lorsque le groupe EI a pris Hawija. Les membres de l’EI l’appellent « Q8 » à la radio, a déclaré Mustafa.

Environ 35 hommes étaient entassés dans une minuscule chambre avec une ventilation limitée, tandis qu’on pouvait entendre d’autres prisonniers dans les pièces voisines.

Selon Mustafa les prisonniers étaient en majorité des policiers et des soldats qui avaient été arrêtés pour avoir fourni des renseignements aux autorités de Bagdad, aux Kurdes ou aux Unités de mobilisation populaire. Quelques autres étaient des membres indisciplinés de Daech qui n’avaient pas respecté les règles du groupe.

Des aveux

Au cours des trois mois suivants, Mustafa a été soumis à huit interrogatoires, de deux à trois heures chaque fois.

Dix jours avant le raid américano-kurde, les hommes qui le détenaient ont menacé d’arrêter ses enfants et ses neveux et de les tuer – Mustafa a craqué, a avoué et a été condamné à mort.

« Ils allaient me tuer de toute façon, alors je voulais protéger les enfants », se souvient-il.

Au cours de sa captivité, des hommes ont souvent été emmenés et jamais revus. Toutefois, bien qu’on ne sache pas avec certitude si certains d’entre eux ont été tués ou libérés, Mustafa est convaincu qu’au moins quatre d’entre eux ont été tués et enterrés dans une fosse commune.

« Nous avons entendu creuser derrière la pièce où je me trouvais. Je pensais qu’ils réparaient quelque chose », explique Mustafa.

Le lendemain matin, les hommes ont été emmenés. Peu après, des coups de feu ont résonné dans l’air. « Nous avons découvert plus tard qu’ils avaient été tués et enterrés dans le trou », a-t-il dit.

Comme Mustafa, Tarek* (31 ans) a également été emprisonné pour avoir transmis des informations à l’ennemi de l’EI ; dans son cas, il s’agissait du gouvernement irakien.

Avant d’être accusé d’espionner Daech, Tarek avait été jeté en prison cinq fois suite à un conflit personnel avec un homme de la région dont le cousin avait rejoint les rangs du groupe EI.

Selon Tarek, l’État islamique a été en mesure de contrôler Hawija en raison du fort soutien de ses habitants.

« Au début, ils nous ont demandé de leur donner nos armes. Quand ils ont su que nous n’avions pas d’armes, leur comportement a changé – ils sont devenus durs », a-t-il dit.

Échapper à l’EI

Tarek a été détenu dans la même pièce que Malek* (36 ans) qui avait été pris en train de fuir le territoire de l’État islamique.

Un nombre croissant d’habitants ont récemment quitté des zones contrôlées par le groupe EI pour gagner la région kurde et souvent l’Europe, à la recherche de sécurité et de stabilité financière.

En raison de l’exode de masse en cours vers l’Europe, Daech a resserré son étau sur la population, dont les impôts contribuent largement aux ressources du groupe.

« Ils m’ont arrêté avant que je puisse quitter mon domicile », a déclaré Malek, qui avait déjà été arrêté à deux reprises, accusé d’avoir critiqué l’EI.

« Ils nous apportaient à déjeuner, emmenaient l’un d’entre nous dehors et commençaient à le torturer – on entendait ses cris et on perdait l’appétit », explique Malek, qui est resté enfermé pendant un mois avant d’être libéré pendant le raid.

Le chef de la prison, un homme de Diyala au langage dur, a-t-il raconté, tourmentait parfois les hommes en leur disant de s’attendre à des coups violents les jours où un bon repas leur était servi.

« Si nous demandions du paracétamol, ils nous offraient une balle », a rapporté Malek, dont le sourire espiègle a rarement quitté son visage tandis qu’il se rappelait les horreurs de la captivité aux mains du groupe EI.

Les trois hommes ont dû laisser leurs familles derrière eux, incapables de les contacter par crainte de mettre leur vie en danger. Les responsables kurdes de la sécurité procèdent toujours au débriefing des prisonniers, mais ont déclaré à MEE qu’une fois celui-ci terminé, ces hommes étaient invités à rester au Kurdistan – et ne seraient pas obligés de retourner à Hawija ou remis au gouvernement irakien.

Mustafa, dont les deux épouses, les 10 enfants et la veuve de son frère sont encore à Hawija, espère reprendre son travail de policier à Kirkouk, désireux de servir son pays.

Il avait parfois envisagé faire quitter le territoire du groupe EI à sa grande famille, mais les 375 € par personne se sont avérés trop coûteux, ne lui laissant pas d’autre choix que de continuer à survivre sous le règne d’Abou Bakr al-Baghdadi.

Un coup de chance lui a permis d’échapper à une exécution, mais Mustafa a dû en contrepartie renoncer à voir ses proches – sans certitude de les revoir un jour.
 

* Tous les noms ont été changés pour assurer la sécurité des sources et de leurs familles.

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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