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Le plus grand cimetière du monde reçoit « 100 cadavres par jour » à cause des combats en Irak

Middle East Eye a rencontré un fossoyeur du cimetière de Wadi-us-Salaam, où l’on transporte les corps des chiites morts au combat à Falloujah et dans le reste de l’Irak
Le cimetière de Wadi-us-Salaam (la vallée de la Paix) à Nadjaf (Wikicommons)

NADJAF, Irak - Les pierres tombales, les portraits et les sépultures chiites s’étirent à perte de vue dans la chaleur étouffante de l’été. Nous sommes à Wadi-us-Salaam, le plus grand cimetière du monde, dans la province irakienne de Nadjaf.

Tandis que le nombre des victimes ne fait qu’augmenter suite aux combats pour reprendre la ville de Falloujah, située à 200 km au sud et bastion de l’État Islamique (EI), le fossoyeur Hamid Al-Wad raconte que les nombreux morts en provenance du champ de bataille lui donnent un surcroît de travail.

« Je vois arriver 13 ou 14 cadavres supplémentaires par jour dans mon secteur, mais l’ensemble du cimetière reçoit plus de 100 combattants par jour », a déclaré Hamid Al-Wad à Middle East Eye.

Il fait partie du groupe de fossoyeurs du cimetière, fondé il y a 1 400 ans et supposé abriter les restes d’environ cinq millions de personnes sur une surface de six kilomètres carrés.

Les combats entre l’EI et l’armée irakienne et ses alliés ont entraîné une hausse de la mortalité dans le pays.

Le cimetière de Wadi-us-Salaam à Nadjaf Al-Salam (MEE/Alex MacDonald)

Hamid Al-Wad a précisé que les corps des combattants récemment tués ne venaient pas seulement de Falloujah, mais aussi de « Saklawiyah, Jourf al-Sakhr et Ramadi ».

Le gouvernement irakien ne publie pas les chiffres des victimes des combats, mais un membre des forces de sécurité posté à l’extérieur du cimetière a confié à MEE que plus de 70 « martyrs » de l’opération de Falloujah avaient déjà été enterrés avant le 1er juin.

Joel Wing, rédacteur du blog Musings on Iraq (Réflexions sur l’Irak) affirme que le gouvernement a pour politique officielle de ne pas communiquer ces chiffres pour « maintenir le moral ».

Les combats ont fait rage autour de Falloujah depuis que l’armée irakienne alliée aux unités de mobilisation populaire (UMP) et à la coalition anti-EI menée par les États-Unis a pris la ville d’assaut il y a deux semaines, et le nombre de morts n’a fait qu’augmenter.

En visitant l’un des mausolées dispersés à travers l’Irak, on tombe souvent sur une foule en deuil pleurant un nouveau « martyr ». Drapés dans le drapeau irakien, les hommes prient pour le défunt à quelques mètres à peine des tombes des vénérables héros de la tradition chiite, notamment Ali, Hussein et Abbas.

Dans le mausolée de l’imam Ali, sa famille et ses amis entourent le cercueil d’un soldat ou d’un volontaire tombé au combat (MEE/Alex MacDonald)

L’immense champ de pierres tombales, de sépultures et de portraits de Wadi-us-Salaam témoigne des sacrifices faits par les chiites irakiens pour protéger leur pays et leurs croyances religieuses, menacées par le fondamentalisme sunnite intolérant de l’EI.

Comme le cimetière se trouve à proximité du mausolée de l’imam Ali, le gendre du prophète Mohammed et le deuxième personnage le plus vénéré de l’islam chiite, de nombreuses personnes veulent y être enterrées.

Parmi les tombes les plus visitées figure celle du grand ayatollah Mohammed Mohammed Sadeq Al-Sadr, tué dans une embuscade en 1999, dont le fils, Moqtada Al-Sadr, s’est emparé du mausolée de l’imam Ali en 2004, au mépris des autorités d’occupation américaines.

Malgré la vaste superficie du cimetière, certains signes indiquent que les parcelles commencent à se raréfier – en particulier dans les endroits les plus convoités, situés non loin du mausolée de l’imam Ali.

Le prix des parcelles dans le cimetière est passé d’environ 1 350 euros pour 500 m2 en 1991 à plus de 9 000 euros.

Une sépulture présente le défunt associé à une image populaire de l’imam Hussein (MEE/Alex MacDonald)

Bien que le gouvernement irakien s’applique à représenter la lutte contre l’EI comme un combat contre l’intolérance religieuse – et qu’il insiste sur le caractère multiconfessionnel de l’armée et des milices – pour de nombreux combattants, la guerre a un aspect résolument religieux et messianique.

Ahmed Hassan Khaled Salah, un ex-étudiant en biologie maintenant enrôlé dans le bataillon Abbas des UMP, a affirmé à MEE que la défaite de l’EI coïnciderait avec le retour du sauveur chiite que l’on appelle le Mahdi.

« Il suffira d’une année ; nous attendons quelqu’un », a-t-il déclaré. « On l’appelle le Mahdi. Nous l’attendons et quand il viendra, nous nous battrons à ses côtés, si Dieu le veut. »

« Nous défendons notre religion, mais notre priorité reste de défendre notre nation », a-t-il ajouté.

Les noms des différentes milices prêtent clairement au conflit un caractère islamique chiite.

Le bataillon Abbas a été fondé près du mausolée d’Abbas à Kerbala après un appel aux armes du grand ayatollah Ali al-Sistani incitant à la formation d’unités de combat pour lutter contre l’EI. Les Kataeb Hezbollah (Brigades du Parti de Dieu), les brigades Ali Akbar, la brigade Abu al-Fadl al-Abbas, l’armée du Mahdi et autres indiquent les tendances des combattants.

Des hélicoptères américains font feu sur le cimetière en 2004 au cours d’un combat contre les sadristes (Wikicommons)

Le développement de l’identité chiite, qui s’est accéléré après la révolution islamique de 1979 en Iran, a suscité des inquiétudes grandissantes face aux attaques concertées dont ce groupe minoritaire, le plus important de l’islam – il dénombre jusqu’à 13 % des musulmans du monde entier – ferait l’objet de la part de la majorité sunnite dans la région.

 « La vérité est toujours prise pour cible », a constaté Ahmed Hassan, l’ex-étudiant en biologie. « Personne ne veut que la vérité triomphe. »

Les millions de corps qui reposent à Wadi-us-Salaam attestent de la ferveur avec laquelle les chiites adhèrent à leur foi, et de leur désir d’être enterrés près de leurs ancêtres religieux.

Son expansion continue rappelle aussi la mémoire des centaines de milliers de personnes qui ont été tuées depuis 2003 par les forces d’occupations américaines, les anciens baasistes, au cours de conflits sectaires et lors de la lutte contre l’EI.

Le cimetière ne risque pas de perdre son attrait en tant que lieu de sépulture privilégié pour les chiites, mais nombreux sont ceux qui espèrent que quand la guerre contre l’EI s’achèvera enfin, l’afflux de cadavres ralentira pour la première fois depuis bien des années.

Traduit de l’anglais (original) par Maït Foulkes.

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