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Les chrétiens remettent en question leur avenir en Israël suite aux réductions du financement de leurs écoles

Les écoles paroissiales ont éduqué certains des élèves les plus instruits du pays. Mais cela pourrait justement faire partie du problème, du point de vue d’Israël
Fidèles orthodoxes palestiniens tenant des bougies et priant lors de la messe du dimanche de Pâques, le 12 avril 2015 (AFP)

NAZARETH, Israël – Alors que plusieurs milliers d’écoles arabes d’Israël sont entrées en grève ce lundi et que leurs 450 000 élèves sont restés chez eux, le gouvernement israélien semble s’être préparé à une importante épreuve de force avec sa large minorité palestinienne.

L’élément déclencheur de la grève a été la décision du gouvernement israélien de priver 47 écoles indépendantes, mises en place par les Églises internationales, du financement public qu’elles reçoivent depuis des décennies.

Ces écoles, classées parmi les meilleures du pays, ont été contraintes de fermer pour une durée indéterminée, et leurs 33 000 élèves ne savent pas quand ils retourneront dans leurs salles de classe, ni s’ils le pourront un jour.

Dimanche, des milliers de familles ont afflué des quatre coins d’Israël, depuis des villes telles que Nazareth, Haïfa, Jaffa, Ramla et Jérusalem-Est occupée, où se trouvent ces écoles, afin de protester bruyamment devant les bureaux du Premier ministre Benjamin Netanyahou.

Les écoles ont accumulé des dettes énormes depuis que les autorités responsables de l’éducation ont commencé à réduire leur budget il y a sept ans, passant de 75 % du financement reçu par les écoles publiques à seulement 29 % aujourd’hui. Pour entamer cette année scolaire, il leur faut environ 50 millions de dollars : le gouvernement leur en propose 5 millions.

Les pourparlers menés au cours des 18 derniers mois avec le ministère de l’Éducation n’ont abouti à rien. Comme le montre la grève de solidarité multiconfessionnelle entamée ce lundi, le gouvernement de Netanyahou ne s’en prend pas seulement aux écoles paroissiales et à la faible population chrétienne d’environ 150 000 habitants, mais à l’ensemble des 1,5 million de citoyens palestiniens du pays, musulmans y compris, qui représentent un cinquième de la population.

Israël risque également une confrontation diplomatique avec le Vatican et d’autres Églises internationales.

La semaine dernière, le pape François a soulevé cette question lors d’une visite au Saint-Siège du président israélien Reuven Rivlin. Ce dernier a promis de trouver une solution, même si le gouvernement ne montre aucune volonté de changement.

Les dirigeants chrétiens en Israël ont laissé entendre qu’en guise de représailles, ils pourraient tenter de fermer des lieux saints importants tels que la basilique de l’Annonciation de Nazareth et le mont des Béatitudes, situé à côté de la mer de Galilée. Ils espèrent que cela portera la question à l’attention des pèlerins et des touristes et exacerbera ainsi la pression sur Israël.

De sombres motifs

Les autorités espèrent cependant pouvoir limiter le soutien pour les écoles en avançant un argument en apparence raisonnable : si les écoles paroissiales veulent l’argent du gouvernement, elles doivent rejoindre le système d’enseignement public.

En vérité, toutefois, cette manœuvre n’est pas motivée par des raisons économiques. Des motifs beaucoup plus sombres justifient la répression des écoles paroissiales, constatent les observateurs.

Selon Nadeem Nashif, directeur de Baladna, une organisation basée à Haïfa qui défend les droits des jeunes Palestiniens, l’objectif principal du gouvernement de Netanyahou est de mettre fin à l’autonomie pédagogique de ces écoles.

« Ils veulent renforcer leur contrôle, a-t-il expliqué à Middle East Eye. Même si le gouvernement finit par revenir un peu en arrière sur les réductions de financement, la bataille aura permis d’envoyer un message très clair aux chefs d’établissement : comportez-vous comme de "bons Arabes" ou nous vous ferons fermer. »

Cette manœuvre est liée à des mesures à long terme visant à affaiblir la minorité chrétienne d’Israël et à rendre la classe moyenne palestinienne naissante d’Israël plus dépendante de l’État, un État qui s’est lui-même montré constamment et systématiquement hostile envers sa population non juive.

Les arguments en faveur de la position du gouvernement sur les réductions de financement peuvent être facilement rejetés.

Si la question est simplement de savoir qui paie la facture pour les écoles paroissiales, comme l’insinue le ministère de l’Éducation, alors pourquoi le gouvernement insiste-t-il pour que les écoles ne puissent pas combler le déficit budgétaire en faisant payer davantage les parents ?

Dès lors, les dispositions du ministère de l’Éducation sont d’après les écoles paroissiales un « coup fatal » destiné à rendre impossible leur survie en tant qu’écoles indépendantes.

Un traitement différent

De même, si le fait d’octroyer des subventions publiques à l’enseignement religieux est injuste selon les partisans de la réduction des financements, alors pourquoi le gouvernement finance-t-il massivement les écoles religieuses de la communauté juive ultra-orthodoxe ? En effet, la totalité du budget des écoles ultra-orthodoxes est financée par des fonds publics.

D’autres contrastes sont saisissants : contrairement aux écoles paroissiales, qui enseignent le programme national, les écoles juives ultra-orthodoxes enfreignent la loi en n’enseignant pas des matières de base telles que l’anglais et les mathématiques. Loin du bilan impressionnant des écoles paroissiales, les écoles ultra-orthodoxes sont presque toutes en échec sur le plan scolaire.

De plus, contrairement aux écoles ultra-orthodoxes, qui enseignent seulement aux juifs pratiquants, les écoles chrétiennes sont ouvertes à tous les segments de la minorité palestinienne. Près de la moitié des élèves sont musulmans.

C’est pourquoi des groupes a priori inattendus ont exprimé leur soutien pour ces écoles chrétiennes. Ainsi, Masoud Ghanaim, leader de la branche sud du Mouvement islamique, les a décrites comme faisant partie « des meilleures de la société arabe », ajoutant : « leur lutte est donc notre lutte ».

Dans son argumentation, le gouvernement israélien ne prend pas non plus en compte le fait que l’enseignement en Israël est basé sur une ségrégation stricte. Il existe une séparation nette entre les élèves juifs et arabes, et entre les juifs religieux et laïcs.

En 1954, dans la célèbre affaire de droits civils connue sous le nom de Brown v. Board of Education of Topeka, la Cour suprême américaine avait statué que l’instauration d’écoles séparées pour les Noirs et les Blancs était « intrinsèquement inégale ».

En revanche depuis sa création, Israël enfonce le clou de la ségrégation. Et comme l’avaient averti les juges américains, le résultat a été une discrimination flagrante à tous les niveaux du système d’enseignement entre la majorité juive et la minorité palestinienne.

Un déficit de 6 000 salles de classe

Des études montrent que les élèves juifs reçoivent en moyenne plus de cinq fois le financement des élèves arabes (1 100 dollars par élève contre 192 dollars par élève). Le système arabe observe un déficit de plus de 6 000 salles de classe et 4 000 enseignants. Les écoles juives ont deux fois plus d’ordinateurs que les écoles arabes au prorata de leur population étudiante.

Fait encore plus préjudiciable, comme le souligne Nadeem Nashif, les écoles publiques arabes n’ont aucun contrôle sur leur programme, qui est fixé par les responsables juifs, tandis que la police secrète d’Israël, le Shin Bet, approuve les affectations de personnel et surveille les écoles, créant ainsi une atmosphère oppressante.

Les écoles paroissiales indépendantes offrent la seule porte de sortie viable, du moins pour les familles palestiniennes d’Israël qui peuvent se le permettre.

Les taux d’inscription en études supérieures des élèves issus de ces écoles témoignent de leur réussite. Beaucoup de leaders palestiniens ainsi qu’un tiers des diplômés universitaires et la plupart des ingénieurs en haute-technologie issus de la minorité palestinienne ont été formés dans des écoles paroissiales.

Ayman Odeh, qui est à la tête de la Liste commune, parti de la minorité, au parlement israélien, et qui est lui-même diplômé d’une école paroissiale, a observé ce week-end qu’« il est impossible de parler de développement et d’égalité des chances en portant en même temps atteinte aux écoles qui permettent de briser le plafond de verre ».

Les écoles paroissiales et les parents qui y envoient leurs enfants subventionnent le budget de l’enseignement national. À un prix réduit pour l’État, les écoles paroissiales ont éduqué certains des élèves les plus instruits du pays.

Mais cela pourrait justement faire partie du problème, du point de vue d’Israël.

Une peur de la classe moyenne

Pendant la guerre de 1948 qui a entraîné la création de l’État d’Israël, les milices juives ont vidé les villes palestiniennes de la plupart de leurs habitants palestiniens, mis à part dans la ville sainte de Nazareth, lieu sensible qui a été laissé relativement intact.

Le premier Premier ministre israélien, David Ben Gourion, a compris que les villes palestiniennes abritaient la classe moyenne palestinienne et les centres de la vie intellectuelle et de l’activisme politique palestiniens.

Si Israël avait dû faire face à une résistance palestinienne organisée, celle-ci aurait émergé de ces villes, ce qui explique pourquoi Ben Gourion a fait en sorte que ces foyers intellectuels soient éradiqués. Des systèmes stricts de contrôle et de discrimination massive ont permis de conserver une minorité faible et divisée.

Pendant de nombreuses décennies, la société palestinienne s’est reconstruite lentement. Au cours des dernières années, une classe moyenne a commencé à réapparaître dans ces villes, en particulier à Nazareth, avec l’aide considérable des écoles paroissiales.

Comme Ben Gourion le craignait, les plus instruits se sont souvent avérés être les meilleurs détracteurs d’Israël, les plus organisés pour exiger leurs droits, et les meilleurs orateurs, capables d’atteindre des auditoires étrangers comme les groupes de solidarité chrétiens et le mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS).

Ce n’est peut-être pas une coïncidence si la figure politique actuellement la plus vilipendée par le public juif israélien pour ses positions nationalistes soit Haneen Zoabi, membre musulmane de la Knesset diplômée d’une école paroissiale de Nazareth.

Poussés à partir

En forçant les écoles paroissiales à fermer ou à passer sous le contrôle de l’État, Israël retirerait la clé de voûte de la classe moyenne palestinienne naissante, particulièrement la population chrétienne urbaine.

La prochaine génération des élites palestiniennes, notamment les chrétiens, serait beaucoup plus dépendante de l’État que les générations précédentes et probablement beaucoup plus prudente quant à son activisme politique, note Nadeem Nashif, de Baladna.

Les observateurs tels que Nashif estiment que cette manœuvre est à mettre en relation avec une autre initiative récente du gouvernement, clairement destinée à créer des divisions dans la minorité palestinienne : les jeunes chrétiens d’Israël sont poussés à servir dans l’armée, mais pas les jeunes musulmans.

On craint que les chrétiens palestiniens ne se voient lentement indiquer leur avenir, un avenir dans lequel ils seraient une minorité acculée et vulnérable, montée contre ses voisins musulmans, et dépendante d’un État exigeant leur obéissance tout en continuant à privilégier les juifs.

Les classes moyennes chrétiennes sont placées face à un choix extrêmement pénible : soit prouver leur loyauté envers le projet sioniste, soit être assurées de voir leur vie en Israël devenir beaucoup plus difficile.

La semaine dernière, lors d’une manifestation à Nazareth, un évêque catholique romain de premier plan, Giacinto-Boulos Marcuzzo, a averti que « si les écoles chrétiennes sont menacées, c’est la présence chrétienne même en Israël qui est menacée à long terme. »

Points d’ancrage pour la population chrétienne, les écoles paroissiales ont contribué à défendre ses traditions religieuses par l’enseignement, à lui apporter une identité distincte de l’identité aliénante promue par l’État, et à lui offrir des occasions de prospérer économiquement.

Tout cela est aujourd’hui compromis.

Les grèves comme celle de ce lundi et la pression du Vatican pourraient finalement forcer le gouvernement à céder partiellement. Mais beaucoup de chrétiens d’Israël commencent à soupçonner le gouvernement de leur avoir déclaré une guerre de faible intensité.

Dans les pays voisins, leurs coreligionnaires fuient la région car ils sont confrontés à des guerres civiles et à des menaces de persécution. En Israël, les mauvais traitements infligés aux chrétiens sont peut-être plus bureaucratiques que physiques ; toutefois, comme l’avertit Marcuzzo, leurs effets sont susceptibles de s’avérer tout aussi concrets à long terme.

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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