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Les drones de l’État islamique frappent de terreur les zones « sûres » de Mossoul

Les rues de l’est de Mossoul sont libérées, mais le ciel reste mortel : l’État islamique a intensifié son utilisation d’EEI largués par des drones, plongeant les civils dans la peur
Des soldats de la division Or irakienne tirent en l’air en direction d’un drone de l’État islamique, à Mossoul (AFP)

MOSSOUL, Irak – Assis dans sa maison dans une zone libérée de l’est de Mossoul, Mohammed a pourtant encore peur d’aller dans la rue. L’État islamique est peut-être parti, mais sa capacité à infliger de la douleur et de la terreur demeure très réelle.

Une nouvelle menace pèse sur ceux qui ont survécu à deux ans et demi de règne brutal : les drones toujours plus sophistiqués envoyés depuis le bastion du groupe situé dans l’ouest de la ville, qui tuent et mutilent aveuglément.

« Les drones viennent tous les jours maintenant, certains jours toutes les deux à trois heures », explique le jeune homme de 19 ans à Middle East Eye.

« Nous vivons dans la terreur constante et avons peur de quitter notre maison »

– Mohammed, habitant de l’est de Mossoul

« Hier, l’épouse de mon voisin débarrassait son garage quand une grenade est tombée d’un drone de l’État islamique. Elle a reçu de nombreux éclats d’obus dans les jambes et les médecins disent qu’ils pourraient devoir l’amputer. »

Dès le début de l’offensive de l’armée irakienne pour libérer la ville, l’État islamique a déployé des drones basiques – des caméras attachées à des aéronefs télécommandés – pour identifier les positions de l’armée.

Mais à mesure que le conflit a progressé, les militants ont affiné leurs techniques pour armer des drones avec des obus de mortier, des grenades et des EEI – et les utilisent maintenant comme principale arme de guerre.

Mohammed a expliqué que ces attaques aériennes incessantes avaient plongé les habitants de l’est de Mossoul dans un état de peur semblable à celui qu’ils avaient enduré pendant deux ans et demi sous le règne de l’État islamique.

« Nous vivons dans la terreur constante et avons peur de quitter notre maison. Aujourd’hui, nous sortons uniquement pour les choses essentielles, comme aller chercher de la nourriture ou des médicaments », a-t-il expliqué.

« On ne peut pas quitter sa maison sans vérifier le ciel chaque seconde et, même si l’on entend un des drones, on n’a pas le temps de fuir parce qu’ils sont si rapides. »

Des soldats irakiens avec des drones et des pièces brisées retrouvés dans l’est de Mossoul (MEE/Tom Westcott)

Blessés par des éclats d’obus

Le nombre d’attentats-suicides a chuté dans l’est après que l’État islamique s’est retiré vers l’ouest, sur l’autre rive du Tigre, car ces opérations sont devenues plus difficiles à exécuter. Mais les drones ont pris leur place et leur portée devient de plus en plus longue.

« Nous recevons chaque jour au moins dix patients blessés par ces attaques de drones », a affirmé Thaaer Sultan, chirurgien généraliste à l’hôpital al-Zahra.

« Les techniques de Daech ne sont pas très avancées et ces drones ne transportent que de petites bombes, donc la plupart des blessures ne sont pas fatales, mais elles peuvent être graves. »

Les blessures les plus fréquentes sont des blessures multiples causées par des éclats d’obus aux membres inférieurs, puisque les EEI largués par des drones explosent en s’écrasant au sol.

Les victimes causées par ces opérations ont mis encore plus de pression sur les installations médicales de fortune déjà accablées de la ville, rassemblées après que la plupart des hôpitaux de Mossoul ont été détruits par l’État islamique ou gravement endommagés par les combats.

Au cours des quinze derniers jours seulement, les médecins ont traité des centaines de civils blessés par des EEI largués par des drones, des attentats-suicides perpétrés par des militants voyous de l’État islamique cachés dans l’est de Mossoul et des obus de mortier qui tombent dans des zones situées sur la rive orientale du Tigre.

« La plupart des blessés viennent de quartiers proches du fleuve étant donné que les drones télécommandés sont lancés depuis la rive ouest et ne peuvent pas voler sur de longues distances et que les tirs de mortier ont une portée limitée », a indiqué Sultan.

« Mais hier, des drones ont atteint notre quartier, qui est éloigné du fleuve. Après cela et après un attentat-suicide survenu la semaine dernière, nous commençons à avoir l’impression qu’aucun endroit de l’est de Mossoul n’est sûr. C’est encore une zone de guerre. »

Les drones volent tellement haut qu’ils sont difficiles à repérer.

« Nous commençons à avoir l’impression qu’aucun endroit de l’est de Mossoul n’est sûr. C’est encore une zone de guerre »

– Thaaer Sultan, chirurgien généraliste

Près des positions de l’armée irakienne, le premier avertissement est généralement une volée de coups de feu qui survient lorsque les soldats tentent d’abattre le petit aéronef. Dans les quartiers résidentiels, le bourdonnement sinistre d’un moteur de drone – souvent inaudible par-dessus le son des générateurs qui sont encore la seule source d’électricité pour la plupart des habitations – est habituellement rapidement suivi d’une explosion.

Si l’armée irakienne a abattu et saisi de nombreux drones, les soldats affirment toutefois que l’État islamique semble bénéficier d’un approvisionnement incessant de nouveaux aéronefs.

Le manque de puissance aérienne de l’État islamique s’est avéré être un vide important dans la défense des territoires de son « califat » autoproclamé. Pendant le conflit de Mossoul, le groupe a affiné sans cesse sa dernière tactique en date consistant à armer des drones disponibles sur le commerce et transformer ces derniers en une arme aérienne efficace.

Fin janvier, l’État islamique a diffusé une vidéo dans laquelle des militants déployaient un drone à voilure fixe sur l’autre rive du Tigre, son train d’atterrissage étant armé d’une paire de fines bombes, attaché avec du ruban adhésif électrique et muni d’ailerons en plastique.

Omar, officier de la division Or de l’armée irakienne, a expliqué que les EEI largués par des drones étaient habituellement placés dans des récipients ménagers ordinaires en plastique, comme des bouteilles de liquide vaisselle.

« Ils coupent les extrémités puis fixent à l’intérieur avec du ciment ou de la colle de petits obus de mortier ou des balles de grand calibre remplies de TNT et de morceaux de métal qui servent d’éclats d’obus, a-t-il expliqué. Ce sont essentiellement des grenades larguées depuis les airs qui explosent à l’impact. »

Tube d’étanchéité modifié par l’État islamique pour porter un EEI (MEE/Tom Westcott)

Dans les décombres entourant un bâtiment bombardé autrefois occupé par des snipers de l’État islamique gît un tube d’étanchéité bricolé, vide et soigneusement éventré, tapissé de ciment – les restes d’un appareil qui avait mal visé une position proche de la division Or.

« Celui-ci était petit », a affirmé Omar, adressant au dispositif un coup de pied empli de dégoût.

Certains drones à voilure fixe sont équipés de gobelets en plastique sur le dessus de leur fuselage dans lesquels les EEI sont insérés, d’après Mohammed.

« Quand ils voient un groupe de personnes, ils renversent le drone à l’aide de la télécommande et les bombes tombent au sol », a-t-il expliqué.

Dans la vidéo de l’État islamique, des séquences aériennes montées montrent des groupes de véhicules militaires et des soldats sélectionnés comme cibles, le tracé des bombes qui chutent et l’impact des explosions qui suivent, avant la chute de militaires et l’envoi d’autres soldats qui courent pour les couvrir.

Un expert militaire qui a regardé la vidéo a indiqué à MEE que même si la technologie des drones armés était relativement rudimentaire, les résultats étaient « étonnamment précis et efficaces ». Il a ajouté que depuis des décennies, de nombreuses armes avaient été conçues pour mutiler plutôt que pour tuer, comme cela retenait les médecins et des camarades qui devaient alors aider les blessés.

Même si les images vidéo de l’État islamique présentaient en réalité un nouveau drone à voilure fixe, de nombreux exemplaires abattus à Mossoul et autour étaient encore plus usés, attachés avec du ruban adhésif en fibre de verre pour les renforcer contre les atterrissages en catastrophe répétés.

L’État islamique semble également s’éloigner des modèles à voilure fixe, dont une cachette a été découverte dans un atelier de drones de Mossoul, remplie de composants en plastique et en polystyrène à monter.

Drones en plastique fréquemment déployés par l’État islamique dans les premières phases de la bataille de Mossoul (MEE/Tom Westcott)

Cela représentait une progression par rapport aux premières tentatives apparemment abandonnées de l’État islamique, qui façonnaient leurs propres drones à partir de rien dans d’autres régions d’Irak. Omar a expliqué que l’État islamique favorisait maintenant les « drones quadricoptères » propulsés par des rotors pour ses EEI.

« Lorsqu’ils identifient une cible, ils font pivoter la caméra sur le dessous, qui se décentre, et cette action permet de toucher et de libérer l’EEI, a-t-il précisé. Les résultats ne sont pas exacts, mais ils sont de plus en plus précis. »

Certaines unités de la division Or ont désormais commencé à acquérir leurs propres drones quadricoptères pour soutenir leurs efforts de surveillance.

Daech dans le ciel

L’État islamique a également déployé des drones sur les lignes de front au-delà de Mossoul. À la périphérie de Kirkouk, à 170 km au sud-est de Mossoul, le commandant militaire des peshmergas Kermal Kirkuki, a fièrement montré un drone Talon X-UAV flambant neuf, fabriqué par la firme chinoise Hooah Aviation, qui trône maintenant dans un coin de son bureau.

L’aéronef non armé, équipé de deux caméras dont une GoPro HERO4, a été saisi l’année dernière par ses forces près de la ligne de front de Kirkouk.

« Nous avons fait des recherches sur ce drone et découvert qu’il a été fabriqué en Chine mais acheté en Europe, a-t-il expliqué. Son pilote, que nous avons tué plus tard, était un citoyen britannique. »

À l’ouest de Mossoul, pendant la bataille pour l’aéroport de Tall Afar menée par les Unités de mobilisation populaire irakiennes, trois drones armés ont également été abattus en deux jours.

Les commandants affirment que l’État islamique continue de déployer inlassablement des drones armés sur la ligne de front la plus à l’ouest des UMP, où les forces combattent pour fermer la dernière voie d’évacuation et d’approvisionnement restante de l’État islamique entre l’Irak et la Syrie.

Soldat irakien avec un hélicoptère utilisé par l’État islamique à Mossoul (MEE/Tom Westcott)

Le rythme auquel l’État islamique a développé et affiné des techniques pour le déploiement d’EEI largués par des drones a même incité l’opération Inherent Resolve – la coalition dirigée par les États-Unis qui soutient la bataille de l’Irak contre l’État islamique – à modifier son discours.

En novembre dernier, un porte-parole a écarté la question des drones de l’État islamique, qui n’avaient « aucune importance stratégique ».

Pourtant, le 15 février, lors d’une séance d’information, le commandant adjoint de l’opération, le major-général Rupert Jones, a reconnu qu’ils devenaient « une menace de plus en plus insidieuse en Irak ».

« Le fait le plus préoccupant est qu’ils sont de plus en plus utilisés pour larguer des grenades et d’autres munitions explosives sur les civils innocents dans l’est de Mossoul et ailleurs. »

Jones a insisté sur le fait que les armes larguées par les drones « [ne changeaient pas] la donne » et que les forces de la coalition disposaient de défenses techniques contre ces dernières.

Cependant, tant que ces défenses ne sont pas déployées plus largement, les unités de l’armée irakienne continuent d’essayer d’abattre les drones de l’État islamique avec des fusils et des mitrailleuses, tandis que les habitants de l’est de Mossoul scrutent toujours le ciel avec terreur.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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