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Négociations de paix pour le Yémen : les décideurs sont-ils en Suisse ?

Les négociations de paix menées sous l’égide de l’ONU ont réuni les parties au conflit yéménite pour la première fois, mais peu de progrès substantiels ont été réalisés en Suisse
Des membres non identifiés d’une délégation à l’ouverture des négociations de paix pour le Yémen, le 15 décembre (AFP)

Bienne, Suisse – Le troisième jour des négociations de paix pour le Yémen s’est achevé jeudi sur la crainte que celles-ci soient au bord de l’effondrement après deux séances intenses au cours desquelles des divergences marquées sont apparues entre les camps concernant la demande du gouvernement Hadi de libération de hauts fonctionnaires détenus par les Houthis.

La libération des prisonniers avait été l’un des trois points de « mise en confiance » stipulés dans l’ordre du jour pré-négociations, et convenus par toutes les parties avant l’arrivée des délégations en Suisse. Cependant, les Houthis ont refusé de discuter de la moindre libération à moins que ne soit officiellement annoncé un terme à la campagne de bombardement menée par l’Arabie saoudite. Ils étaient fort insatisfaits que seul un cessez-le-feu temporaire ait été proposé cette semaine en dépit de promesses, dans la période qui a précédé les négociations, d’un cessez-le-feu permanent.

Les Houthis ont écarté plusieurs tentatives d’Ismaïl Ould Cheikh Ahmed, l’envoyé spécial de l’ONU, visant à résoudre l’impasse. Sa proposition d’une libération progressive (quelques prisonniers libérés immédiatement et d’autres libérés lorsque les Saoudiens auront accepté un arrêt complet de leur campagne) a été fermement rejetée par les Houthis.

Parmi les prisonniers dont le gouvernement yéménite veut absolument la libération figurent Mahmoud al-Subaihi, le ministre de la Défense, le général d’armée Faisal Rajab, et Nasr Mansour Hadi, le frère du président, qui était responsable des opérations de renseignement dans les provinces d’Aden, Lahej et Abyan.

Depuis leur capture la semaine dernière, les prisonniers ont été utilisés comme un important outil de négociation par les Houthis. À Bienne, Ahmed al-Moayad, un membre du mouvement Ansar Allah (nom officiel du mouvement politique houthi), a fait valoir à MEE : « Les Houthis ont des atouts. Ils ne vont pas les gaspiller et se priver de leurs moyens de négociation. Ils veulent une annonce officielle de la fin de l’intervention étrangère au Yémen. »

Après une journée agitée, les belligérants ont finalement accepté au dernier instant de surmonter leurs différences fondamentales sur la question des prisonniers et de poursuivre avec les deux points suivants de l’ordre du jour. Quelques instants plus tard, un accord formel a été conclu pour permettre « la reprise intégrale et immédiate » de l’aide humanitaire à Ta’izz, une ville yéménite dévastée par des mois de combats acharnés entre les belligérants.

Cependant, peu de temps après la conclusion de cet accord, un membre de la délégation de Saleh a contacté Middle East Eye et déclaré : « L’accord qui a été annoncé par les Nations unies est trompeur. Au nom du CGP [Congrès général du peuple] et d’Ansar Allah, veuillez rapporter que nous ne l’avons pas approuvé. »

L’espoir qui avait été suscité quelques instants auparavant a été rapidement anéanti. Il est évident que l’envoyé spécial de l’ONU, Ismaïl Ould Cheikh Ahmed, aura du mal à assurer des progrès avec les deux côtés et il est difficile de savoir si les discussions tiendront encore un jour.

Effondrement du cessez-le-feu ?

Sur le terrain au Yémen, le cessez-le-feu d’une semaine reste précaire, chaque camp accusant l’autre de violer ses termes. Cette trêve, qui a débuté mardi midi, devait durer sept jours, afin de coïncider avec les négociations de paix et de fournir un environnement calme et propice au débat.

Cependant, quelques heures plus tard, le général de brigade Ahmed al-Assiri, membre de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite a accusé les Houthis d’avoir rompu à plusieurs reprises le cessez-le-feu, annonçant que ses forces avaient réagi. S’exprimant sur BBC Arabic mercredi, al-Assiri a déclaré : « On dénombre environ 150 violations [houthies] et cela ne démontre pas d’honnêtes intentions. »

Il a exhorté l’ONU à accroître la pression sur les Houthis pour ce que ceux-ci respectent le cessez-le-feu. Sinon, a-t-il averti, la « trêve pourrait s’effondrer à tout moment ». Alors que les accusations mutuelles ne semblent pas avoir sensiblement compromis l’avancée des négociations jusqu’à présent, cela pourrait changer si ces atteintes deviennent plus fréquentes. Face à MEE mercredi, des délégués gouvernementaux yéménite ont prévenu que « l’Arabie saoudite ne tolérerait pas d’attaques sur sa frontière de la part du Yémen ».

Mercredi, un résultat notable des négociations fut la formation d’un comité militaire pour surveiller toute violation du cessez-le-feu. Celui-ci sera composé de deux responsables militaires de chaque délégation et sera dirigé par le commandant libanais Saleem Raad, qui avait déjà été déployé par l’ONU en Libye.

Selon l’envoyé de l’ONU, les prochains jours de négociations aborderont un éventail d’objectifs importants. Ceux-ci comprennent l’introduction d’un cessez-le-feu durable à l’échelle nationale ; la libération des prisonniers et des détenus ; le retrait mutuel des forces ; l’introduction de mesures de sécurité provisoires ; le retour organisé des armes lourdes sous contrôle de l’État yéménite ; la restauration des institutions publiques et de leurs fonctions sous le contrôle de l’État ; en plus de la reprise d’un dialogue politique national inclusif.

Les négociations ont lieu alors que la situation humanitaire devient critique au Yémen. Plus de 80 % des Yéménites – environ 21 millions de personnes – ont besoin d’une forme d’aide humanitaire. Près de 6 000 personnes, dont la moitié de civils, ont été tuées dans le conflit à travers le pays, tandis que des millions d’autres ont été déplacées.

En dehors du Yémen et des négociations suisses, l’Arabie saoudite est face à une pression croissante, tant intérieure qu’extérieure au Yémen, pour résoudre ce conflit par des négociations diplomatiques. La publication de récents rapports de Human Rights Watch, alléguant que la coalition aurait commis des crimes de guerre à l’aide d’armes fournies par le Royaume-Uni et les États-Unis, a particulièrement accru la pression exercée par ces deux gouvernements pour mettre fin au conflit, après des mois d’impasse sur le terrain.

Et bien qu’il y ait eu bien peu de raisons d’être positif dans les négociations suisses, le fait même que les factions belligérantes au Yémen soient assises autour de la même table est un signe de progrès. Une fois que le cycle actuel de négociations sera achevé, le 21 janvier, Ismaïl Ould Cheikh Ahmed devra présenter son rapport au Conseil de sécurité de l’ONU le lendemain à New York. À ce titre, le cycle actuel est considéré par les organisateurs comme l’opportunité de créer un socle solide sur lequel pourront s’appuyer d’autres cycles de négociations au cours des prochaines semaines.

Toutefois, une question cruciale subsiste tandis que les jours passent en Suisse : les délégués ici à Bienne sont-ils les véritables décideurs ? Plusieurs personnes au fait des négociations ont dit à maintes reprises à Middle East Eye que les représentants des deux côtés devaient continuellement consulter leurs « mécènes ». Dans cette optique, il faut se demander si les négociations ne seraient pas plus efficaces si les Saoudiens et les Iraniens étaient assis à chaque extrémité de la table.

 

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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