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Pour les Libyens qui ont fui en Tunisie, l’exil est une « déchirure »

Près de 300 000 Libyens vivent en Tunisie. Un documentaire raconte leurs difficiles conditions de vie et les stéréotypes dont ils sont l’objet
Les Tunisiens disent souvent que c'est à cause des réfugiés libyens que les prix des loyers et de l'alimentation ont augmenté (Erige Sehiri/image extraite de La Déchirure)

TUNIS – La Déchirure. C'est le titre du documentaire, présenté ce jeudi 15 février au théâtre l'Étoile du nord, à Tunis, pour raconter la vie des Libyens exilés en Tunisie. La Déchirure, c'est ce qu'ont vécu ces personnes en quittant leur pays dans la tourmente, et parfois même leur famille. Réalisé par Erige Sehiri et produit par le média tunisien en ligne Inkyfada, ce film de 26 minutes retrace les difficultés auxquelles doivent faire face les Libyens.

« L'idée a émergé il y a deux ans, mais nous nous sommes vraiment décidés il y a un an », confie Erige Sehiri à Middle East Eye. La jeune femme veut d’abord dénoncer les stéréotypes.

« Les Tunisiens voient la Libye, malgré les guerres, comme un pays de pétrodollars. Et ils disent souvent que c'est à cause des Libyens que les prix des loyers et de l'alimentation ont augmenté. »

Les quelque 300 000 Libyens (selon l'Organisation internationale pour les migrations) vivant en Tunisie sont arrivés en différentes vagues. En 2011, après la révolution, ce sont surtout des familles kadhafistes qui se sont installées ici. Beaucoup avaient à l'époque les moyens de s'offrir de beaux appartements et ne regardaient pas forcément les prix.

Aujourd’hui, les salaires des fonctionnaires qui continuaient d'être honorés, même pour les exilés, sont parfois bloqués pendant des mois

En 2014, de nouveaux exilés ont débarqué, fuyant les milices et la violence. Parallèlement, la situation économique en Libye s'est dégradée. Aujourd’hui, les salaires des fonctionnaires qui continuaient d'être honorés, même pour les exilés, sont parfois bloqués pendant des mois. Les familles restées au pays ne sont plus en capacité de soutenir leurs proches. Le dinar libyen a fortement perdu de sa valeur.

Erige Sehiri le montre dans son film en accompagnant un homme qui cherche à changer de la monnaie. Les banques refusent. Il se tourne vers le marché noir où 1 000 dinars libyens (605 euros au marché officiel, 134,6 euros au marché noir du 15 février) s'échangeaient, au moment du tournage, contre 440 dinars tunisiens quand le cours officiel en aurait proposé 1500. 

Passeport confisqué

Ensuite, Erige Sehiri souhaite montrer la souffrance des Libyens de Tunisie. « Les Tunisiens n'ont vraiment aucune idée de la violence que vivent certains Libyens ici », estime la réalisatrice. La Déchirure présente ainsi Ahmed, un ancien soldat d'une vingtaine d'années. Blessé à la tête, il est arrivé en Tunisie en 2011 sans ressources, et a vécu d'une ville à une autre dans le dénuement total. Aujourd'hui, c'est un ami, lui-même au chômage, qui l'accueille et le nourrit.

La Tunisie ne considère pas les Libyens comme des réfugiés

Une femme, mère de sept enfants, raconte, qu’après des soins effectués par une clinique privée tunisienne sur un de ses fils, gravement blessé, elle a reçu une facture de 65 000 dinars (22 012 euros). Elle est parvenue à réunir 53 000 dinars (17 948 euros). L’établissement a accepté de les laisser partir tout en confisquant leurs passeports. Ne pouvant payer le reste, elle est finalement rentrée en Libye, avec son fils, de façon clandestine, abandonnant ses papiers. 

La femme et les enfants de Faraj Alajeeli (militant des droits de l'homme forcé à fuir vers la Grande-Bretagne après un kidnapping fin 2015), qui attendaient les visas permettant de rejoindre leur père et mari, ont vu ceux des enfants refusés. Dans le film, on voit la fille encourager sa mère à partir : « Si tu ne pars pas, ton visa va expirer ». « Une mère doit protéger ses enfants », lui rétorque la maman.

À LIRE : En Tunisie, les Libyens exilés ont le mal du pays

L'un des problèmes principaux rencontrés par les Libyens en Tunisie est l'absence de statut. On voit Erige Sehiri appeler le Haut-Commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR) et le Croissant-Rouge. Pour le premier organisme, « la question des Libyens n'est pas une priorité ». Le second ne s’occupe « que des réfugiés ». Or la Tunisie ne considère pas les Libyens comme des réfugiés. « C'est pourtant ainsi qu'ils se considèrent eux-mêmes », insiste Erige. Son travail sera prochainement publié sur Inkyfada au format web documentaire. De quoi mettre en lumière la situation floue des Libyens de Tunisie.

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