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Pourquoi les plages du Maroc disparaissent-elles ?

Des zones côtières attrayantes sont dépouillées de leurs fronts de mer, le secteur de la construction ayant besoin de sable
Les plages d’Asilah attirent beaucoup de touristes en été (MEE/Matthew Greene)

ASILAH, Maroc – Pendant une bonne partie de l’année, la ville côtière marocaine d’Asilah est calme et paisible. Mais quand vient l’été, la population gonfle, absorbant à la fois les foules de résidents saisonniers et le flot des touristes. Les visiteurs sont attirés par la fraîcheur du climat, les prix abordables et, surtout, par la possibilité de jouir des vastes plages de sable d’Asilah.

Pourtant, au cours de la dernière décennie, les plages d’Asilah ont été ravagées. Leur beauté naturelle a été dévastée par plusieurs années d’exploitation du sable, durant lesquelles de vastes étendues de front de mer ont été dépouillées de presque chaque grain de sable. Leur condition menace de nuire gravement à l’environnement sur le long terme et de porter atteinte à l’industrie touristique, qui constitue la principale force motrice de l’économie de la ville.

Des ouvriers exploitent le sable d’une plage d’Asilah en 2012 (Miriam Gutekunst/transformations-blog.com)

L’exploitation du sable a connu son apogée entre 2012 et 2014, lorsqu’Asilah a connu une forte augmentation des projets de construction d’appartements, maisons, hôtels et complexes touristiques sous l’impulsion d’un marché immobilier favorable. « Ils construisaient comme des fous », se remémore Fouad Maslouhi, un négociant en textile qui a vécu toute sa vie à Asilah. Il précise que la plupart des investissements provenaient non pas des habitants locaux mais d’entrepreneurs et promoteurs immobiliers basés à Tanger, Fez et ailleurs.

Un groupe d’hommes extrait le sable d’une plage qui se révèle à marée basse (MEE/Matthew Greene)

Au beau milieu du boom immobilier, certains entrepreneurs ont commencé à chercher une alternative moins coûteuse que le ciment, choisissant d’exploiter le sable des plages avoisinantes pour le mélanger à leur propre béton. « Ils ont simplement supposé que le sable se remplacerait de lui-même naturellement », expli que Kamal Arrifi, un expert en maçonnerie qui se rappelle bien de cette époque. Après quelques années d’exploitation ininterrompues, il est apparu clairement que la nature avait du mal à tenir la cadence du retrait de sable.

Un ouvrier remplit un sac de farine de sable sur une bande de plage cachée par une falaise (MEE/Matthew Greene)

Kamal Arrifi pense que la plupart de ceux occupés à creuser le sable sont de jeunes Marocains des environs de la ville ayant désespérément besoin de travail et d’argent. « C’était une source fiable de travail et de revenu », ajoute-t-il. Des groupes de jeunes hommes et de garçons parfois âgés de pas plus de 12 ans se rendaient sur la plage armés de pelles pour remplir de sable des sacs de farine usagés, avant de les hisser sur des chariots transportés ensuite sur des sites de constructions à proximité. Dans les zones où le prélèvement était le plus extrême, la plage a fini par ressembler à la surface de la lune.

L’étendue du prélèvement de sable et de l’érosion des falaises avec en arrière-plan des unités d’habitation non terminées (MEE/Matthew Greene)

Asilah n’est pas la seule ville marocaine à avoir souffert de l’exploitation du sable. Des opérations similaires ont été recensées le long de la côte Atlantique du pays non loin de Larache, ainsi qu’à Kenitra et aussi loin que Dakhla, en direction du sud, parfois à une échelle industrielle si vaste que des kilomètres entiers de front de mer ont été détruits. Le coupable habituel est la demande de ciment, dont le sable est un ingrédient essentiel.

Les roches de surface sont davantage exposées en conséquence de l’exploitation de sable (MEE/Matthew Greene)

Certains résidents d’Asilah pensent que l’exploitation de sable n’est qu’un symptôme d’une réalité plus obscure : le monde de la bureaucratie gouvernementale locale, qui a permis au secteur de la construction de s’accroître sans régulation. « Je ne sais pas comment les gens en sont venus à penser qu’ils n’avaient pas besoin de permis ou de plans, mais c’est un fait universellement connu », indique Jan Williams, une expatriée américaine qui vit à Asilah depuis vingt ans. « Tout le monde savait que c’était moins cher de payer des amendes que de se procurer les bons papiers. »

Elle pense que le problème reflète l’humeur du Maroc post-Printemps arabe. « Un ingénieur de la ville m’a dit que par le passé, ils [les autorités] seraient venus démolir tout ajout illégal. Maintenant, il dit : “Que ferions-nous si quelqu’un s'arrose d’essence et s’immole ? Nous aurions un problème, comme en Tunisie” », en référence à Mohamed Bouazizi, le vendeur de rue tunisien dont l’auto-immolation en 2011 a été largement reconnue comme étant le catalyseur de la révolution tunisienne qui a inspiré le Printemps arabe.

Aujourd’hui, l’exploitation du sable à Asilah a ralenti et s’est presque tarie. De nombreux projets de logement sont vides, inachevés, résultat de l’assèchement des fonds du marché de l’immobilier. L’impact environnemental de cette période, en revanche, demeure visible.

Le mur naturel entre la mer et les habitations est maintenant touché par l’érosion (MEE/Matthew Greene)

Derrière la vieille médina d’Asilah, l’exposition de la roche révèle là où de grandes quantités de sable ont été retirées. Le prélèvement du sable a également déplacé la ligne du front de mer à l’intérieur des terres, permettant aux marées entrantes de se déployer au-delà de ce qui était auparavant leur pallier naturel.

La marée basse révèle le retrait du littoral et la perte de sédiment provoqués par l’exploitation du sable (MEE/Matthew Greene)

D’après Abdou Khouakhi, océanographe marocain, la perte de surface et le recul de la côte sont des signaux clés qui donnent l’alarme quant à un potentiel danger environnemental et structurel. « Ceci pourrait causer une érosion et permettre aux vagues et ondes de tempêtes de menacer les zones plus basses à l’intérieur des terres. »

Il ajoute qu’il est important de considérer les plages comme faisant partie d’un écosystème plus vaste qui offre « un environnement et un habitat précieux à de nombreuses espèces de la faune et de la flore ». Les possibles conséquences de l’exploitation du sable ne se limitent pas au littoral, mais peuvent s’étendre aux estuaires et à d’autres habitats comme les dunes et les marécages, qui ont une relation significative avec l’océan.

L’exploitation illégale du sable des plages du Maroc. Cette photo a été prise sur la côte septentrionale du pays, dans la région de Larache, près de Tanger, entre 2005 et 2009 (avec l’aimable autorisation de © SAF - Coastalcare.org)

Ce sont les conséquences économiques et culturelles de l’exploitation du sable qui ont finalement persuadé la ville d’affronter le problème. Cet été, du sable importé a été introduit sur quelques plages d’Asilah dans une tentative visant à les rendre plus confortables et présentables pour la saison touristique. La mesure, toutefois, est seulement une solution temporaire à un problème plus vaste.

« Cela a toujours tourné autour de l’argent, et ça ne changera jamais »

Pour Abdou Khouakhi, le Maroc a besoin d’« adopter des méthodes de conservation et de préservation plutôt que des approches “défensives” », des méthodes qui prennent en considération l’écosystème dans son ensemble. Il recommande l’adoption d’un programme global qui mette l’accent sur la stabilisation, la végétation et l’alimentation des plages tout en bannissant à l’avenir une exploitation du sable.

L’exploitation illégale du sable des plages du Maroc. Cette photo a été prise sur la côte septentrionale du pays, dans la région de Larache, près de Tanger, entre 2005 et 2009 (avec l’aimable autorisation de © SAF - Coastalcare.org)

Toutefois, les résidents inquiets ont exprimé peu de confiance dans la volonté du gouvernement de prendre en considération la santé à long terme de l’environnement, malgré les récents engagements du Maroc en faveur de politiques de développement durable. Cela, soutiennent-ils, entre en conflit avec l’appétit de l’État pour la croissance économique et le profit. « Cela a toujours tourné autour de l’argent, et ça ne changera jamais », a résumé Kamal Arrifi.

Depuis un chemin de terre surplombant une petite crique éloignée des amateurs de plage, il indique du doigt un groupe de jeunes hommes en train de pelleter du sable dans des brouettes. « S’ils [le gouvernement] se sentaient vraiment concernés, ils arrêteraient cela. »

Traduit de l’anglais (original).

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