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Qui est responsable de l'échec du cessez-le-feu entre la Turquie et le PKK ?

Le PKK a invoqué la militarisation du sud de la Turquie par le gouvernement pour justifier l'interruption du cessez-le-feu
Les carcasses de deux camions qui auraient été incendiés par le Parti des travailleurs du Kurdistan à Tunceli dans l'est de la Turquie (AFP)

La plupart des journalistes s'accordent sur le fait que le cessez-le-feu établi entre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et l'État turc en 2013 est désormais terminé.

Les avions militaires turcs continuent de bombarder les positions du PKK dans les montagnes de Quandil au nord de l'Irak, tandis que sur le terrain les arrestations et les affrontements se poursuivent entre la police et les activistes kurdes au sud-est de la Turquie, dans le Kurdistan turc.

La responsabilité de l'échec du cessez-le-feu a été attribuée aux deux parties : les partisans du Parti de la justice et du développement (AKP) ont pointé du doigt le meurtre de deux officiers de police par des militants du PKK dans la ville de Şanlıurfa, tandis que le PKK a blâmé l'État turc pour un bombardement ayant entraîné la mort de 33 militants socialistes dans la ville frontalière de Suruç.

Mais les racines de cet échec remontent à plus d'un an.

Des affrontements sporadiques avaient déjà eu lieu entre le PKK et l'armée turque en 2014 suite à la crise de Kobané. Des avions turcs avaient bombardé des cibles du PKK en octobre, la première opération aérienne majeure depuis le début du cessez-le-feu, ce à quoi les militants du PKK avaient répliqué en tuant trois soldats dans le sud-est.

Frederike Geerdink, une journaliste basée dans la ville à majorité kurde de Diyarbakır, a précisé que les inquiétudes du PKK quant au renforcement de l'appareil militaire turc avaient été un facteur décisif de la rupture des relations.

« Le PKK a été fortement préoccupé par le fait que, depuis le début du cessez-le-feu, l'État a poursuivi ce qu'il considère comme "une préparation à la guerre" », a-t-elle indiqué à MEE.

« Ils ont renforcé les postes militaires dans le sud-est de la Turquie et étendu l'infrastructure militaire. Des civils ont été tués dans le sud-est, y compris au moment des manifestations du parc Gezi [à Istanbul], et les mesures de sécurité intérieure adoptées par le Parlement plus tôt cette année ne vont pas dans le sens de la démocratisation. »

Le 12 juillet, la Koma Civaken Kurdistan (KCK), l'entité multinationale à laquelle appartiennent le PKK et les Unités de protection du peuple (YPG), a déclaré « la fin du cessez-le-feu » et annoncé que des guérilléros commenceraient à prendre pour cibles des barrages du sud-est de la Turquie.

Dans une déclaration, l'organisation a indiqué que « l'État turc avait utilisé le cessez-le-feu non pas comme une solution politique démocratique mais pour préparer une nouvelle guerre et assurer qu’il aurait le dessus en construisant des dizaines de postes militaires, de routes et de barrages pour l'armée, ainsi qu’en procédant à un génocide culturel ».

« Nous avons sommé à plusieurs reprises l'État turc de ne pas construire de postes militaires, de routes et de barrages pour l'armée, en insistant sur le fait que cela aurait pour conséquences la fin du cessez-le-feu et le début de la guerre. Nous avons servi de boucliers humains lors de ces manœuvres qui ont déclenché la guerre, et bon nombre d'entre nous, y compris les jeunes, ont perdu la vie lors des attaques menées par l'État. »

La polémique au sujet de l'accord de Dolmabahçe a également constitué un facteur décisif de cette rupture.

L'accord de Dolmabahçe est un accord en dix points négocié en février 2015 entre le gouvernement turc et le HDP, le Parti démocratique des peuples, pro-Kurdes, avec pour objectif l'élaboration d'une stratégie à long terme en faveur de la paix avec le PKK.

Le vice-Premier ministre Yalçın Akdoğan, le ministre de l'Intérieur Efkan Ala et trois représentants du Parti démocratique des peuples (HDP) pro-kurde, Sırrı Süreyya Önder, İdris Baluken et Pervin Buldan, avaient détaillé le plan d'action lors d'une déclaration conjointe au palais de Dolmabahçe à Istanbul.

Or en juillet, le président Erdoğan a affirmé que cet accord n'était plus valide, invoquant la complicité entre le HDP et le PKK.

« Je n’admets pas l’expression "accord de Dolmabahçe" », a-t-il indiqué aux journalistes le 17 juillet.

« Il y a un gouvernement. Et il y a un parti politique et sa base locale [issue du PKK]. Si une décision doit être prise pour l'avenir de notre pays, elle doit passer par le parlement. Aucun accord ne peut être conclu avec un parti politique soutenu par une organisation terroriste. »

Nigar Göksel, une analyste spécialiste de la Turquie et de Chypre au think tank International Crisis Group, a indiqué à Middle East Eye que le manque de confiance entre les deux parties avait très vite freiné les efforts de paix.

« Le principal problème était la profonde méfiance d'Ankara vis-à-vis du fait qu'une fois que les militants kurdes se seraient retirés, l'autre aspect de l’accord – le genre de questions que l'État turc était censé suivre – resterait sur le carreau », a-t-elle affirmé.

« Le discours du président, selon lequel toutes les mesures nécessaires pour satisfaire aux demandes des Kurdes avaient été prises, a également consolidé cette vision. »

La structure opérationnelle du PKK a également créé la confusion. Bien que l'organisation originelle, connue sous le nom de PKK, ait été créée en 1978 en même temps que son bras armé, la Force de défense du peuple (HPG), de nombreuses organisations ont depuis vu le jour et collaborent avec le PKK avec différents niveaux d'indépendance.

La KCK est l'organisation la plus conséquente. Elle englobe différentes entités dans l'ensemble de la région historique du Kurdistan, notamment le Parti de l'union démocratique (PYD) en Syrie et le Parti pour une vie libre au Kurdistan (PJAK) en Iran.

Les décisions prises par le conseil exécutif de la KCK sont soi-disant obligatoires. La déclaration de la fin du cessez-le-feu par cette organisation devrait donc être sans appel.

Toutefois, l'attaque de Şanlıurfa, considérée comme une rupture du cessez-le-feu par le PKK, a très probablement été perpétrée par une cellule locale du PKK sans ordre de l'entité centrale, même si la KCK a exprimé son soutien dans une déclaration.

Selon Frederike Geerdink, « la KCK approuve cela car elle se dit : "trente-deux personnes sont mortes, ne devrions-nous pas réagir ?" ». « Alors les cellules locales prennent leurs propres initiatives, mais c'est la KCK qui décide de mettre un terme au cessez-le-feu. »

Le rôle du dirigeant du PKK, Abdullah Öcalan, s'est également avéré décisif. Son statut de chef de file du mouvement kurde lui a conféré une grande influence sur l'orientation du PKK.

Depuis 2013, Abdullah Öcalan appelle le PKK à déposer les armes dans chacun de ses discours publics. Pas plus tard qu'en février, il a appelé le PKK à prendre la « décision historique » de mettre fin au conflit armé.

Mais depuis avril, Abdullah Öcalan n'a tenu aucun discours public. En juin, Sırrı Süreyya Önder, un représentant du HDP, a indiqué qu’Abdullah Öcalan subissait un « isolement imprévu », précisant qu'aucune visite ou moyen de communication ne lui était autorisé.

En guise de réponse, la KCK a annoncé que dorénavant la décision de déposer les armes lui reviendrait plutôt qu'au HDP ou à Abdullah Öcalan puisque ce dernier n'était « pas en mesure de prendre une telle décision dans les conditions actuelles ». Elle a toutefois ajouté qu'elle « ne méprisait pas le chef [Abdullah Öcalan] ni le HDP, mais qu'elle soutenait au contraire le rôle des différents acteurs de la scène politique kurde ».

À l'époque, la journaliste turque Ceren Kenar avait indiqué à MEE qu'« il était quasiment impossible pour les observateurs extérieurs de saisir le rapport de force existant entre les différents acteurs du mouvement kurde ». « Abdullah Öcalan, la KCK et le HDP semblent être trois acteurs distincts, cependant il est presque impossible de déterminer en quoi leurs approches s'entremêlent, diffèrent ou se rejoignent sur différentes questions. »

« Cela étant, je pense que la déclaration de la KCK est très importante et signifie que le bras armé du mouvement kurde veut faire valoir son importance et son rôle dans cette histoire. »

Le processus des élections parlementaires a débuté à la même époque, et le HDP s'est efforcé de réaliser des avancées dans le sud-est, où l'AKP bénéficiait auparavant d'un large soutien des Kurdes.

Malgré l'engagement de principe du HDP à ne pas recourir à la violence, ses bureaux et ses militants ont fréquemment subi les attaques de groupuscules et d'engins explosifs improvisés.

En mai, l'Association turque des droits de l'homme (IHD), une ONG qui traite régulièrement des questions kurdes, a publié un rapport faisant état de 114 attaques visant des locaux de l'HDP, contre 7 ayant pour cible l'AKP.

On a souvent attribué ces attaques aux ultra-nationalistes turcs et aux membres de l'État islamique et du groupe islamiste kurde Hüda-Par. Cependant, les militants du HDP rejettent la responsabilité sur le gouvernement de l'AKP, invoquant son recours croissant aux discours nationaliste et sa volonté d'ignorer les attaques de groupes rebelles.

« [Certains] essaient, avec le soutien du gouvernement, d'empêcher le développement de notre parti et sa campagne électorale. La responsabilité politique de ces attaques incombe au président Erdoğan, au Premier ministre et aux autres responsables de l'AKP », pouvait-on lire dans une déclaration publiée par le HDP suite à un double attentat à la bombe advenu à Adana et à Mersin en mai.

Après l'attaque de Suruç, les porte-parole de la KCK étaient catégoriques.

Selon une déclaration publiée par cette dernière suite à l'attaque, « il est évident que la responsabilité de ce bain de sang incombe à l'État turc qui se livre sans aucune retenue à des massacres motivés par son animosité envers les Kurdes ».

« Les massacres ont été progressivement normalisés en Turquie grâce à la prédominance d'une mentalité et d'un parti ayant pour objectif d'éliminer les Kurdes et le mouvement pour la liberté du Kurdistan. Cet état de fait est démontré par l'attitude et la réaction du gouvernement de l'AKP vis-à-vis des attaques, avant et après les élections du 7 juin. »

Depuis la crise de Kobané, les activistes kurdes continuent de penser que l'AKP soutient l'EI et al-Qaïda en Syrie et qu'il a permis le massacre de Kurdes au nord de la Syrie.

« En juillet, dix-huit responsables de la sécurité ont été tués par le PKK, dont quatorze après l'attaque de Suruç », indique Nigar Göksel.

« Si l'attaque de Suruç a été un tournant décisif pour le PKK, elle a nécessité des mois de préparation. Les dirigeants du mouvement kurde accusaient depuis longtemps le gouvernement turc d'avoir fermé les yeux sur les attaques de l'EI à l'encontre de représentants du mouvement nationaliste kurde. Si Suruç a été une étape charnière, il ne s'agissait pas d'un phénomène nouveau. »

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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