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Référendum en Turquie : ce que pensent les anciens poids lourds de l’AKP

Ils ont autrefois exercé le pouvoir au sein de l’AKP – aujourd’hui, ils pourraient voter contre la proposition de présidence exécutive
L’ancien président turc, Abdullah Gül, et l’ancien ministre des Affaires étrangères, Ahmet Davutoğlu, en 2011 (AFP)

ISTANBUL, Turquie – Force dominante de la politique turque depuis près de quinze ans maintenant, le Parti de la justice et du développement (AKP) a compté de puissants leaders et politiques dans ses rangs. Toutefois, au fil des ans, alors que le parti changeait de direction et de priorités, certains de ses poids lourds ont choisi de se mettre progressivement en retrait ou ont été rejetés.

Il est dit que ces personnalités potentiellement mécontentes – y compris des fondateurs et des idéologues du parti – pourraient s’unir à plus long terme pour établir un nouveau parti conservateur de centre droit.

Cependant à plus court terme, leur position sur le prochain référendum du 16 avril, qui déterminera si la présidence turque se transformera en fonction aux vastes pouvoirs, pourrait s’avérer cruciale.

Malgré le plein usage des ressources étatiques pour promouvoir son point de vue, le camp du « oui » du gouvernement semble avoir échoué à établir une avance claire, la plupart des sondages prévoyant un résultat serré.

L’AKP aura besoin de sa propre base de soutien pour que les amendements constitutionnels soient massivement soutenus. Les opinions des anciens poids lourds du parti pourraient indubitablement influencer une partie du soutien de l’AKP, faisant ainsi pencher le résultat du référendum dans une direction ou l’autre.

Middle East Eye passe en revue ces poids lourds et les indicateurs marquant leur inclination à l’égard de la proposition de présidence exécutive à la turque.

Abdullah Gül

L’ancien président turc Abdullah Gül au sommet de Tbilissi, le 6 mai 2014 (AFP)

Postes occupés : président, Premier ministre, ministre des Affaires étrangères, cofondateur du parti

Pourquoi il compte : Considéré comme l’homme d’État de l’establishment islamiste conservateur turc, Gül a la réputation de rechercher les compromis plutôt que d’être dans la confrontation. Toutefois, cela ne signifie pas qu’il ne peut pas se montrer impitoyable. Il était à l’avant-garde d’un groupe de politiciens qui s’est séparé du mouvement Milli Görüş (Vision nationale) de Necmettin Erbakan dont l’esprit était plus traditionaliste et a fondé l’AKP en 2001.

« Nous avons connu un système parlementaire à la turque et avons constaté quels problèmes il posait. Il ne devrait pas y avoir de présidence à la turque »

– Abdullah Gül, ancien président turc

Après avoir accompli un mandat en tant que président en 2014, Gül a déclaré qu’il se retirait de la politique active. Beaucoup pensent qu’il s’est retiré après que le président turc Recep Tayyip Erdoğan a refusé de l’appuyer en tant que prochain président de l’AKP parce qu’il aurait considéré Gül comme une menace.

Dans le cadre de ce référendum, Erdoğan et le Premier ministre Binali Yıldırım ont tenu deux réunions distinctes avec les anciens ministres et les responsables de l’AKP pour obtenir leur soutien. Gül n’a assisté à aucune de ces réunions, envoyant un message fort. Il n’a pas non plus assisté à un meeting de campagne dans sa ville natale de Kayseri, le 2 avril, auquel il devait assister aux côtés d’Erdoğan et de Yıldırım.

Ce qu’il a dit en 2015 : « Mes pensées sur ce sujet sont déjà connues. Ces sujets doivent être examinés de manière éclairée. Le type de présidence est important. Nous avons connu un système parlementaire à la turque et avons constaté en quoi il posait problème. Il ne devrait pas y avoir de présidence à la turque. Si un système présidentiel devait être adopté, alors il devrait l’être comme aux États-Unis où la séparation des pouvoirs est clairement définie et où tout est bien défini… S’il repose sur la base de la suprématie du droit comme dans les démocraties matures, alors c’est sans aucun doute aussi un système démocratique. »

Ahmet Davutoğlu

L’ancien Premier ministre turc Ahmet Davutoğlu à Ankara, le 5 mai 2016 (AFP)

Postes occupés : Premier ministre, ministre des Affaires étrangères, conseiller

Pourquoi il compte : Davutoğlu, scolaire et doux, ne fait pas partie des fondateurs du parti, mais son ascension dans ses rangs fut spectaculaire, ce qui lui a permis de devenir Premier ministre. Davutoğlu était le principal idéologue de l’AKP et de la politique étrangère de la Turquie. Son approche « zéro problème avec les voisins » fut un énorme succès – jusqu’à l’avènement du printemps arabe. Comme la plupart des autres pays, la Turquie fut également prise au dépourvu par les événements en Égypte, en Libye et ailleurs et sa réponse fut confuse.

« Le parlement est le bouclier et l’épine dorsale de la démocratie parce que c’est une autorité qui est très difficile à manipuler »

– Ahmet Davutoğlu, ancien Premier ministre turc

Davutoğlu a été choisi par Erdoğan comme candidat du parti au poste de Premier ministre en 2014 lorsque le premier a endossé son rôle de président. Cependant, la conviction de Davutoğlu dans un système « un Premier ministre fort, un président fort », où les deux sont sur un pied d’égalité n’était pas du goût d’Erdoğan et par conséquent, il a été contraint de démissionner.

La promesse de passer à un système de présidence exécutive a été abandonnée lors de la campagne de l’AKP pour les élections législatives de novembre 2015, lorsque Davutoğlu était à la tête du parti. Comme Gül, Davutoğlu n’a pas non plus assisté aux deux réunions organisées par Erdoğan et Yıldırım dans la perspective de ce référendum pour s’attirer le soutien des anciens ministres de l’AKP.

Ce qu’il a dit en janvier 2017 : « Il est nécessaire que le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif se fondent solidement autour des principes de séparation des pouvoirs… J’ai fait part de mes opinions, de mes évaluations et de mes préoccupations sur la méthode et le contenu de l’actuelle proposition d’amendement à notre président et à notre Premier ministre en détail… Le parlement est le bouclier et l’épine dorsale de la démocratie parce que c’est une autorité qui est très difficile à manipuler car elle englobe l’ensemble de la société. »

Bülent Arınç

L’ancien vice-Premier ministre turc Bülent Arınç à Ankara le 24 juillet 2014 (AFP)

Postes occupés : vice-Premier ministre, député, porte-parole du gouvernement, cofondateur du parti

Pourquoi il compte : rouage important dans le triumvirat AKP avec Gül et Erdoğan, Arınç s’est taillé la réputation de parler franchement même s’il a rompu avec le parti. Bien qu’il se soit retiré de la politique active en 2015, il a déclaré qu’il serait toujours prêt à aider de l’extérieur.

Au cours de ses dernières années en politique, Arınç a contredit Erdoğan publiquement à plusieurs reprises. On pense que ces remarques ont tendu des relations entre les deux et Erdoğan serait devenu méfiant à l’égard d’Arınç.

La première fois eut lieu lors des manifestations anti-gouvernementales du parc Gezi en 2013, lorsque Arınç a déclaré qu’engager un dialogue constructif avec les manifestants serait préférable à un déploiement de force. Il y a eu d’autres crises, par exemple lorsque Arınç a déclaré qu’Erdoğan avait pleinement connaissance d’un accord conclu entre les personnalités gouvernementales et le mouvement politique kurde pendant le processus de paix en cours – ce qu’Erdoğan a nié. Cela a incité à spéculer qu’Arınç pourrait être ouvert pour aider ou rejoindre un nouveau mouvement.

Arınç a depuis été accusé d’être proche de Fethullah Gülen, le prédicateur américain accusé d’avoir orchestré la tentative de coup d’État de l’an dernier, par le puissant maire d’Ankara, Melih Gökçek (Arınç et Gökçek sont engagés dans une querelle de longue durée). Arınç a assisté aux deux réunions organisées par Erdoğan et Yıldırım.

Ce qu’il a dit : Il n’a pas commenté le référendum dans un sens ou dans l’autre, en disant seulement, « parlons après le 17 [avril] » après une des réunions.

Fatma Bostan Ünsal

Postes occupés : vice-présidente, membre fondatrice du parti

Pourquoi elle compte : Ünsal, un fervente activiste pour les droits de l’homme et défenseure des droits des femmes portant le voile en Turquie, a été renvoyée de l’AKP en 2016 après avoir signé une pétition rédigée par des universitaires critiquant le gouvernement pour ses actions dans le conflit dans le sud-est du pays. Elle a également été renvoyée de son poste académique récemment par un décret d’état d’urgence pour la même raison.

« Il y a ceux au sein de l’AKP qui s’opposent à une concentration des pouvoirs »

– Fatma Ünsal, ancienne vice-présidente de l’AKP

Par le passé, elle a également critiqué son propre parti quand elle pensait qu’il était dans l’erreur. Ünsal a déclaré que le climat actuel d’oppression et de musellement de la liberté d’expression est pire que ce qui avait été observé pendant la période suivant les événements du 27 février 1997. Le « coup d’État post-moderne » – comme on le sait – était lorsque les militaires ont envoyé un mémorandum au gouvernement alors islamiste au pouvoir, exigeant que la laïcité soit protégée. Le gouvernement s’est finalement effondré.

Ce qu’elle a dit en avril 2017 : « Il y a ceux au sein de l’AKP qui s’opposent à une concentration des pouvoirs. Une frange demande de ne pas toucher au système et de ne rien changer. Il y a aussi une autre frange au sein du parti qui dit d’accord, changeons le système pour passer à un système présidentiel mais que se passe-t-il après Erdoğan. »

Ertuğrul Günay

L’ancien ministre turc de la Culture et du Tourisme, Ertuğrul Günay, annonce sa démission de l’AKP en décembre 2013 (AFP)

Postes occupés : ministre de la Culture

Pourquoi il compte : l’ancien membre du Parti républicain du peuple (CHP) a rejoint l’AKP en 2007 – mais a démissionné du parti et de son poste de ministre de la Culture en 2013, en critiquant la réaction du gouvernement face à une enquête sur la corruption. Il a également déclaré qu’il était frustré par la volonté des autorités d’abîmer des repères historiques et culturels pour un profit rapide.

« J’espère et je souhaite que les habitants de la Turquie ne permettront pas la destruction des acquis de tant d’années »

– Ertuğrul Günay, ancien ministre turc de la Culture

Günay a déclaré que le gouvernement avait réagi en adoptant une « psychologie défensive » sur une enquête pour corruption contre Erdoğan et son cercle étroit et que ceux qui enfreignaient la loi finiraient par payer un prix élevé devant la loi par le public.

L’ancien ministre a vivement appelé l’opinion publique à rejeter les amendements constitutionnels proposés, affirmant qu’il espère qu’un « non » comme résultat mettra un frein au parti au pouvoir.

Günay a déclaré que l’AKP n’avait jamais mentionné publiquement un système de présidence exécutive du jour où il a été formé en 2001 jusqu’à sa démission en 2013. Au lieu de cela, l’accent a été mis sur le parti dans une démocratie pluraliste, le système parlementaire et un état de droit.

Il a ajouté que les concitoyens du sud-est de la Turquie – les zones où les communautés kurdes sont majoritaires – n’accepteraient pas de l’éloigner de la démocratie parce que tout le monde sait que pour que la Turquie trouve des réponses définitives à ses problèmes, elle doit rester engagée dans la démocratie. Un vote « Oui », a déclaré Günay, serait malheureux pour le pays.

Ce qu’il a dit en avril 2017 : « J’espère et je souhaite que les habitants de la Turquie ne permettront pas la destruction des acquis de tant d’années et que le pays soit coupé du monde civilisé et qu’il soit ramené en arrière ».

Abdüllatif Şener

Postes occupés : vice-Premier ministre, ministre des Finances, membre fondateur du parti

Pourquoi il compte : Şener est devenu un critique virulent de l’AKP depuis qu’il a démissionné du parti en 2007 en raison pour avoir dit que son parti s’était éloigné des principes fondateurs. Il a parcouru activement le pays, expliquant aux électeurs pourquoi ils devraient rejeter les modifications constitutionnelles proposées.

Ce qu’il a dit en mars 2017 : « Ce n’est pas un système présidentiel, au moins pas un tel que défini dans le reste du monde. Ce [système de présidence exécutive à la turque] constitue une aberration du début à la fin. Aucun citoyen vivant dans ce pays ne peut bénéficier d’un tel arrangement… il semble que l’État se transformera en un mécanisme de création de problèmes avec un tel arrangement. »

Ertuğrul Yalçınbayır

Postes occupés : vice-Premier ministre

Pourquoi il compte : Ce politicien expérimenté n’a jamais travaillé dans le cabinet d’Erdoğan et a été vice-Premier ministre lorsque l’AKP est arrivé au pouvoir avec Gül en tant que Premier ministre.

Yalçınbayır a critiqué le style d’Erdoğan lors d’un camp du parti en 2004 en le qualifiant de « démocratie par réprimande » et a déclaré : « Vous réprimandez les députés ». Il est resté député de l’AKP jusqu’en 2007 et est un virulent critique des amendements constitutionnels qui habiliteraient le président.

Ce qu’il a dit en février 2017 : « À partir d’aujourd’hui, vous ne pourrez plus constater l’égalité devant la loi. L’esprit de parti remplacera tout… parce que le chef de l’État sera maintenant membre de parti. Il n’est pas possible d’accepter la domination d’une personne, le règne d’un parti et d’un clan au lieu de l’adhésion à la constitution et sa suprématie. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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