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RÉVÉLATION : La famille du président tunisien liée à un accord pétrolier « illégal » avec les EAU

Une association de surveillance réclame une enquête sur les liens entre le frère de Béji Caïd Essebsi et une société enregistrée aux Bermudes appartenant à la famille régnante de Dubaï
Le président tunisien Béji Caïd Essebsi (à gauche) entretient une relation étroite avec le cheikh Mohammed ben Rachid al-Maktoum (à droite), vice-président et Premier ministre des Émirats arabes unis (Présidence tunisienne)

Une société pétrolière enregistrée aux Bermudes appartenant à la famille dirigeante de Dubaï et légalement représentée par le frère du président tunisien Béji Caïd Essebsi s’est vue accorder les droits d’exploration pétrolière par le gouvernement tunisien, une décision qualifiée de « totalement illégale » par une association locale de surveillance anticorruption.

Les documents relatifs à l’accord ont été publiés cette semaine dans un rapport d’I WATCH détaillant les liens entre Salaheddine Caïd Essebsi et la famille Maktoum qui dirige l’émirat de Dubaï, cachés via une série de sociétés écrans enregistrées dans le paradis fiscal de cet archipel de l’Atlantique-Nord.

L’organisation I WATCH, qui a été créée suite à la révolution tunisienne de 2011, a indiqué que cet accord semblait violer les lois interdisant que les droits d’exploration soient accordés aux entreprises enregistrées dans des pays qui n’ont pas de relations diplomatiques avec la Tunisie.

Elle a également réclamé une « enquête approfondie » sur l’approbation par le gouvernement en février d’une cession d’actions qui a permis à Dragon Oil détenue par Dubaï d’hériter d’une licence d’exploration pétrolière offshore.

La vente d’actions appartenant à CE Tunisia Bargou Limited à Dragon Oil (Bargou Tunisia) Limited a été autorisée par Hela Cheikhrouhou, ministre tunisienne de l’Industrie, de l’Énergie et des Mines, en dépit de l’article 34.5 du code tunisien des hydrocarbures, qui interdit la vente d’intérêts à une société enregistrée dans un pays qui n’entretient pas de relations diplomatiques avec la Tunisie.

Le droit tunisien interdit expressément l’octroi de licence pétrolière aux entreprises enregistrées dans des pays avec lesquels la Tunisie n’a pas de relations diplomatiques (notamment les Bermudes)

La Tunisie répertorie également les Bermudes, décrite comme le pire paradis fiscal des sociétés par l’organisme d’aide Oxfam en 2016, parmi une liste de territoires où les transactions financières ne sont pas reconnues en vertu d’une loi adoptée en 2014.

Le porte-parole de I WATCH, Cherif El Kadhi, explique à Middle East Eye que « les actions du ministre et du gouvernement pour approuver cette transaction et accepter une société enregistrée aux Bermudes sont totalement illégales ».

« C’est totalement illégal »

– Cherif El Kadhi, I WATCH

Au cours de son enquête, I WATCH a découvert que le représentant légal de la branche tunisienne de Dragon Oil est Salaheddine Caïd Essebsi, frère du président tunisien Béji Caïd Essebsi, et a mis au jour des liens avec la famille al-Maktoum, à Dubaï.

Salaheddine Caïd Essebsi, frère de l’actuel président tunisien Béji Caïd Essebsi, est l’un des représentants légaux de Dragon Oil

Dragon Oil (Bargou Tunisie) Limited, dont Essebsi est un représentant légal, est inscrit aux Bermudes et est une filiale de Dragon Oil (holdings) Limited.

Celle-ci est elle-même la propriété de Dragon Oil Plc., dont Hamdane ben Rachid al-Maktoum, vice-dirigeant de Dubaï et ministre des Finances pour les Émirats arabes unis, est le président du conseil d’administration.

Il est également président du conseil d’administration d’Emirates National Oil Company, dont Dragon Oil est une filiale.

Cette société est détenue par l’Investment Corporation de Dubaï, dont Hamdane et son frère, le vice-président et Premier ministre des Émirats arabes unis, Mohammed ben Rachid al-Maktoum, sont également vice-président et président de la société, respectivement.

Dragon Oil (Bargou Tunisia) Limited est inscrite au Registre des sociétés des Bermudes (I WATCH)

Les allégations portant sur une implication des Émirats arabes unis dans des faits de corruption politique en Tunisie ne sont pas nouvelles et la relation entre les Émirats arabes unis et Béji Caïd Essebsi, l’actuel président tunisien, a précédemment été source de controverse. En 2014, les Émirats arabes unis ont offert à Essebsi deux voitures blindées à l’épreuve des balles alors qu’il était le chef de l’opposition, ce qui a donné lieu à des accusations de corruption politique en raison des règles strictes appliquées par la Tunisie au financement étranger des partis politiques.

Un an plus tard, un litige a éclaté après les révélations selon lesquelles les Émirats arabes unis avaient essayé d’acheter l’influence politique d’Essebsi en personne et auraient tenté de persuader Essebsi de « suivre le modèle de l’Égypte », où Mohammed Morsi a été évincé à l’issue d’un coup d’État militaire.

En 2017, l’ancien président tunisien Moncef Marzouki a fait référence à ces allégations, affirmant que les mêmes forces qui avaient œuvré en faveur du coup d’État égyptien avaient tenté de faire de même en Tunisie.

Mercredi, le parlement tunisien a approuvé une loi controversée accordant l’amnistie aux fonctionnaires accusés de corruption sous le règne de Zine el-Abidine Ben Ali, l’ancien président tunisien renversé lors de la révolution de 2011. Le projet de loi a été proposé initialement en 2015 par le président Essebsi, du parti Nidaa Tounes, qui a insisté sur le fait que la Tunisie devait se concentrer sur le développement futur plutôt que sur les crimes du passé.

Cela contraste fortement avec les objectifs du gouvernement tunisien dirigé par le Premier ministre Youssef Chahed, qui avait déclaré une « guerre contre la corruption » au cours de laquelle plusieurs hommes d’affaires de haut rang ont été arrêtés suite à des allégations de corruption.

Max Gallien, chercheur spécialiste de l’Afrique du Nord à la London School of Economics, explique à MEE que cette affaire découverte par I WATCH est « un rappel important ».

« Nous devons adopter une position critique et plus large face à la "guerre contre la corruption" initiée par le gouvernement actuel. Bien que les arrestations captent toujours l’attention du public, des processus importants tels que le sort réservé aux biens confisqués ou la création de nouveaux contrats peuvent facilement échapper au radar de la presse traditionnelle », ajoute-t-il.

I WATCH a précisé à MEE qu’elle exigeait une enquête complète sur les conclusions de son rapport, dans la mesure où celui-ci soulève « des questions qui demandent des réponses ».

« Ils prétendent livrer une guerre contre la corruption, mais dans même temps, ils laissent passer le projet de loi de réconciliation – qui accorde l’amnistie aux responsables corrompus – alors que des soupçons de corruption planent sur le président, sa famille et certains ministres au gouvernement à propos de ces liens avec les Émirats arabes unis. Cela n’a aucun sens. »

« Les kleptocrates postrévolutionnaires associés à des entreprises étrangères perpétuent le copinage de Ben Ali »

-Mohamed Dhia Hammami, journaliste d’investigation

Mohamed Dhia Hammami, un journaliste d’investigation qui a travaillé sur les questions de corruption en Tunisie, ajoute que les conclusions du rapport « donnent un aperçu de la manière dont les kleptocrates postrévolutionnaires associés à des entreprises étrangères perpétuent le copinage de Ben Ali ».

MEE a contacté Salaheddine Caïd Essebsi, le gouvernement tunisien et Dragon Oil afin de recueillir des commentaires, mais n’a reçu aucune réponse avant la publication de cet article.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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