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Respect des droits de l’homme : la Tunisie a encore des efforts à faire

Alors que la Tunisie a procédé ce mardi à l’Examen Périodique Universel du Haut-commissariat des droits de l’homme, la société civile tunisienne se dit déçue par le manque de progrès concrets
Rassemblement marquant le sixième anniversaire de la révolution de 2011, le 14 janvier 2017 à Tunis (AFP)

« Je suis déçue. Déçue par le rapport présenté aujourd’hui qui me rappelle les temps passés. On ne parle que de l’arsenal administratif alors qu’il faut parler de défense des droits de l’homme, de garanties. »

Voici ce qu’affirmait mardi Hafidha Cheki, vice-présidente de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), à l’issue de l’Examen Périodique Universel (EPU) du Haut-commissariat des droits de l’homme des Nations unies consacré à la Tunisie.

​Mené par les États sous les auspices du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, l’EPU consiste à passer en revue les réalisations d’un pays dans le domaine des droits de l’homme, fournissant à chacun l’opportunité de présenter les mesures qu’il a prises pour améliorer la situation en la matière sur son territoire. Il s’agissait de la troisième audience de la Tunisie, la dernière ayant eu lieu en 2012.

L’audience, qui s’est déroulée ce mardi à Genève en présence des représentants de divers  pays membres de l’ONU, était retransmise en direct au Rio, un cinéma du centre-ville de Tunis, où les membres de la société civile s’étaient réunis.

À Genève, la matinée a commencé par la présentation du rapport gouvernemental par le ministre tunisien des Relations avec les instances constitutionnelles, la société civile et les droits de l’homme, Mehdi Ben Gharbia, qui s’est dit « déterminé à continuer le processus démocratique et à lutter pour protéger les droits humains », tout en évoquant des « challenges économiques sans précédent. » Une façon d’expliquer les manquements, concernant notamment les recommandations de 2012, qui n’ont pas toutes étaient suivies d’actes.

C’est le représentant du Soudan qui s’est exprimé le premier, insistant sur la lutte contre le terrorisme et la radicalisation. La plupart des pays de la région d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient évoqueront par la suite cette question qui touche à la sécurité des citoyens. La Tunisie est considérée comme le plus gros exportateur de militants partis rejoindre le groupe État islamique, avec 5 500 combattants à l’étranger selon un rapport de 2015 de l’ONU et 3 000 selon le ministère tunisien de l’Intérieur.

Les pays européens ont, quant à eux, mis l’accent sur les discriminations. La Suisse a, par exemple, recommandé une modification du code tunisien du statut personnel. Promulgué en 1956, le texte, considéré comme moderne à l’époque, semble aujourd’hui dépassé. Il précise notamment que l’homme est le chef de famille.

Bien que la nouvelle Constitution instaure l’égalité entre hommes et femmes, ces dernières héritent généralement de la moitié de la part d’un homme. Autre discrimination : une Tunisienne de confession musulmane ne peut pas épouser un non-musulman, alors qu’un Tunisien peut épouser une non-musulmane.

En 2012, déjà, le Conseil des droits de l’homme avait promulgué un certain nombre de recommandations concernant le droit des femmes. Un rapport alternatif (c’est-à-dire soumis par la société civile en vue de l’EPU) rédigé, entre autres, par l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), Avocats sans Frontières et la FIDH, remarque ainsi que « les discriminations polluent toujours la législation ».

C’est ce qui inquiète Yosra Frawes, membre de la FIDH : « Le gros point noir, pour nous, c’est que la Tunisie ait pris des engagements en 2012 sans aller au bout », a-t-elle déclaré à MEE.

Azaiz Sammoud, membre d’Avocats Sans Frontières, exprime lui aussi sa déception auprès de Middle East Eye : « La Constitution de 2014 a été un événement majeur. Mais la Tunisie n’a pas réussi à avancer face à ses défis. Depuis 2012, il y a tout un arsenal juridique qui a été créé, mais aucune mise en oeuvre. »

Toujours sur la question des discriminations, la Belgique a demandé une loi de « portée générale sur les violences faites aux femmes » et l’abrogation de l’article 230 du code pénal. Celui-ci criminalise la sodomie, passible de trois ans de prison ferme. Les forces de l’ordre font constater l’acte sexuel par le biais d’un test annal pratiqué par un médecin légiste.

Au diapason de la plupart des représentations, le Togo a demandé « la fin de la peine de mort et de mieux lutter contre la torture ». En Tunisie, la peine de mort est placée sous moratoire depuis 1991. « C’est censé être la phase préalable à l’abolition », explique Wahid Ferchichi, professeur en droit public présent à la retransmission de l’EPU à Tunis.

Or, l’expert note que « la peine de mort est consacrée dans la loi anti-terrorisme de 2015 ». Des peines sont donc toujours prononcées, sans être appliquées. Wahid Ferchichi critique dès lors un État qui « n’a pas tranché ». Pour se justifier de ne pas avoir suivi les recommandations de 2012 concernant l’abolition de la peine de mort (114.45, 116.6 et 116.7), la Tunisie a prétexté l’absence de consensus national.

Au sujet de la torture, qui faisait l’objet d’une petite dizaine de recommandations en 2012, les autorités tunisiennes se sont à nouveau engagées à lutter contre cette pratique en mettant notamment en place un organe indépendant. La délégation tunisienne a tout de même souligné que les plaintes étaient en baisse. 153 cas enregistrés entre janvier et novembre 2016 contre 250 en 2015 selon l’Organisation tunisienne contre la torture.

Dans son rapport de 2016 intitulé « L’Impunité, pourquoi ? », l’OMCT note que 80 % des cas de torture qui lui sont rapportés accusent la police ou la garde nationale, qui emploieraient ces méthodes pour soutirer aveux ou informations.

Pour la société civile réunie ce mardi au Rio de Tunis, le bilan de cette audience est plus que mitigé. « Le rapport présenté par les autorités tunisiennes à Genève a mis l’accent sur ce qui a été fait, notamment par rapport à la Constitution, note Wahid Ferchichi. Alors que les questions fondamentales adressées depuis 2011 ont obtenu les mêmes réponses. »

Les aspirations qui ont mené à la révolution de 2011 étaient en effet basées sur un désir de libertés, de justice et d’égalité plus fortes. Azaiz Sammoud, d’Avocat Sans Frontières, attend des actes concrets : « Nous souhaitons que la Tunisie s’engage vraiment à mettre en œuvre les recommandations de 2012. »

Un avis partagé par Hafidha Cheikh : « Je n’ai pas vu grand-chose de concret dans l’application de la Constitution. »

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