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Sauvés par hasard : l'autre famille Dawabsha

Une seconde maison a été incendiée dans le village de Duma en Cisjordanie. Heureusement, ses occupants étaient sortis ce soir-là. Tous vivent désormais dans la terreur
Mohtaseb Dawabsha est certain qu'il aurait été en train de dormir avec ses frères dans la pièce où l'incendie a démarré si la famille n’avait pas été absente le soir de l'attaque (MEE/Abed al Qaisi)

DUMA, Cisjordanie – Il faisait encore sombre et le village était paisiblement endormi lorsque les agresseurs sont entrés silencieusement au petit jour, armés de bombes incendiaires et de peinture en spray. Asim Dawabsha et sa famille étaient sortis ce soir-là, fait pour lequel il sera éternellement reconnaissant. Ses voisins n'ont pas eu cette chance.

Le 31 juillet, des colons israéliens ont incendié deux maisons du village de Duma au nord de la Cisjordanie occupée. Ali Dawabsha, âgé d'à peine 18 mois, et son père Saad ont trouvé la mort dans cette attaque. Son grand frère, Ahmad, âgé de 4 ans, et sa mère, Riham Dawabsha, dont 90 % du corps est couvert de brûlures au troisième degré, se trouvent toujours à l'hôpital dans un état critique.

Asim et sa famille habitent juste à côté de l'autre famille Dawabsha dont les membres sont de lointains parents, mais le hasard a voulu qu'ils se trouvent à quelques kilomètres de là la nuit de l'attaque, dans leur petit appartement en construction à Naplouse, car Asim devait travailler tard.

« Nous avions prévu de rentrer à la maison cette nuit-là », précise Asim à Middle East Eye devant la carcasse calcinée de sa maison. « Mais j'ai été retenu au travail et je suis rentré à la maison bien plus tard que d'habitude. J'ai donc dit à ma famille de rester à Naplouse et d'attendre mon retour, puis nous avons décidé de rentrer à la maison le lendemain matin. »

Au lieu de cela, Asim a reçu un appel vers 2 heures du matin l'informant que sa maison était en flammes et qu'il fallait qu'il rentre rapidement. Asim et sa femme, Iman Dawabsha, sont rentrés en hâte, confiant la garde de leurs jeunes enfants à leur fils de 17 ans.

« Nous étions persuadés qu'il s'agissait d'un problème de gaz ou d'électricité. Nous n'aurions jamais imaginé que c'était aussi sérieux avant de voir la maison et le graffiti », a expliqué Asim.

Le va-et-vient des visiteurs est ininterrompu aux alentours de la maison d'Asim. La grande tente verte dressée pour accueillir les proches lors des funérailles du petit Ali et de son père Saad est toujours debout. Des vieillards sont assis sur des chaises en plastique et ressassent sans cesse la tragédie, tout en buvant du café traditionnel aromatisé à la cardamome dans de minuscules tasses en papier.

Sur un mur de béton situé face à la maison d'Asim, un graffiti hébreu signifiant « Vive le messie » a été griffonné avec de la peinture noire, une marque probablement laissée par les colons responsables de l'attaque, tout comme le mot hébreu pour « Vengeance ! » tagué à proximité de l'autre maison incendiée.

Une vengeance contre quoi ? Asim n'en est pas sûr. « Le fait que nous soyons en vie, je suppose », dit-il en secouant la tête.

Les restes de la maison d'Asim sont pour la plupart calcinés, fondus et couverts de suie. La famille vit désormais dans les deux pièces épargnées par l'incendie au dernier étage.

« Vivre dans la terreur »

Même si les membres de la famille dorment désormais ensemble dans une seule pièce, Mohammed, le fils d'Asim âgé de 7 ans, ne parvient plus à fermer l’œil depuis l'attaque.

« Il reste éveillé jusqu'à s'endormir d'épuisement », a indiqué sa mère à MEE. « Ils le font tous les deux », a-t-elle ajouté en se tournant vers son fils cadet.

Lorsqu'Iman a suggéré d'aller s'installer avec sa famille à Naplouse en attendant que les choses se calment et retournent à la normale, Mohammed a piqué une crise.

« Il a insisté pour que nous restions ici. Il m'a dit : "Je veux rester et protéger notre maison" », explique Iman. « Que pouvais-je répondre ? »

La menace d'une nouvelle attaque terrifie Mohammed Dawabsha, 7 ans, et son petit frère (MEE/Abed al Qaisi)

Lorsque MEE a demandé au petit garçon s'il savait pourquoi on avait attaqué sa maison, il a simplement répondu : « ils nous haïssent » en attrapant le pouce de son père avec ses deux mains.

Iman avoue n'avoir aucune idée de ce que l'avenir leur réserve. Ils attendent que des inspecteurs viennent examiner la maison puisqu'ils ne sont même pas sûrs d'être en sécurité au-dessus de la structure calcinée.

« Le village tout entier vit dans la terreur », a indiqué Mohtaseb Dawabsha, le fils d'Asim et d'Iman âgé de 17 ans, à MEE. « Tout le monde a peur. Ce n'est pas comme si nous habitions en bordure du village, nous vivons en plein centre. Nous n'avions jamais imaginé qu'une telle chose pouvait arriver dans le centre. Ils nous ont attaqués pour faire passer un message et montrer qu'ils peuvent venir nous chercher n'importe où, y compris au centre du village, au milieu des nôtres. Nous avons reçu leur message, nous comprenons. »

Mohtaseb ne peut s'empêcher d'imaginer ce qui aurait pu se produire si son père n'était pas rentré tard du travail ce soir-là.

Il avoue que le principal détail qu'il ne parvient pas à oublier est le climatiseur. La pièce dont les fenêtres ont été brisées pour lancer les bombes et allumer l'incendie était la seule à être climatisée. Mohtaseb et ses frères y dormaient donc chaque nuit durant l'été afin de rester au frais.

« Nous aurions été tués comme nos voisins. Ma famille aurait dormi dans le salon cette nuit-là », affirme Mohtaseb en se frayant un chemin dans la maison calcinée tandis que des morceaux de verre et de bois brûlé craquent sous ses pieds. « C'est arrivé pendant la vague de chaleur, donc je suis certain que nous aurions été dans cette pièce si nous avions été à la maison. »

Protéger les siens

Mohtaseb indique que le village tout entier a été affecté par l'attaque et que personne ne se sent en sécurité.

Étant donné que Duma se trouve dans la zone C de la Cisjordanie occupée, le village est entièrement contrôlé par les Israéliens.

« Nous ne pouvons pas nous payer le luxe d'appeler la police ou les secours. Aucun fonctionnaire ne nous protège ici. Les colons qui ont fait ça sont les seuls qui bénéficient d'une protection », précise Mohtaseb.

C'est pour cette raison que les jeunes hommes du village ont décidé de prendre les choses en main en formant des équipes de sécurité improvisées pour monter la garde dans le village la nuit. Selon lui, il s'agit du seul moyen pour que sa famille et sa communauté se sentent à nouveau en sécurité dans leurs maisons, un sentiment que les habitants de Duma n'ont pas ressenti depuis les attaques.

« Il ne s'agit pas uniquement de moi ou de ma famille. Tout le village a peur. Tous les enfants savent ce qu'il s'est passé. Ils savent que la zone n'est pas sûre. »

« Tous les enfants du village sont comme mes frères, ils ne peuvent pas dormir la nuit », affirme Mohtaseb au milieu d'un cercle d'amis mobilisés pour la sécurité du village. « Avant, tout le monde avait sa chambre. Mais désormais, toutes les familles de Duma dorment dans la même pièce. Nous dormons tous ensemble car nous avons tous peur. »

Asim et Iman Dawabsha posent avec leurs fils (MEE/Abed al Qaisi)

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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