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Tafilalet : première ville écologique dans le désert algérien

Cette éco-ville dans le Sahara est un projet qui remonte à 20 ans dont l’objectif est de faire fleurir le désert, tous les habitants aidant à planter des arbres et recyclant leurs déchets
Abdelaziz creuse un trou pour planter des bougainvilliers (MEE/Djamila Ould Khettab)

Tandis que nous nous rendions en voiture au sommet de la colline, un jardin en terrasse entouré de murets de pierre est apparu dans le paysage désertique, électrisé par des touches de fruits orange et jaunes.

Une route goudronnée séparait cette ceinture verte de bâtiments en forme de cube, aux extérieurs teintés des mêmes couleurs pastel et aux ouvertures étroites. La ville que nous avons découverte derrière une impressionnante porte faite de branches de palmiers était si calme qu’elle ressemblait presque à une forteresse inoccupée.

Cette oasis de calme, c’est Tafilalet, un ensemble de plus de 1 000 maisons construites manuellement en pierre locale. Tafilalet est nichée au sommet d’un plateau qui domine la vallée du M’Zab dans la région de Ghardaïa, au sud de l’Algérie.

Tafilalet est nichée au sommet d’un plateau qui surplombe la palmeraie Beni Isguen et la vallée du M’Zab (MEE/Djamila Ould Khettab)

Les défenseurs de l’écologie en l’Algérie

Ghanya était toujours en train de cuisiner lorsqu’elle a reçu Middle East Eye. Une chorba, une soupe traditionnelle algérienne avec des boulettes de viande, mijotait sur le feu tandis que la jeune femme séparait les déchets alimentaires des autres déchets. Le recyclage est devenu l’une des nouvelles habitudes de Ghanya depuis qu’elle a emménagé avec son mari et leur petit garçon à Tafilalet.

En échange des déchets alimentaires, lesquels sont récupérés pour nourrir les animaux du zoo local ouvert récemment, elle obtient du lait et des œufs frais gratuitement, dans le cadre du programme de recyclage local. « Le recyclage est devenu une habitude à Tafilalet », a expliqué Ghanya à MEE. « C’est un accord équitable : nous aidons à recycler les déchets organiques et, en retour, nous sommes autorisés à manger ce que la communauté produit. »

Après une montée éprouvante jusqu’au sommet du jardin à flanc de colline, Abdelaziz, coiffé d’un bonnet de laine noir rabattu sur le front et vêtu d’une veste bleue, a commencé à creuser des trous pour planter des bougainvilliers. « Il n’y a pas assez de place pour un potager. Voilà pourquoi nous étendons l’éco-parc », a indiqué le jardinier de 45 ans à MEE, désignant un groupe de maçons juste à côté en train de construire des clôtures sur un niveau inférieur.

Un maçon construit une clôture dans le parc écologique (MEE/Djamila Ould Khettab)

Près d’Abdelaziz, Mohamed supervisait la construction en profitant d’une vue incomparable sur la palmeraie de Beni Isguen.

« Une fois l’expansion terminée, les habitants devront faire pousser des plantes et des légumes dans le cadre du programme de partage de la nourriture de la ville. Les récoltes qui en résulteront seront gratuites pour tout le monde », a précisé à MEE l’inspecteur en bâtiment vêtu d’un sarouel, le pantalon traditionnel algérien. « Nous aspirons tous à devenir autosuffisants sur le plan alimentaire. »

L’éco-parc de Tafilalet abrite une grande variété de palmiers dattiers, d’arbres fruitiers et d’arbustes qui poussent sans l’utilisation d’engrais chimiques ou de pesticides. Le jardin présente également un large éventail d’espèces de plantes médicinales, notamment la lavande, la verveine et le romarin.

« Tafilalet sera équipée d’un laboratoire pharmaceutique sophistiqué dans un avenir proche. Nous prévoyons de produire nos propres remèdes traditionnels », a déclaré Mohamed, qui était parmi les premiers habitants de cette ville écologique saharienne.

Un sol de mauvaise qualité

Cependant, faire fleurir ce désert est difficile à plus d’un titre. « Nous avons dû couvrir entièrement le sol rocheux avec quatre couches de terre arable. Il nous a fallu trois ans pour être en mesure de commencer à faire pousser la moindre plante en raison de la mauvaise qualité du sol », a expliqué Abdelaziz. Ces défenseurs de l’écologie du Sahara ont également mené des expériences sur des stratégies durables contre les pénuries d’eau. Ils ont commencé à tester un système innovant de traitement des eaux usées.

« Rien ne se perd, tout se transforme à Tafilalet », a déclaré Mohamed, montrant trois réservoirs et des tuyaux en béton, mis en place dans un coin de l’éco-parc. « Nous utilisons la technique de la phyto-épuration et, jusqu’à présent, c’est assez réussi. Nous avons pu arroser les plantes médicinales avec l’eau recyclée », a-t-il poursuivi.

À Tafilalet, le respect de l’environnement est la priorité de tous. Alors que dans le reste du pays des sacs poubelles débordants polluent encore les trottoirs, les rues étroites de la charmante ville saharienne sont exemptes de détritus. Outre les équipes de ramassage des ordures, les familles sont en charge du nettoyage de leur quartier par rotation d’une semaine.

« C’est le travail des hommes », a rapporté Meriem, une femme de 34 ans drapée dans un haïk (vêtement traditionnel blanc allant de la tête aux pieds et ne laissant apercevoir qu’un seul œil). « En outre, les familles ne sortent pas les poubelles avant 19 heures afin que l’odeur des poubelles qui pourrissent n’emplisse pas l’air », a-t-elle ajouté.

Cette communauté subsaharienne avant-gardiste en matière d’environnement a également choisi la formation la plus verte possible pour les jeunes. À l’école, on enseigne aux enfants des questions environnementales complexes et ils se rendent régulièrement dans l’éco-parc. « De cette façon, nous nous familiarisons avec la diversité des espèces de plantes », a déclaré Ayoub, le fils de Meriem âgé de 7 ans, à MEE.

« Ce qui me plaît le plus à Tafilalet, c’est que personne ici n’a une mentalité consumériste. En fait, il n’y a qu’une rue commerçante dans la ville. Nous nous efforçons de construire une vie durable, mettant l’accent sur ce qui compte vraiment », a affirmé à MEE Ali Ramdani, un forgeron de 40 ans portant un calotte mozabite traditionnelle.

Un projet respectueux de l’environnement à but non lucratif

Tafilalet n’a pas toujours été une oasis florissante. Il y a vingt ans, un groupe d’intellectuels, d’architectes et de scientifiques originaires du ksar (« château » en arabe) de Beni Isguen, se sont regroupés et ont créé la Fondation Amidoul dans le but de lutter contre la crise du logement locale. « À cette époque, des milliers de personnes vivaient dans des bidonvilles dispersés dans la vallée du M’Zab parce qu’il y avait trop peu de maisons, qui coûtaient souvent trop cher », a raconté à MEE Ahmed Nouh, un ancien pharmacien qui dirige désormais la Fondation Amidoul.

Ahmed Nouh (au centre) explique le projet Tafilalet à des écotouristes algériens (MEE/Djamila Ould Khettab).

Alors que le gouvernement a lancé un programme de logement sans précédent, en utilisant les recettes engendrées par le pétrole pour construire des villes-dortoirs à travers le pays, la Fondation Amidoul a acheté une colline rocheuse dans le but de la transformer en une ville respectueuse de l’environnement, en fournissant des logements à des gens à faible revenu.

« Tafilalet est une initiative populaire avec une conscience à la fois écologique et sociale qui veut reloger les familles sans abri, tout en préservant la façon dont la communauté mozabite [peuple berbère amazighophone originaire de la vallée du M’Zab] vivait en harmonie avec la nature », a expliqué Nouh.

« Le Saint Coran nous enseigne à nous entraider. C’est le véritable islam », a-t-il ajouté. Son bureau est décoré de plusieurs images du désert algérien. « Voilà comment était Tafilalet au départ. Il n’y avait tout simplement rien », a poursuivi Nouh, montrant une photo d’une zone désertique isolée prise en 1997.

Logement à prix réduit

Selon le président de la fondation, les studios et villas de Tafilalet ont été construits pour un coût « trois fois moins élevé que la moyenne du pays ».

L’organisation à but non lucratif n’attend pas des habitants que ceux-ci paient en une seule fois. « Nous voulons des jeunes couples et familles qui ont besoin de posséder l’endroit où ils vivent. Voilà pourquoi nous leur donnons la possibilité d’étaler le coût de la propriété sur des années », a expliqué Nouh.

« Nous n’aurions jamais osé rêver de nous offrir une maison aussi confortable, meublée et spacieuse sans cet échéancier de paiement », a confirmé Meriem, assise dans son magnifique salon.

« Si une société travaille et prend soin de sa terre, les gens ne pensent pas à risquer leur vie pour aller ailleurs et même si certains s’installent à l’étranger pour travailler, ils finiront par retourner dans leur pays », a déclaré Nouh.

Mais tout le monde ne peut pas résider dans la première ville écologique d’Algérie. « La vie à Tafilalet est régie par une charte verte que tous les habitants ont dû signer avant d’acheter une propriété », a signalé Nouh. « Notre charte verte comprend l’obligation, entre autres, pour tous les occupants de planter et cultiver trois arbres : un palmier et deux sortes d’arbres fruitiers. »

« Tafilalet a été créée avec l’idée que les humains et la nature peuvent coexister », a déclaré à MEE Moussa Amara, le concepteur de cette éco-ville, qui vient de rentrer d’une exploration à Tamanrasset, ville de l’extrême sud de l’Algérie.

Les rues et jardins de Tafilalet sont immaculés, des conteneurs de recyclage sont placés à intervalle régulier le long des routes (MEE/Djamila Ould Khettab).

Tafilalet a été calquée sur Ghardaïa, un site inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO, connu notamment pour ses maisons blanchies à la chaux serrées les unes contre les autres. « Les cinq villes de Ghardaïa ont certainement été une source d’inspiration pour nous. Nous avons conservé les maisons traditionnelles mozabites car c’est un modèle d’écoconstruction et de bâtiment économe en énergie. Nous n’avons ajouté qu’un nouvel élément : un patio », a expliqué Amara.

Neïla, la belle-sœur de Ghanya récemment arrivée d’Alger, admire l’éco-conscience des habitants de Tafilalet, qui a reçu le Prix de la Ligue arabe pour l’environnement en 2014. « Ils nous donnent une leçon de citoyenneté. Nous ne devrions pas attendre des réformes écologiques du gouvernement. Le peuple algérien devrait prendre des initiatives qui peuvent potentiellement affecter de manière positive l’environnement. »

Ghanya acquiesce : « Tout le monde peut aider à changer les choses. »

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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