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Tourisme : de nouveaux visiteurs pour la nouvelle Tunisie ?

Quatre ans après la révolution, le tourisme en Tunisie connaît encore des difficultés mais cette nouvelle démocratie semble attirer un nouveau type de visiteurs
Le secteur du tourisme en Tunisie représenterait 7 % du produit intérieur brut du pays et est considéré comme vital pour soutenir l’économie (MEE/Christine Petre)

En 2014, la capitale tunisienne est entrée dans le palmarès « Best Trips 2015 » du National Geographic, le classement annuel des meilleures destinations touristiques au monde. Sur le plan politique, une nouvelle constitution a été rédigée et des élections démocratiques se sont tenues l’année passée. Cependant, l’économie du pays reste sous tension malgré ces succès politiques. Le secteur du tourisme en Tunisie représenterait 7 % du produit intérieur brut du pays et est considéré comme vital pour soutenir l’économie. Pourtant, le nombre de touristes déçoit encore, quatre ans après la révolution qui a renversé l’ancien dirigeant, Zine el-Abidine Ben Ali.

La médina de Tunis

Une zone qui est particulièrement dépendante du tourisme est la partie ancienne de la capitale, la médina. A l’entrée de la vieille ville se dresse Bab el-Bahr (« la porte de la mer »), construite en 1848, et surtout connue sous son nom colonial de « porte de France ». Elle accueille les visiteurs dans la médina de 270 hectares, un site inscrit au patrimoine de l’UNESCO, qui abrite la mosquée Zitouna, des madrasas (écoles islamiques) et des mausolées affichant des restes de tuiles et autres éléments de l’architecture originelle remontant au VIIIe siècle.

« Il y a tellement d’opportunités ici », déclare Leila Ben-Gacem, qui gère un hôtel boutique dans l’une des étroites ruelles remplies de petits magasins, véritable labyrinthe pour un novice où vous trouvez non seulement des stands touristiques mais aussi des artisans fabriquant des articles traditionnels. « Nous sous-estimons les opportunités offertes par notre histoire et notre culture ; il y a tant de choses à montrer », ajoute-t-elle, faisant allusion à la richesse du patrimoine archéologique et architectural tunisien présent dans la médina.

Son hôtel boutique, Dar Ben Gacem, qui dispose de sept chambres dans le style tunisien traditionnel et qui est niché dans une des ruelles les plus reculées de la médina, a récemment reçu le prix « Travellers’ Choice 2015 » de TripAdvisor. L’idée est d’offrir aux visiteurs une expérience authentique, qui enrichira leurs connaissances de la médina et de sa riche histoire. Au souk des chéchias, par exemple, des chapeaux de laine tunisiens sont fabriqués à l’endroit même où ils l’ont été pendant des siècles.

Dar Ben Gacem a récemment reçu le prix « Travellers’ Choice 2015 » de TripAdvisor (MEE/Christine Petre)

Les ruelles touristiques les plus fréquentées comprennent la rue Jemma el-Zitouna et la rue de la Kasbah, où l’une après l’autre s’alignent les boutiques de souvenirs. « La plupart des touristes viennent d’Allemagne, d’Espagne, d’Italie et de France », explique Gortal, un commerçant âgé de 53 ans qui vend des antiquités ici depuis plus de vingt ans. « Mais c’est calme en ce moment », déclare-t-il, en contemplant la ruelle vide. « Si Dieu le veut, ça ira mieux bientôt », mais il explique, en montrant la pluie battante, que c’est la basse saison.

« Un pays en transition n’est pas un pays attractif »

Basse saison ou non, le pays n’a pas encore réussi à revenir aux chiffres générés par le secteur touristique en 2010, avant la révolution. La période postrévolutionnaire a été marquée par des manifestations, des grèves, des assassinats politiques, des attentats terroristes et l’insécurité le long des frontières, en particulier avec le pays voisin, la Libye, où la situation est tendue. En janvier 2015, le nombre de touristes était en baisse de 21 % par rapport au même mois l’année dernière, selon l’agence de presse nationale tunisienne. L’attaque terroriste contre un journal satirique le 7 janvier à Paris a eu un effet négatif sur les réservations françaises en Tunisie, des annulations « irrationnelles » selon l’ancien ministre du Tourisme, Amel Karboul. Selon la même source, les trois quarts des 269 065 voyageurs qui ont visité le pays étaient d’origine maghrébine.

« Nos forces de sécurité maîtrisent de mieux en mieux la situation », affirme Zied Chargui, ajoutant que c’est une condition préalable au retour en nombre des touristes.

« De nombreux clients viennent ici pour travailler », explique Rafik Mebbeb, serveur à el-Ali, l’un des cafés les plus populaires de la région qui est décrit par le National Geographic comme un « café serein, jonché de livres, et un centre culturel où la citronnade acidulée aux amandes est servie sur une terrasse faisant face au minaret de l’ancienne mosquée Zitouna construite dans le style almohade. » Près de la moitié de ses clients ne sont pas tunisiens, estime Rafik Mebbeb, et nombre d’entre eux sont en Tunisie pour affaires plutôt que pour le tourisme. « Les gens ont peut-être peur », estime le serveur de 26 ans pour essayer d’expliquer la baisse du nombre de touristes de ces dernières années. « Nous devons trouver une solution au terrorisme », dit-il, « trois à cinq ans seront peut-être nécessaires pour améliorer la Tunisie. »

Cependant, Inge Bemorabe, touriste danoise qui en est à sa deuxième visite en Tunisie, n’a pas peur. « Cette fois, nous logeons à Sousse, mais nous sommes à Tunis pour la journée », explique-t-elle lorsque nous nous rencontrons dans l’une des ruelles les plus passantes. « Nous aimons la Tunisie », assure son compagnon Aslam Khan, d’origine pakistanaise, qui est en Tunisie pour huit jours de voyage à travers le pays malgré la basse saison.

Un nouveau type de tourisme ?

« Un pays en transition n’est pas un pays attractif », admet Leila Ben-Gacem. Cependant, la Tunisie semble désormais attirer davantage un autre type de visiteurs. Avant la révolution, pendant l’ère Ben Ali, les touristes n’étaient guère encouragés à dialoguer avec la population locale et la plupart des touristes se tournaient uniquement vers les villes côtières de Hammamet et Sousse où les hôtels offrent des forfaits tout compris. « Nous étions habitués aux visiteurs qui ne venaient pas ici parce qu’ils étaient intéressés par les habitants ou l’histoire », affirme Leila Ben-Gacem, qui perçoit une transformation dans le type de visiteurs logeant dans son hôtel. Maintenant, les visiteurs comprennent davantage d’investisseurs, d’employés d’ONG, de journalistes, de blogueurs, de chercheurs et d’historiens qui souhaitent connaître le pays. « C’est nouveau en Tunisie. »

(MEE/Christine Petre)

« Je ne suis pas sûre que la Tunisie soit prête pour ce nouveau type de visiteurs », admet Leila Ben-Gacem. Beaucoup de ses clients n’étaient pas en mesure de venir pendant le règne de Ben Ali mais maintenant que les portes du pays sont grandes ouvertes, ce créneau touristique est quelque chose dont la Tunisie devrait profiter, affirme la propriétaire de l’hôtel. « Nous devons apprendre à mieux accueillir ce nouveau type de visiteurs et adapter l’image de marque de la Tunisie en conséquence », explique-t-elle.

La chute de Ben Ali a également ouvert de nouvelles perspectives dans le secteur du tourisme. Avant la révolution, tout était contrôlé par l’Etat, mais aujourd’hui, c’est à la société civile et au secteur privé d’être créatifs dans la façon de promouvoir leur pays, explique la propriétaire de l’hôtel boutique. Parmi ces tentatives novatrices figure la page Facebook « Je serai en Tunisie le... », manière inventive d’encourager les visiteurs à partager des photos du pays. « Nous devons être plus innovants dans la promotion et la création d’événements dans plusieurs régions pour diffuser les spécificités historiques, culturelles et traditionnelles de chaque ville », affirme son fondateur, Zied Chargui, employé à l’Office national du tourisme tunisien. La baisse du nombre de touristes ne l’a pas surpris. Selon lui, « c’est une conséquence logique de l’instabilité politique. »

Des défis à relever

Même avec un nouveau type de visiteurs, certains aspects du secteur du tourisme doivent s’améliorer, affirme Leila Ben-Gacem. Par exemple, le service : « nous devons être fiers de servir les gens », précise-t-elle en ajoutant que la mentalité doit changer dans ce domaine.

La diversité est aussi un facteur essentiel pour attirer un groupe de visiteurs plus important et plus diversifié. Toutefois, l’accessibilité de la Tunisie doit, ce faisant, s’améliorer. Les vols sont relativement coûteux. « Rome est à 45 minutes », indique Leila Ben-Gacem, qui demande : « Pourquoi devrions-nous payer autant ? » Aujourd’hui, aucune compagnie aérienne à bas prix n’opère en Tunisie, ce qui signifie que les voyageurs ayant un petit budget choisissent parfois une destination moins chère. Une meilleure promotion pourrait être une possible solution, d’après elle. « Je ne pense pas que nous nous vendons comme le mérite la Tunisie. »


Traduction de l'anglais (original).
 

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