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Dix ans après son lancement, le BDS est une « menace stratégique de premier ordre » pour Israël

Lancé par des Palestiniens il y a dix ans, le mouvement BDS a suscité des actions dans le monde entier – et la peur au sein de l’élite israélienne
Des gens manifestent contre le BDS à Cape Town le 13 février 2015 (AFP)

Avec le 10e anniversaire du mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) le mois prochain, la campagne internationale visant à isoler Israël a fait les gros titres de la presse mondiale et constitue une source de préoccupation au plus haut sommet de la société israélienne.

Début juin, une question a agité la presse internationale : Stéphane Richard, le PDG du géant français Orange, était-il devenu l’un des plus importants hommes d’affaires au monde à manifester son appui au BDS ? Ce dernier a rapidement démenti ces allégations et a déclaré que ses propos avaient été retirés de leur contexte. Peu avant, le BDS avait attiré l’attention générale en faisant pression sur la FIFA afin d’en exclure Israël.

La fédération palestinienne de football a renoncé au tout dernier moment à demander l’exclusion d’Israël, mais les dirigeants du BDS insistent sur la nécessité d’en faire plus.

Le mouvement BDS a débuté le 9 juillet 2005, lorsque 171 organisations de la société civile palestinienne se sont regroupées et ont décidé d’essayer une nouvelle approche pour lutter contre l’occupation. Depuis lors, le mouvement s’est étendu jusqu’à inclure des centaines de campagnes sur les six continents.

Elles vont des pressions sur les investisseurs (tels que les églises, les syndicats et les universités) pour qu’ils se désengagent des sociétés détenant des contrats militaires israéliens, aux boycotts de consommateurs, en passant par les appels aux musiciens et autres artistes à annuler leurs prestations en Israël et aux demandes de sanctions par les gouvernements.

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Toutes ces initiatives partagent trois revendications enjoignant Israël de mettre fin à l’occupation et la colonisation des terres arabes et de démolir son mur de séparation en Cisjordanie, d’accorder la pleine égalité à sa minorité de citoyens palestiniens, et de permettre le retour des réfugiés palestiniens.

Ces objectifs, selon les activistes, donnent unité et cohésion à un mouvement diversifié.

« Beaucoup – qu’ils soient adversaires ou partisans de la justice – se sont interrogés sur la viabilité et l’"aspect pratique" de ces trois exigences », a rapporté Riham Barghouti, membre fondatrice de la Palestinian Campaign for the Academic and Cultural Boycott of Israel et co-fondatrice d’Adalah-NY: The New York Campaign for the Boycott of Israel.

« [Toutefois,] le fait que tant de syndicats, d’églises, de groupes universitaires (étudiants et professeurs), d’organismes communautaires et même d’organismes gouvernementaux répondent à cet appel montre le potentiel de ce mouvement. »

L’accent mis sur ces revendications permet également d’innover, a indiqué Maia Hallward, professeure de sciences politiques et de relations internationales à la Kennesaw State University et auteure de l’ouvrage Transnational Activism and the Israeli-Palestinian Conflict. « Il est possible de l’adapter à des contextes différents et de le lier à d’autres mouvements. »

Son cadre mondial le rend également particulièrement accessible. Contrairement à beaucoup de conflits dans le monde, qui n’offrent aux observateurs étrangers que peu d’occasions d’agir, le mouvement BDS indique clairement la voie à suivre aux partisans de la Palestine.

« Le BDS est un moyen pour la communauté internationale de dire : si vous n’appréciez vraiment pas ce qui se passe avec l’occupation ou ce que fait Israël, alors voici ce que vous pouvez faire », a déclaré Rabab Abdulhadi, professeure associée d’études ethniques à la San Francisco State University et membre fondatrice du collectif coordinateur de l’US Campaign for the Academic and Cultural Boycott of Israel.

De « formidables tremplins »

Au cours des dix dernières années, les propres actions d’Israël ont contribué à alimenter le mouvement : au fur et à mesure des opérations militaires israéliennes, il a gagné de nouveaux militants et ses campagnes ont remporté de nouveaux succès.

« Tous ces crimes et massacres ont servi de formidables tremplins à la campagne BDS », a signalé Ofer Neiman, un membre du groupe israélien Boycott! Supporting the Palestinian BDS Call from Within. « Beaucoup de gens à travers le monde ont réalisé la nature du régime en Israël. »

Le bilan sans précédent de l’offensive de l’année dernière à Gaza a particulièrement stimulé le mouvement dans les traditionnels bastions de soutien à Israël, comme les États-Unis et le Royaume-Uni, a-t-il précisé.

Ces efforts incluent les campagnes de désengagement de la part des associations étudiantes et des administrations des universités, ainsi que les boycotts universitaires des institutions israéliennes.

La combinaison de ces initiatives locales avec des campagnes plus vastes, comme celle visant à obtenir la suspension d’Israël de la FIFA, semble avoir sérieusement ébranlé les dirigeants israéliens.

Lors d’une réunion avec le Conseil des présidents des universités israéliennes ce mois-ci, le président israélien Reuven Rivlin a qualifié les boycotts universitaires de « menace stratégique de premier ordre ».

« Je ne pensais pas qu’il y aurait un véritable danger pour les universités israéliennes, mais le climat mondial évolue, il est donc impossible de ne pas considérer ce problème comme une menace stratégique », a-t-il dit.

Peretz Lavie, qui préside le Conseil ainsi que l’Institut israélien de technologie Technion, a souligné à Reuven Rivlin que « les organisations étudiantes anti-Israël étaient autrefois très peu nombreuses ; désormais, il en existe dans toutes les grandes universités. »

Ruth Arnon, présidente de l’Académie israélienne des sciences et des lettres, s’inquiétait également.

« Nous ne pouvons pas ignorer le fait que le BDS a suscité de grandes campagnes de relations publiques en faveur du boycott », a-t-elle expliqué.

Puis, lors d’une réunion du cabinet dimanche dernier, le Premier ministre Benjamin Netanyahou a prévenu : « Nous sommes au cœur d’une grande lutte menée contre l’État d’Israël, une campagne internationale à son encontre. »

Cette rhétorique a été soutenue par des actions et Israël a consacré davantage de temps et d’énergie à essayer d’écraser le BDS.

Israël a maintenant éliminé tous les obstacles pour qu’Orange reste dans le pays. Benjamin Netanyahou a invité le PDG de l’entreprise à visiter le pays, et Stéphane Richard a affirmé être « radicalement opposé » à tout boycott commercial d’Israël.

Le 25 mai, Benjamin Netanyahou a nommé Gilad Erdan en tant que ministre de la Sécurité publique, des affaires stratégiques et de la diplomatie publique, le chargeant de la réponse d’Israël à l’activisme BDS ainsi que du programme nucléaire iranien.

Les « institutions nationales » d’Israël – soi-disant privées, mais jouant des rôles clés dans l’administration publique – ont également accru leurs activités.

L’Agence juive, précurseur de l’État d’Israël aujourd’hui responsable de la coordination de l’immigration juive, a annoncé le 19 mai qu’elle avait réagi aux campagnes BDS sur les campus en recrutant des agents dans plus de quatre-vingt écoles et universités.

Le week-end dernier, les plus grands bailleurs de fonds pro-israéliens, avec à leur tête le magnat des casinos Sheldon Adelson, ont accueilli des représentants des lobbys lors d’un sommet privé à Las Vegas afin de « trouver les meilleures stratégies » pour contrer les partisans de Palestine sur les campus universitaires. Le rassemblement aurait collecté 20 millions de dollars pour soutenir leur propre campagne sur les campus, sur un objectif de 50 millions de dollars.

Israël et ses partisans cherchent également à entraver le mouvement via la législation et la justice.

Au cours des dernières années, Israël a adopté une loi soumettant les partisans du BDS à des sanctions civiles, a tenté en vain de poursuivre douze militants en France, a engagé des recours judiciaires contre les universitaires critiques comme Jake Lynch de l’Université de Sydney, et a même envisagé de poursuivre une coopérative américaine pour son boycott des produits israéliens.

« Elles ont souvent un effet contre-productif »

Toutefois, ces mesures brutales échouent généralement. Et la dernière manœuvre aux États-Unis (une série de lois qui pénalisent le mouvement) n’a pas davantage de chances de réussir.

Le mois dernier, Abraham Foxman, directeur de l’organisation non-gouvernementale juive basée aux États-Unis Anti-Defamation League, a averti les partisans d’Israël : « Une loi qui interdit les activités du BDS menées par des groupes privés, des entreprises ou des universités frappe en plein cœur la liberté d’expression protégée par le Premier Amendement ; elle sera contestée devant les tribunaux et risque d’être invalidée.  »

Après avoir menacé le mois dernier de poursuivre les partisans du BDS en vertu des lois canadiennes sur les crimes de haine, le ministère de la Sécurité publique du pays semblait faire marche arrière face aux nombreuses critiques.

Selon certains militants, les échecs de ces efforts illustrent l’une des forces du mouvement.

« Le BDS est un mouvement populaire, » a déclaré S. El-Said, membre du groupe BDS-Suisse, à MEE. « Israël ne peut pas appeler le président d’un pays pour l’arrêter. »

Beaucoup de personnes confrontées aux mesures visant à freiner le mouvement BDS s’attendent également à ce qu’elles produisent l’inverse des effets escomptés.

« Les menaces visant à réprimer le BDS semblent conçues pour intimider les militants et décourager ceux qui pourraient être enclins à participer aux campagnes », a indiqué Sid Shniad, membre du comité de pilotage national de Voix juives indépendantes du Canada. « Cependant, comme toutes les campagnes enracinées dans la censure et la suppression des informations, elles ont souvent un effet contre-productif. »

« Se concentrer uniquement sur l’occupation israélienne »

Pourtant le BDS est toujours confronté à une série de sérieux défis internes qui pourraient saper le mouvement et son efficacité alors que celui-ci continue de se développer.

Le mouvement s’étant adapté pour inclure un large éventail d’activités qui incluent le boycott des produits fabriqués dans les colonies israéliennes en Cisjordanie et les désinvestissements des marchands d’armes, certains partisans commencent à s’inquiéter du fait que la grande popularité de certains de ses aspects pourrait nuire à la profondeur de sa vision.

Ces campagnes, la plupart des militants en convient, sont les plus faciles à organiser et à réussir, en particulier dans les pays occidentaux. Toutefois, vues de l’extérieur du mouvement, elles peuvent échouer à exprimer le soutien apporté aux réfugiés palestiniens et à ceux qui vivent au sein d’Israël – une division qui pourrait fragmenter le mouvement.

« Malgré la clarté des exigences, la plus grande partie du mouvement se concentre toujours uniquement sur l’occupation israélienne », a déclaré Riham Barghouti. « Nous devons trouver des façons de définir plus clairement les campagnes qui favorisent les trois revendications du mouvement. »

Outre ces préoccupations, certains détracteurs du mouvement ont exprimé leur soutien aux campagnes axées sur l’occupation de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, mais pas au retour des réfugiés et à un meilleur traitement des citoyens palestiniens d’Israël, qui sont exclus économiquement et socialement.

En 2012, un partisan du « BDS sioniste », Peter Beinart, avait défendu une mesure sud-africaine soutenue par des militants du BDS exigeant l’étiquetage des produits provenant des colonies. « En distinguant les produits en provenance de la zone démocratique d’Israël et ceux de sa zone non démocratique, l’Afrique du Sud renforce la ligne verte, consolidant ainsi la légitimité d’Israël à l’intérieur de ses frontières d’origine », avait-t-il écrit. Ceux qui s’opposent à un tel étiquetage séparé « font le jeu du mouvement BDS favorable à un seul État », avait-il ajouté.

En mars, le politologue Norman Finkelstein, partisan de deux États, a ulcéré des militants du BDS en saluant ce qu’il considérait comme une volonté de compromis de leur part.

« Ils ont eu un impact réel », a-t-il confié à MEE. « Cependant, cela s’est fait au détriment de leur propre programme », a-t-il ajouté, faisant apparemment référence aux trois revendications du mouvement. « Le programme du BDS a payé le prix de chaque victoire. »

Les détracteurs du mouvement dénoncent souvent sa revendication du retour des réfugiés palestiniens. Norman Finkelstein prévient  : « Si nous mettons fin à l’occupation, ramenons 6 millions de Palestiniens et accordons les mêmes droits aux Arabes et aux juifs, il n’y a pas d’Israël. » Peter Beinart s’est fait l’écho de ces critiques, ajoutant que sa revendication de mettre fin à l’occupation du plateau du Golan en Syrie était « insensée». Pendant ce temps, certains Palestiniens se demandent si la campagne BDS va assez loin.

L’écrivain et photographe Yazan Khalili a écrit l’année dernière que le programme immédiat du BDS « permet à l’appareil qui a créé ces atrocités de survivre et de continuer à exister. D’une certaine manière, cela revient à accorder la liberté au peuple d’Afrique du Sud tout en conservant le système d’apartheid ». Alors que le mouvement se prépare à célébrer son 10e anniversaire, ces débats sont partis pour durer.
 

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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