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Le verdict de Mohamed Morsi pourrait alimenter un cycle de violence sans fin

Le verdict génère un tollé international des associations de défense des droits de l’homme et la condamnation des membres des Frères musulmans

Un tribunal du Caire a confirmé mardi la peine de mort pour le président déchu Mohamed Morsi pour des évasions de prison qui se sont produites pendant le soulèvement de 2011. Des condamnations à mort ont également été confirmées pour cinq dirigeants des Frères musulmans, y compris le guide suprême du groupe Mohamed Badie, et 94 autres par contumace. Le tribunal a également confirmé pour la même affaire les condamnations à vie pour 20 autres membres éminents des Frères musulmans désormais interdits.

Plus tôt dans la journée, le même tribunal avait confirmé les condamnations à vie pour Mohamed Badie et l'ancien président dans une affaire distincte liée à des accusations de « conspiration avec des groupes étrangers ». Quinze autres personnes ont également été condamnées à des peines de prison à vie alors que des peines de mort ont été confirmées pour 16 accusés (13 d'entre eux par contumace) dans ce qui est appelé par les médias égyptiens l’  « affaire d'espionnage ». Les condamnations dans ce deuxième cas ont été fondées en grande partie sur le témoignage d'agents de sécurité affirmant que Mohamed Morsi et les autres défendeurs avaient organisé des « fuites d'informations classifiées vers l'Iran, le Hamas et le groupe chiite libanais Hezbollah ».

Mohamed Morsi purge déjà une peine d'emprisonnement de vingt ans dans une troisième affaire pour avoir prétendument « ordonné la torture et des arrestations de manifestants » au cours de son mandat d'un an au gouvernement.

Les dernières condamnations à mort, initialement prononcées aux accusés mi-mai, avaient été renvoyées devant le Grand Mufti - la plus haute autorité religieuse de l'Egypte - pour approbation. Les avocats des accusés ont annoncé qu'ils allaient faire appel, une action qui pourrait laisser la décision finale à la Haute Cour.

La confirmation du verdict du mois dernier a attiré un tollé des associations de défense des droits de l’homme et la condamnation des membres des Frères musulmans. Le site officiel des Frères musulmans a qualifié la décision d’« illégitime », jurant que « les responsables de ce verdict devraient rendre des comptes pour ce crime ». La déclaration a dit regretter que « les violations » commises par le régime actuel aient « obligé les jeunes à recourir à la violence ». Il était difficile de savoir si cela signifiait une escalade potentielle de la violence contre l'armée et la police en Egypte dans les jours et semaines à venir. Des groupes militants en faveur des Frères musulmans ont revendiqué la responsabilité des attaques menées contre le personnel de sécurité au cours des deux dernières années, tandis que les Frères musulmans ont assuré qu'ils continueront leur lutte avec des moyens pacifiques.

La semaine dernière, cependant, comme un signe possible que les militants pourraient envisager d'élargir leur insurrection, deux militants ont été tués dans une attaque, qui aurait été stoppée par la police, à l'extérieur du temple de Karnak à Louxor.

Pendant ce temps, Sondos Asem, qui avait travaillé comme secrétaire de la presse étrangère sous le gouvernement de Morsi et l'une des personnes condamnée à mort par contumace dans l’ « affaire d'espionnage », a critiqué le verdict de mardi, décrivant le système judiciaire comme « complètement politisé ». Dans un message posté sur sa page Facebook, elle a averti que la situation en Egypte s’est « détériorée » et que la vie de nombreux jeunes révolutionnaires comportait des risques.

Human Rights Watch (HRW) a dénoncé les procès dans les deux cas comme étant « viciés », et les accusations portées contre les accusés comme étant « à caractère politique ». Dans un communiqué publié sur son site web peu après que les verdicts aient été annoncés, le groupe de défense des droits l'homme a déclaré que les procès avaient été entachés de « violations d'une procédure régulière » car il n'y avait « aucune preuve - autre que le témoignage infondé d'officiers militaires et de police - pour soutenir dans les deux cas la condamnation des défendeurs ». De plus, HRW a appelé à un nouveau procès pour les accusés avec des procédures « qui répondent aux normes internationales de procès équitable ».

Faisant écho à l'appel d'un nouveau procès, Mohamed el Messiry, chercheur à Amnesty International, a également déploré ce qu'il a appelé la « partialité » (de la justice égyptienne) contre les Frères musulmans et le manque de responsabilité des forces de sécurité. Interviewé par Global Post mardi, il a dénoncé la violence de la police, qui avait entraîné la mort de « plus de 1 000 personnes en une seule journée, le 14 août 2013, » rappelant que les responsables avaient échappé à la justice.

La réaction dans les rues pour les dernières condamnations à mort de masse était beaucoup plus modérée. Rien d’étonnant, le pays a été profondément divisé depuis que Mohamed Morsi a été évincé par des manifestations soutenues par les militaires en juillet 2013 et il existe une animosité généralisée envers les Frères musulmans, souvent blâmés par les Egyptiens pour les attaques continuelles de violence dans le pays.

Le média pro-gouvernement égyptien a alimenté la haine contre le groupe islamiste à travers son soutien aveugle à la « guerre contre le terrorisme » et son dénigrement persistant de l'ancien gouvernement Morsi. Depuis le renversement de Morsi, les partisans du gouvernement qui l’ont remplacé, soutenus par l'armée, ont tacitement accepté les meurtres de centaines de partisans des Frères musulmans par les forces de sécurité, l'emprisonnement de dizaines de milliers d'autres et, selon certains rapports, la torture généralisée et les mauvais traitements de détenus dans les postes de police et dans les prisons. Pendant ce temps, la majorité des égyptiens est restée silencieuse face à des peines de mort prononcées en masse l'an dernier contre plus de 1 000 personnes, la majorité d'entre eux étant des sympathisants des Frères musulmans.

Beaucoup semblent avoir « oublié » ou ont choisi d'ignorer qu'une commission d'enquête nommée en avril 2011 (quelques mois après que Moubarak ait été contraint de démissionner) par le Premier ministre Essam Sharif et dirigée par la Cour de cassation du Caire avait accusé le ministre de l'Intérieur de Moubarak, Habib el-Adly, pour les évasions de prison. Il avait donné des ordres aux officiers supérieurs afin d'ouvrir les prisons et permettre aux détenus (y compris les voyous et les criminels) de s’échapper, tentant de créer le chaos dans les rues et, ainsi, arrêter les révolutionnaires, avait révélé la commission à l'époque.

Un policier interrogé peu après la révolution dans le talk-show de Mahmoud Saad sur la chaîne privée Al-Nahar avait admis qu'il avait reçu des instructions directes pour « libérer les prisonniers ». Selon un article publié dans Al-Ahram en ligne en juillet 2011, la sœur du major-général Mohamed el- Batran, un officier supérieur qui a été abattu et tué à la prison el-Kat le 29 janvier 2011, a déclaré au site d’information qu'il avait été délibérément tué par un collègue pour avoir refusé d'obéir aux ordres de commandants supérieurs afin de permettre aux prisonniers de s'échapper.

Plus de quatre ans après, tout ce qui reste sont des détails sommaires qui sont devenus encore plus flous en raison, entre autres choses, d’une campagne médiatique délibérée qui a constamment diabolisée la Fraternité. Malgré la marginalisation, les Frères musulmans, un groupe traditionnellement clandestin, a, pendant des décennies, survécu à plusieurs mesures de répression des gouvernements successifs.

Les tentatives visant encore une fois à écraser impitoyablement l'opposition peuvent entraîner le pays dans un cycle apparemment sans fin de violence et de contre -violence. Ces tentatives peuvent aussi radicaliser l’opposition, la forçant à s’associer encore plus étroitement avec les militants les plus violents. Si cela se produit, il n'y aura ni paix ni la stabilité ... et certainement pas de gagnants ni d’un côté, ni de l’autre.

- Shahira Amin est une journaliste indépendante basée au Caire. Elle a gagné plusieurs prix dont le Spain’s Julio Anguita Parrado Journalism Award en 2012 et le Global Thinkers Forum’s Excellence in Promoting gender equity Award en 2013.

Les opinions exprimées dans cet article appartiennent à l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Le tribunal du Caire confirme la peine de mort pour l'ancien président égyptien Mohamed Morsi (AFP)

Traduction de l’anglais (original) par Emmanuelle Boulangé.

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