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La fermeture du réseau téléphonique de Gaza illustre les désaccords avec l’AP de Cisjordanie

Même si l’opérateur téléphonique palestinien Jawwal n’a fermé que cinq jours, les résidents et les grandes entreprises de Gaza se préparent à un conflit de plus grande ampleur
Deux réfugiés palestiniens équipés de leur téléphone portable et de leurs traditionnelles clés de maison à Gaza (AFP)

GAZA – Nombreux sont ceux qui, dans l’incapacité de quitter la bande de Gaza, se plaignent d’être coupés du reste de monde. La sensation d’isolement, en raison du blocus israélien actuel, peut être très pesante. C’est pourquoi l’annonce la semaine dernière de la fermeture du siège de l’unique opérateur de téléphonie mobile à Gaza, Jawwal, a rapidement soulevé un vent de panique et de désespoir.

Or ce ne sont pas les Israéliens qui s’en sont pris à Jawwal, mais le procureur général des autorités de facto de Gaza, qui a accusé l’entreprise d’évasion fiscale et a ordonné sa fermeture. Depuis que le Hamas a pris le contrôle de la bande de Gaza en 2006, Jawwal refuse de payer ses impôts aux autorités de Gaza, d’après ces dernières, alors que la filiale de Ramallah s’acquitte de ces obligations auprès de l’Autorité palestinienne (AP).

Bien que Jawwal nie toute allégation d’irrégularités, la société a confirmé à Middle East Eye que les bureaux ont bien été fermés à la suite d’une ordonnance émise par le procureur général, Ismaïl Jabr.

Le directeur général de PalTel, Ammar al-Aker, a contre-attaqué en déclarant dans un communiqué que la fermeture était « une atteinte aux intérêts des citoyens, et ne faisait qu’ajouter à la détresse des habitants de Gaza ».

Un responsable de Jawwal, témoignant sous couvert d’anonymat, a révélé à Middle East Eye que PalTel, le groupe palestinien de télécommunications, société mère de Jawwal, avait même prévu de fermer toutes ses filiales en guise de protestation. S’il était passé à l’acte, toutes les lignes fixes et mobiles ainsi que l’accès à internet auraient cessé de fonctionner.

Alors que règnent la confusion et la désinformation autour de la fermeture de l’opérateur, le malaise grandit parmi la population gazaouie, composée d’1,8 million habitants, et les clients de Jawwal, qui compte 1,3 million d’abonnés. Ils craignent que l’entreprise mette bientôt fin à tous les services de téléphonie mobile, au minimum, dans l’enclave côtière.

Plusieurs agents de Jawwal affirment avoir reçu des avertissements précisant que toute négociation commerciale avec Jawwal entraînerait des amendes. Certains disent même avoir accepté de payer des pénalités à hauteur de 1 320 dollars s’ils vendaient un téléphone ou un service de Jawwal.

Cinq jours après la révélation du scandale, le procureur général a, semble-t-il, fait machine arrière. Dimanche dernier, son bureau annonçait que finalement Jawwal ne cesserait pas ses activités. Aucune raison n’avait été avancée pour justifier la fermeture de l’entreprise par le bureau du procureur général qui, depuis les faits, refuse de commenter l’incident.

Jawwal contre l’autorité du Hamas

La fermeture temporaire de Jawwal en dit long sur les clivages qui se creusent entre Gaza et la Cisjordanie.

Malgré l’annonce d’un gouvernement d’union l’année dernière, le conflit qui oppose depuis si longtemps le Hamas à l’Autorité palestinienne de Ramallah ne montre pratiquement aucun signe d’amélioration et les difficultés financières de Gaza se sont accentuées.

Alors que l’économie souterraine rapportait autrefois 230 millions de dollars de revenus mensuels aux autorités de Gaza, la répression qui sévit du côté égyptien de la frontière a fini par tarir presque totalement cette source de revenus depuis que l’ancien président Mohammed Morsi a été évincé du pouvoir en juillet 2013.

L’administration gérée par le Hamas impose des taxes sur la plupart des marchandises qui transitent par les points de passage de Gaza via Israël. Sont concernés les produits alimentaires, les voitures et les pièces détachées. Ces fonds, qui représentent la dernière source de revenus pour les autorités, sont jugés insuffisants pour financer les services publics de Gaza.

Pire encore, quelque 45 000 agents de la fonction publique à Gaza, recrutés après que le Hamas a pris le contrôle de la bande côtière, ne touchent qu’un salaire partiel qui correspond à 264 dollars par mois, l’AP refusant de reconnaître les employés recrutés par le Hamas.

Les rares grandes entreprises qui réussissent à poursuivre leurs activités dans le climat atone de Gaza se sont retrouvées désorientées, ne sachant auprès de quel gouvernement payer leurs impôts. Comme il est apparu depuis l’annonce de la fermeture, Jawwal a toujours payé ses cotisations à Ramallah, où est hébergé le siège de la société mère, une ambiguïté juridique et une division qui pourraient alimenter de futures altercations.

Ammar al-Aker de PalTel a défendu sa position en soulignant que payer des impôts à un gouvernement dirigé par le Hamas pouvait « entraîner des sanctions à l’encontre de son entreprise de la part des organismes internationaux », et risquait ainsi de lui porter préjudice. Comme ce fut le cas de l’Arab Bank, accusée par un tribunal des États-Unis de soutenir des activités terroristes. 

Cependant, les autorités de Gaza prétendent que l’AP ne met pas les revenus collectés à Gaza au service de la population gazaouie. Au plus fort du conflit, le secrétaire d’État Yousef al-Kayali a révélé à la chaîne de télévision du Hamas, al-Aqsa, que pour chaque dollar collecté à Gaza au titre des impôts, l’AP en réinvestissait moins de la moitié.

Dans un communiqué adressé à Middle East Eye, le Front démocratique pour la libération de la Palestine (FDLP), une petite faction palestinienne, a fortement critiqué la décision des autorités de facto.

« Cette situation risque d’aggraver la crise […] la société Jawwal paie ses impôts à un organe officiel, en l’occurrence le ministre des Finances, selon le consensus qui a été trouvé par le gouvernement », a déclaré le parti.

Selon Tawfiq Hajaj, un vendeur de téléphones portables établi à Gaza, la fermeture de la société risquerait d’entraîner Gaza dans une situation bien pire encore, surtout si l’opérateur devait décider en dernier lieu de couper les services internet à Gaza. Il pense, toutefois, qu’« il est normal que Jawwal paye ses impôts aux autorités de facto à Gaza, qui assurent la sécurité sur le terrain et gèrent les services publics ».

Ils ne sont guère nombreux à adopter le point de vue de Tawfiq Hajaj, mais la tendance pourrait s’inverser si la question des impôts et des salaires prenait de l’ampleur.

L’année dernière, les autorités du Hamas ont demandé aux banques de fermer pendant une semaine après qu’un différend sur le paiement du salaire des employés les avait opposées à l’AP. Des escarmouches avaient alors éclaté entre les loyalistes du Fatah, ceux du Hamas et la police avant que le conflit ne finisse par se régler.

Lorsque Jawwal a cessé son activité, les forces de police ont une nouvelle fois été renforcées devant le siège de l’opérateur, situé rue de Jala, afin de contenir les actes de violence de clients mécontents ou de résidents de Gaza désireux de fustiger le non-paiement des cotisations.

Les bureaux de Jawwal fermés la semaine dernière (MEE/Mohamed Asad)

Mais alors que la violence a pu être évitée cette fois-ci, les craintes ne cessent d’augmenter dans d’autres secteurs, notamment dans les banques établies à Gaza, qui paient toujours leurs impôts au gouvernement en Cisjordanie. La banque la plus importante de Gaza, la Banque de Palestine ne représente qu’une des nombreuses institutions qui pourraient être touchées par la controverse.

« Si les banques devaient fermer une nouvelle fois, nous serions coincés, car c’est le seul contact qui existe entre Gaza et le reste du monde, malgré les sévères restrictions qui ont été imposées pour la réception et l’envoi de virements bancaires », précise Tawfiq Hajaj.

Traduction de l’anglais (original).

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