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Les prêtresses zoroastriennes d’Iran

MEE a visité un temple du feu zoroastrien dans le sud de Téhéran, où les prêtres évoquent l’égalité des sexes chez les adeptes de cette religion ancienne
Les prêtresses zoroastriennes Sarvar Talapolevara et Rashin Jahangiri lors de la célébration du Gahambar, dans le temple de Téhéran (MEE/Ines Della Valle)

Vue de l’air, Téhéran ressemble à un conglomérat de briques et de fragments éparpillés. Près de la rue Ferdowsî, dans le sud de la capitale, se trouve l’un des complexes religieux les plus grands et les plus emblématiques de la minorité zoroastrienne dispersée à travers l’Iran. Les services religieux ont lieu quotidiennement dans le temple du feu et dans une salle de cérémonie, où se réunit le Conseil des mobads (prêtres zoroastriens).

Fondée par le prophète Zoroastre il y a environ 3 500 ans, cette religion revendique environ 190 000 adeptes. Religion officielle en Iran pendant mille ans, ses adhérents forment maintenant une minorité de moins en moins représentée au sein de la République islamique.

Middle East Eye a visité leur temple du feu (ou agiari), où les services religieux quotidiens sont dirigés par des prêtres zoroastriens. La visite de MEE a coïncidé avec le troisième Gahambar, l’une des six fêtes annuelles célébrant la création de la Terre.

Les mobads Sarvar Tarapolevara et Suroupush devant le temple du feu de Téhéran (MEE/Ines Della Valle)

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La mobadiar Sarbar Talapolevara entre dans le temple, vêtue d’une longue robe blanche en haut de laquelle un voile blanc est épinglé, et s’assoit à proximité du feu, petit mais énergique, qui crépite au milieu du temple.

Les voiles immaculés de Talapolevara sont transcendentalement blanchis, arborant d’un bout à l’autre un blanc parfait. Son seul accessoire est la traditionnelle koshti, une longue ceinture qui représente les principes de base zoroastriens que sont « les bonnes pensées, les bonnes paroles et les bonnes actions ».

« Mon père était un parsi, c’est-à-dire un zoroastrien originaire d’Inde, raconte-t-elle. Je me souviens qu’il attachait sa ceinture chaque jour avant le petit déjeuner et nous racontait son enfance en Inde, où les zoroastriens s’accrochent à des traditions conservatrices et où les enfants doivent porter la koshti dès l’âge de huit ans. »

« C’est mon père qui m’a le plus encouragée. À l’origine, les parsis indiens étaient opposés à l’idée d’avoir des femmes prêtres, a expliqué la mobad Talapolevara. C’est pourquoi j’ai été agréablement surprise de recevoir des messages de soutien de ces mêmes parsis indiens lors de mon initiation en tant que prêtresse, il y a quatre ans. Ils ont même publié des articles dans les journaux indiens et au Congrès international des zoroastriens. »

Berhad, jeune disciple zoroastrien qui chante par cœur l’Avesta (les écritures sacrées zoroastriennes) aussi souvent qu’il le peut, a expliqué à MEE que « la société zoroastrienne maintient un système de castes. Les mobads constituent la plus haute caste. Après l’invasion arabe et les persécutions qui ont suivi, la majorité des mobads ont fui en Inde. »

« Ils étaient les plus traditionnels et appliquaient l’interprétation sassanide de l’Avesta, le texte sacré. En fait, pendant la période sassanide [le dernier règne préislamique en Iran], les mobads avaient pris le pouvoir et mélangé religion et politique, instituant même une sorte de charia, un code civil et moral qui a donné des préceptes et des règles fondés sur une réinterprétation des récitations de Zarathoustra [fondateur du zoroastrisme].

« Après l’invasion arabe et l’abolition du système de castes, les mobads, qui soutenaient ce système de castes, se sont réfugiés en Inde. Ainsi, la majorité des parsis indiens sont encore aujourd’hui des mobads », a poursuivi  Berhad.

En Iran, l’histoire est différente, a-t-il précisé.

Célébration du Gahambar dans le temple de Téhéran (MEE/Ines Della Valle)

« Après la révolution de 1979, la population zoroastrienne a considérablement diminué. Dans beaucoup de villages isolés, il ne restait plus de mobads, et c’est pour cette raison que la figure du ‘’mobediar’’, ou d’assistant du prêtre, a commencé à se développer. »

« C’est en 2009 que le mobad Suroupush a soulevé l’idée des femmes prêtres au Conseil des mobads à Téhéran », a indiqué Berhad à MEE.

Le mobad Suroupush, président du conseil, a raconté sa démarche à MEE : « Au cours de mes recherches, j’ai creusé au plus profond des archives et j’ai trouvé que l’école des prêtres acceptait à la fois les femmes et les hommes. J’ai simplement pensé que j’avais le devoir d’écrire quelque chose à ce sujet et de montrer cela au conseil. »

« La charia ne fait pas partie de notre culture ; nous croyons au concept de frashkat, qui consiste à rafraîchir et à renouveler nos valeurs », a expliqué le mobad Suroupush, tout de blanc vêtu pour la cérémonie.

« Les concepts d’égalité ont toujours été à la base de notre culture. Dans l’Antiquité, il y avait beaucoup de prêtres, de figures politiques et de guerriers qui étaient des femmes, et ce, même jusqu’à l’époque sassanide », a-t-il précisé.

« Mais après l’invasion arabe, les choses ont changé [...] Aujourd’hui, nous vivons enfin dans une période où l’égalité des sexes figure au premier rang des priorités. Le moment est venu de faire revivre cette tradition sous l’emblème de la frashkat », en commençant par le Conseil des mobads.

Le premier obstacle à franchir aujourd’hui est le conseil lui-même, qui est actuellement « réservé » aux hommes. Depuis le début, la majorité des zoroastriens ont accueilli favorablement l’idée de voir des femmes aux côtés des hommes, non sans restrictions cependant.

Lors de la visite de MEE, les menstruations faisaient l’objet d’une fascination particulière (ce qui n’est pas rare dans d’autres religions monothéistes) et figuraient en tête du programme.

« Les mobads les plus traditionnels insistent sur le fait que les femmes ne peuvent pas pratiquer les rituels au cours de leur période de menstruation, lors de laquelle elles sont "impures", a expliqué le mobad Suroupush à MEE. C’est la raison pour laquelle elles ne peuvent pas devenir prêtres à part entière avant l’âge de 50 ou 60 ans. Elles peuvent toutefois être mobadiar, c’est-à-dire assistantes des prêtres. »

Suroupush s’oppose à cette idée, qu’il juge conservatrice et discriminatoire.

La mobad Rashin Jahangiri, médecin et prêtre en service depuis deux ans, s’est exprimée à ce sujet : « Cette approche traditionnelle va probablement changer, parce que dans le Gotah [l’équivalent de l’Ancien Testament dans l’Avesta, texte en deux parties], rien n’est mentionné au sujet de la période de menstruations des femmes. »

« Ce sont des interprétations désuètes qui remontent à l’époque sassanide et que nous ne devrions pas être forcés de suivre au XXIe siècle », estime-t-elle, se tournant vers le feu.

« S’occuper du feu est quelque chose que les mobadiars ne peuvent pas faire. C’est une responsabilité que seuls les mobads peuvent prendre. »

Le feu qui brûle dans le temple de la capitale a été apporté ici depuis Yazd, le berceau de la religion zoroastrienne, situé dans le sud de l’Iran.

Le gardien du feu dans le temple du feu de Chak Chak, près de Yazd, l’un des sites les plus sacrés pour les zoroastriens (MEE/Ines Della Valle)

À Yazd, il reste six temples zoroastriens. Inutilisées, les Tours du silence se dressent à la périphérie. Cela fait 50 ans que la croissance de la ville a contraint le site à assumer un rôle de cimetière.

« Selon notre tradition, le corps doit retourner à la nature dès que possible, sans être pollué par l’un des quatre éléments sacrés », a expliqué Shanahnaz Shahzadi, enseignante dans une école pour mobads.

« Les corps sont allongés sur un bloc de pierre et de métal afin de les exposer aux rayons du soleil. Le corps est présenté aux vautours. On utilise de l’acide nitrique pour dissoudre les os restants. »

« Nous croyons que les neuf éléments qui composent l’être humain restent avec le corps pendant trois jours, avant le jour du jugement. Puis pendant trente ans, nous célébrons des funérailles annuelles, et après cela, toutes les âmes, même les damnées, retrouvent Dieu au paradis », a-t-elle expliqué.

Malgré son âge avancé, Shanahnaz a parcouru à toute vitesse le chemin menant à la Tour du silence.

« Ce sont les femmes qui ont gardé cette religion en vie, a-t-elle déclaré à MEE. Depuis les temps anciens, elles ont assisté les mobads lors des cérémonies ainsi que dans l’entretien du feu. Même aujourd’hui, la partie la plus importante des cérémonies, comme la préparation de la nourriture, est assurée par des femmes. »

À l’époque sassanide et après l’invasion arabe, « il est devenu impossible pour les femmes de pratiquer les rituels en public, a-t-elle ajouté. Cachées dans les quartiers zoroastriens, elles ont cependant continué ces pratiques clandestinement. »

La veille de la visite de MEE, la mobad Fariba est devenue la première femme à tenir la cérémonie d’ouverture du Gahambar dans le temple du feu de Yazd.

« Quand j’ai décidé de devenir prêtre, c’était pour montrer que cette religion s’oppose à toute forme de discrimination », a-t-elle raconté.

« Ce sont surtout les anciens qui n’ont pas apprécié l’idée de voir des femmes devenir prêtres », a précisé le mobad Merhaban Firouzgari.

Une imposante moustache blanche orne son sourire ridé. Il ressemble à un enfant qui raconte une histoire à ses parents dont il attend la punition.

« Les hommes prêtres ont peut-être peur que quelqu’un puisse interférer avec leur source de revenus.

« Malgré leur opposition mal cachée, la majorité des prêtres ont célébré et salué ouvertement l’arrivée des femmes prêtres. Nous croyons dur comme fer que c’est un nouveau pas vers l’égalité des sexes dans le zoroastrisme », a-t-il affirmé en sortant de la salle de cérémonie, arborant une posture royale.

Représentation de Zarathoustra sur l’autel du temple du feu de Yazd, pendant le Gahambar (MEE/Ines Della Valle)

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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